En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Suis-je réac ? - 2-

 

   La "pensée réac" peut sembler assez simple à exposer: c'est une critique du progrès capitaliste, de la société de consommation, du "spectacle" et du "show business"; cela fait déjà beaucoup, et c'est largement suffisant pour que vous ne fréquentiez plus certaines personnes et qu'elles ne vous invitent plus dans leurs groupes. Mais vous pouvez quand même jouer la carte de l'écologisme et du "convivialisme" (citoyenneté associative de proximité) et votre "pensée réac" sera dans ce cas intégrée à une sorte d'alter-mondialisme tout à fait accceptable dans la plupart des milieux sociaux, surtout chez les enseignants lecteurs du Monde Diplomatique et des Alternatives Economiques.

 

   Je pense avoir été un "réac" gentil et modéré, votant même à l'extrême-gauche à deux ou trois reprises entre 2002 et 2012; la critique du capitalisme libéral-libertaire, inégalitaire et "indécent" bénéficiait alors d'une nouvelle audience (Jean-Claude Michéa, Etienne Chouard, voire Michel Clouscard) en marge des auteurs disons "classiques" mais un peu désuets de la gauche "humaniste" bien pensante (Edgar Morin, Pierre Rosanvallon, voire Marcel Gauchet). Cette décennie vit aussi (et surtout) la progression du Front National en France, qui développa autour du thème de l'immigration un discours néo-souverainiste et anti-européiste auquel il était difficile de ne pas s'intéresser; soit pour le juger absurde ou grotesque, soit pour y confronter ses réflexions anti-capitalistes. Je pense avoir choisi la deuxième piste.

 

   Enfin, je pense... Mais quelles sont les preuves de cette pensée ? Qu'est-ce qu'on peut penser en effet d'un capitalisme extraverti, insaisissable, immoral, indécent, voire criminel et mafieux, dont les agissements et les fonctionnements "virtuels" ou "opaques" sont quasi impossibles à analyser ? Certes, quelques économistes de renom (le prix Nobel Joseph Stiglitz par exemple) critiquent le fonctionnement des "institutions" financières internationales (le FMI est souvent ciblé) mais sont fort discrets sur le fonctionnement des lobbies et des banques d'affaires; quelques documentaires télé (sur la chaîne Arte) se sont penchés sur la banque Goldman-Sachs et son pouvoir d'influence sur les Etats; il s'en dégage l'impression d'un système d'informations inaccessible à la compréhension commune. Donc je me pose la question: à quoi rime la critique d'un capitalisme auquel on ne comprend quasiment rien ?

 

    Je ne pouvais donc pas rester insensible aux explications de type complotiste: vous ne comprenez rien ? c'est voulu ! Votre intelligence et votre faculté de jugement critique sont tenues en bride par les livres et les médias bien pensants; vous croyez être un esprit éclairé, vous caressez même le fantasme d'avoir un point de vue dissident sur le système capitaliste mondial, en vérité vous demeurez un demeuré ! Tel fut à peu près le diagnostic d'Alain Soral porté sur ses contemporains à partir de 2007 (fondation du site internet Egalité-Réconciliation) - Les explications de type complotiste s'efforcent de décrypter le fonctionnement des médias bien pensants; c'est la partie la plus intéressante du travail de Soral et de ER. Dans un deuxième temps (ou en même temps si l'on veut) elles accusent les lobbies et les services secrets  "atlanto-sionistes" de diriger en sous-main une bonne partie des opérations capitalistes et militaires du monde "moderne" (depuis la fin du XIXe au moins !) -

 

   La "pensée réac" trouve là un point d'achoppement; soit elle franchit le front "soralien" et se retrouve dans le camp des déportés ou des égarés de la critique anti-capitaliste, affreux, sales et méchants antisémites aux yeux du camp adversaire, le camp du "Bien" comme dirait le gentil écrivain réactionnaire Philippe Muray; soit elle reste en deçà, pour différentes raisons, sociales, professionnelles, sentimentales, morales... Je crois que c'est mon cas. Il me semble impossible en effet, quand on a une réflexion modeste et prudente, un style plutôt orthodoxe, de partager les idées hérétiques, virulentes et décapantes de Soral; qui ne sont certes pas inintéressantes à considérer, mais de loin.

 

    Ma conclusion est donc la suivante: si je suis réac c'est d'une façon très indirecte et désengagée; dans mes actions quotidiennes de proximité sociale et culturelle, dans mon métier de prof d'histoire-géo, dans mon organisation morale et physiologique, disons par la prudence et la gentillesse qui me caractérisent, la possibilité d'être réac est évidemment très réduite. Je peux toujours l'être, bien sûr, quand je décide d'y penser et de mettre par écrit les réflexions que le sujet m'inspire. Mais c'est un temps très ponctuel, et même furtif, qui ne m'engage pas, qui ne m'entraîne pas, qui ne me submerge pas !

 

   Et c'est heureux, car je ne sais pas nager.                                         

 



16/01/2019
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4 autres membres