En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Championnats du monde de cyclisme 2023

 

 

 

     En attendant la coupe du monde de rugby, championnats du monde de cyclisme sur route hier après-midi ; je ne pensais pas trop regarder, mais il s'est avéré vite impossible de faire autrement. Course assez incroyable sur un circuit de ville infernal, Glasgow en l'occurrence. Pasteur, Jalabert, Marion aux commentaires (trio infernal?). Le peloton est composé d'équipes nationales (la seule fois de l'année et c'est ce qui fait le charme de cette épreuve). Pogacar porte donc le maillot vert tendre de la Slovénie. Vingegaard n'est pas venu, comme bon nombre d'autres coureurs, fatigués par le Tour ou en préparation de la Vuelta. Pas de frères Yates, pas de Roglic, pas de Carapaz, pas de Rodriguez, pas de Hindley. Pas de Guillaume Martin ! L'équipe de France affiche quand même quelques petites ambitions avec Alaphilippe et Laporte. Mais le sélectionneur Voeckler trouve que le circuit de Glasgow est indigne avec ses 48 virages. C'est aussi l'avis de Jalabert et de Marion Rousse.

   Avant d'arriver en ville le peloton traverse la campagne écossaise en partant de Edimbourg. Je connais un peu ce coin-là. C'est très vert et l'eau est noire. Cela vient de l'acidité du sol. Les routes sont étroites et il faut rouler à gauche. Au bout d'une heure, la course est interrompue par des manifestants écologistes qui se sont fixés au sol les mains coulées dans du ciment ! Il faut un certain temps pour les desceller ! Jalabert est consterné : l'organisation n'a même pas été fichue de repérer ces manifestants qui ont tranquillement pu effectuer leur opération. La course est retardée d'une heure, ce qui veut dire que le peloton va se retrouver sous l'averse de 16 heures, se désole Marion Rousse. Et une averse sur un circuit très dangereux de 48 virages, ça va faire mal !

 

    Bref, on l'a compris, les Français râlent toujours; la télévision nous montre quelques vues aériennes de Glasgow : beaucoup d'équipements « modernes » dédiés aux sports et à la « culture ». Franck Ferrand n'est pas là pour commenter. Nicolas Geay lui est bien là, et il commente les épreuves sur piste (ou le BMX je ne sais plus). Cela me donne le temps de lire vingt pages de Balzac.

    Retour à la course. Le circuit est en effet très technique et convient parfaitement aux cyclo-cross-men d'exception que sont van der Poel et van Aert. Je trouve bien dommage que Pidcock lui aussi très bon cyclo-cross man (et britannique en plus) ne dispute pas ce championnat du monde (il se réserve pour le titre mondial de VTT qui se jouera dimanche prochain). Le rythme est bien sûr très élevé, et les Français disparaissent assez vite des premiers rangs, Alaphilippe tente une petite attaque décorative qui montre surtout qu'il n'est pas du tout dans le coup (sa saison est assez catastrophique). Les Belges imposent la cadence, mais pour qui ? Pour van Aert, c'est évident, répond Jalabert. Même si Evenepoël semble en forme lui aussi ? s'interroge Pasteur. Ce parcours trop technique ne lui convient pas, estime le consultant de France TV. Pogacar semble dans le coup, on repère très vite son maillot vert en tête de la course.

    Le peloton n'existe plus, il s'est fractionné en plusieurs petits groupes. Arrive la pluie vers 16 heures, comme prévu. Il reste encore 70 km ! La course devient stressante, toutes les parties du circuit ne sont pas mouillées. En F.1 on change les pneus. Pas en cyclisme. La pluie redouble. L'Italien Bettiol attaque. Derrière lui un quatuor sous les cordes part à sa poursuite : Pogacar, van Aert, van der Poel et Pedersen. La course est passionnante il faut bien le reconnaître, n'en déplaise aux esprits chagrins français. Mon collègue philosophe m'envoie des SMS, « alors, Pogacar, tu y crois ? » - Oui, j'y crois, mais c'est un parcours qui convient mieux aux deux van... Lequel des deux ? Jalabert mise sur van Aert. J'ai une préférence pour van der Poel. Et c'est lui qui attaque à une vingtaine de km de l'arrivée. Bettiol est vite rattrapé. Les trois autres sont asphyxiés.

   Le champion hollandais accroît son avance, dix, vingt puis trente secondes. C'est gagné ? Il chute ! Une grosse glissade dans un virage serré, son vélo à terre heurte la barrière d'en face. Il se relève, la chaussure desserrée, mais tout le reste est en état de marche, il n'a perdu que dix secondes, se relance, transcendé par le contre-temps. Derrière les trois autres sont à fond mais ne rattrapent plus rien, et perdent même encore des secondes. Van der Poel l'emporte finalement avec plus d'une minute trente d'avance ! Van Aert prend la deuxième place et Pogacar arrache la troisième au sprinteur danois Pedersen. C'est un podium XXL.

 

    Les championnats du monde retrouvent un peu de leur lustre d'antan avec ce type de course. On ne peut que s'en féliciter. On a trop connu dans les années 2000-2010 des championnats du monde très quelconques où s'imposaient des coureurs opportunistes (Astarloa, Oscar Freire, Ballan, Bettini, Hushovd...). Les trois titres de Sagan puis les deux de Alaphilippe ont sans doute relancé l'intérêt médiatique de l'épreuve. Dans deux ans, elle aura lieu à Kigali au Rwanda ! La mondialisation voulue par l'UCI. Mais le choix de l'Erythrée aurait été plus judicieux sur le plan sportif. D'autres critères ont prévalu manifestement. Belle victoire géopolitique pour monsieur Kagamé. Mais on verra. Deux ans c'est long. Il peut s'en passer des choses d'ici là...

 

 


07/08/2023
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Rétro: Sallanches 1980

 

 

  Je regarde hier soir (sur internet) une vidéo de la victoire de Bernard Hinault aux championnats du monde de Sallanches le 31 août 1980. Le parcours était semblable à celui du contre-la-montre d'hier qui nous a tous abattus (j'écris ces lignes au lendemain du coup de massue de Vingegaard). Mais la région a bien changé, et les spectateurs aussi. Que se passe-t-il en France en cette fin d'été 1980 ?

   Le climat social et politique est morose (c'est la fin des vacances, même si les élèves ne reprennent le chemin de l'école qu'à la mi-septembre ! En ce 31 août je suis moi-même chez un copain qui joue dans une fanfare de village et participe à des kermesses, je dois l'accompagner, et donc pas de télé!) - Giscard est à la tête du pays mais sa politique est mise en difficulté : affaire des diamants, affaire de Broglie, nouveau choc pétrolier avec la révolution islamique en Iran, invasion de l'Afghanistan par l'URSS, etc. Giscard essaie d'adopter un style présidentiel supérieur qui ne suscite que sarcasmes et plaisanteries (sketchs de Thierry Le Luron, etc.). Le premier ministre Raymond Barre impose une politique de rigueur monétaire qui comprime les salaires et ouvre toutes grandes les voies de la contestation sociale. La gauche se prépare à l'élection présidentielle de 1981.

   Tel est donc à peu près le contexte quand Bernard Hinault s'élance sur le circuit très difficile de Sallanches qu'il a reconnu deux jours avant : taillé sur mesure pour lui. Mais la saison du « blaireau » a été compliquée : il a gagné Liège-Bastogne-Liège sous la neige (et a perdu l'usage d'un doigt, gelé) puis le Giro (avec autorité), mais il abandonne sur le Tour à la veille de la première étape de montagne. Il est donc très attendu à Sallanches. Sa préparation a été perturbée par une dysenterie sur le Tour du Limousin. Un stage dans le Morvan l'a requinqué. Il est très sûr de lui en arrivant à Sallanches. « Prépare le champagne, on va être champion du monde ce soir » dit-il au patron de l'hôtel qui héberge l'équipe de France. Hinault a prévenu ses partenaires nationaux : vous faites les dix premiers tours et je me charge de la suite. Ce qui veut dire, vous accentuez progressivement l'allure, vous durcissez la course, vous écrémez le peloton quoi, et moi je porte le coup final.

    Seul Baronchelli résiste au rythme puissant du Français ; mais dans le dernier tour, au début de la montée de Domancy, l'Italien change de braquet, cafouille un peu, et Hinault en profite pour « lui en mettre une » (jargon cycliste pour désigner une attaque). Il est parti, accélère et l'emporte avec plus d'une minute d'avance ; seuls 15 coureurs terminent les championnats. Tout s'est passé comme prévu pour Hinault : « je savais que j'étais le plus fort ».

    La retransmission télé est de mauvaise qualité et la réalisation est catastrophique: l'attaque de Hinault n'a même pas été montrée en direct, la réalisation s'attarde à ce moment-là sur un ralenti qui n'a aucun intérêt. On ne voit jamais ce qui se passe derrière les deux coureurs échappés. Les commentaires sont assurés par Jean-Michel Leulliot, Bernard Giroux et Raymond Poulidor. Hinault ne porte ni casque ni casquette (il en portait une au début de la course mais il l'a enlevée). On voit les visages des coureurs à cette époque. « Il a les dents serrés et la mâchoire énergique «  fait remarquer Leulliot. Baronchelli, lui, grimace un peu, mais « il faut se méfier avec les Italiens, commedia dell'arte ! » ajoute le commentateur... « Dans son style caractéristique... » est l'expression qui revient le plus souvent pour qualifier la puissance du coureur français. Son équipier Bernard Vallet est interrogé, en larmes, en regardant les dernières minutes du championnat.

 

Hinault va lâcher Baronchelli dans quelques instants

Hinault va lâcher Baronchelli dans quelques instants


19/07/2023
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Le Tour entre Clermont et Moulins

 

 

    Etape du jour : entre Vulcania et Issoire. Vulcania est un grand parc touristique et pédagogique consacré au volcanisme. On n'étudie pas cela en géographie ; en géologie peut-être, mais je n'enseigne pas la géologie. Les volcans d'Auvergne sont éteints depuis 10 000-15 000 ans environ (on n'est pas à 5000 ans près!). En deçà de 10 000 ans un volcan n'est pas considéré comme vraiment éteint. Les vulcanologues n'écartent pas l'hypothèse d'un réveil ; cela dépend des nappes de magma qui circulent dans les profondeurs du sous-sol, dans « les entrailles de la terre » comme on dit. Le volcanisme a inspiré le cinéma : une bonne dizaine de films consacrés à l'éruption du Vésuve en 79 de notre ère. Le Pic de Dante dans les années 1980 a marqué aussi les esprits. Enfin, la notion de volcan et de volcanisme se prête également à des films porno; je ne vais pas vous faire un dessin.

 

    Sans transition, Marion Rousse trouve le début d'étape fantastique, elle aurait pu dire « volcanique » ; les attaques se multiplient, on voit même Pogacar et Vingegaard prendre une échappée, tandis que Gaudu accuse plus de deux minutes de retard. La route n'en finit pas de monter et de descendre, en une succession de petits cols au cœur de la chaîne des Puys. On passe à Murat, où est mort il y a plus d'un mois le chanteur « éponyme ». Pas un mot. Franck Ferrand ne semble pas très féru de musique moderne. Mais Alexandre Pasteur aurait pu réagir. Eh bien non. Je note toutefois dans la bouche de ce dernier l'expression suivante : « ah ! voilà une étape rustique et rurale, comme on les aime ! » -

 

   Peu à peu la course se calme, une véritable échappée parvient à se former, et le peloton rentre dans le rang, permettant à Gaudu d'y retrouver sa place. Marion Rousse, elle, retrouve un propos plus modéré. L'Auvergne rustique et rurale peut enfin s'exprimer: des vaches, des lacs, des routes sinueuses, des églises, des villages, et un public nombreux au sommet des cols. Jalabert, Pasteur et Ferrand discutent gastronomie locale : la truffade se fait-elle avec du Saint-Nectaire ? Oui on peut, mais la vraie truffade se fait avec du Cantal. Ce n'est quand même pas un plat d'été, fait observer Pasteur. « Mais si, moi j'en ai mangé une hier soir », réplique Jalabert, et « j'étais très bien ce matin pour faire ma reconnaissance de l'étape à vélo ».

 

    L'Auvergne est sans doute très agréable pour les cyclistes amateurs ; ce ne sont pas des cols très difficiles, et la circulation automobile n'y est ni intense ni agressive ; encore que... Méfions-nous : l'Auvergnat peut être mal intentionné à l'égard des touristes qui selon lui sont des « Parisiens ». Petit conseil : n'hésitez pas à dire que vous ne l'êtes pas ; les Bretons sont plutôt bien appréciés ; les Normands aussi ; entre gens de contrées humides on se comprend. L'Auvergne a des charmes évidents, on vient de les évoquer. Mais aussi des inconvénients. Les services (restaurants, bars) ne sont pas toujours à la hauteur de la conception gourmande et conviviale que vous pouvez avoir de la région. Je le redis, l'Auvergnat (et l'Auvergnate) peut être inhospitalier, renfrogné, lunatique et mal léché ; Jean-Louis Murat était du reste un peu comme cela !

 

    Côté course, l'étape est finalement remportée par l'Espagnol Bilbao, qui a devancé ses compagnons d'échappée. Les Français ont de nouveau échoué : ni Alaphilippe ni Barguil qui faisaient partie de l'échappée n'ont paru en mesure de s'imposer. Guillaume Martin quant à lui a fait un peu n'importe quoi, et c'est Jalabert qui l'a dit, en sortant du peloton alors que l'échappée était partie depuis longtemps. La forte chaleur a pesé sur la course, malgré un vent d'ouest soufflant dans le dos du peloton sur les 10 derniers km. On annonce un rafraîchissement pour demain entre Clermont et Moulins.

 

   J'ai regardé l'émission Vélo-Club qui suit l'étape (d'habitude je ne regarde pas, cinq heures devant la télé ça fait quand même un peu beaucoup!). On a montré un extrait du film de Louis Malle de 1962 consacré au Tour ; puis un reportage sur les résidentes d'un EHPAD qui sont allées assister au passage de la caravane et des coureurs ; elles étaient enchantées. Enfin, Florent Abadie (archétype du bobo parisien) a rencontré un amateur et dresseur d'aigles et de chouettes. Tout cela fort amusant et intéressant.

 

 

 

   Puisqu'il a été question de personnes âgées, une allusion a été faite à Raphaël Geminiani, 98 ans, qui vit aujourd'hui près de Clermont-Ferrand dans un établissement spécialisé (mais ce n'est pas un EHPAD). Geminiani fut un très bon coureur cycliste professionnel des années 50 ; il a couru 12 Tours de France (sans doute pas assez pour que Christian Laborde daigne lui consacrer un article à la lettre G dans son Dictionnaire amoureux du Tour de France !), sa meilleure place fut deuxième derrière Koblet en 1951 ; il porta le maillot jaune en 58 et le perdit face à Charly Gaul, estimant alors n'avoir pas été vraiment aidé par ses coéquipiers de l'équipe de France qu'il traita de « Judas ! ». Mais Gem' ne fut pas avare lui non plus de « coups tordus » et ses attaques incessantes n'étaient pas faites pour plaire aux autres coureurs. Louison Bobet le surnomma le Grand Fusil, toujours prêt à tirer, véritable chasseur d'étapes.

    Il acquit aussi très vite la réputation du verbe vif et décapant (ses origines italiennes sans doute), il savait trouver des surnoms, des formules, il avait le sens inné de la « punchline » : « ses phrases étaient plus coupantes que celles des journalistes abrités du soleil dans les voitures... » écrit Philippe Bordas1- Equipier de Bobet dans l'équipe de France, il fut aussi l'équipier de Fausto Coppi dans l'équipe Bianchi ; pas n'importe quel équipier, l'un des meilleurs grimpeurs du peloton en plus d'être un infatigable rouleur. En 1960, à 35 ans, il contracte la malaria lors d'une tournée en Haute-Volta (aujourd'hui Burkina-Faso) avec Coppi. Il en réchappe de justesse de retour à Paris grâce à l'intervention de sa femme qui alerte immédiatement l'institut Pasteur. Coppi, lui, n'aura pas cette chance.

 

   Gem' devient directeur sportif2 et il profite des Tours de France disputés par équipes de marques pour introduire la publicité extra-sportive, en jouant de son prénom, qu'il associe à un apéritif alors très connu (un peu moins aujourd'hui). « Le meilleur directeur sportif de l'époque gaullienne », selon Bordas, puisqu'il dirige Anquetil et en fait le super-champion que l'on sait. Mais Geminiani s'intéresse aussi aux nouveaux talents et entraîne des formations expérimentales telles que La Redoute-Motobécane et Fiat-France ; « il poussa l'audace jusqu'à créer un groupe financé par une danseuse de music-hall, Myriam de Kova (Lejeune-De Kova). »3

 

   Jeune téléspectateur des années 70 et 80 j'ai souvenir de Geminiani directeur sportif, le bras posé sur la portière de la voiture, la réplique toujours vive, souvent interrogé, invité des émissions, un « bon client » de la télévision en effet.

 

  Aujourd'hui, Gem' vit en maison d'accueil et de résidence pour l'autonomie à Pérignat-sur-Allier, aux portes de Clermont-Ferrand (où il est né). « On s'occupe bien de moi, je bouffe bien, je dors bien. C'est d'une simplicité enfantine » déclare-t-il à Ouest-France4. Il regarde beaucoup la télé. « La France tourne au vinaigre... Trop de violences. Je ne reconnais plus les gens. » Il espère vivre encore huit ans. « Je me suis fait à l'idée de mourir à 106 ans. »

 

   Etape tranquille aujourd'hui entre Clermont et Moulins ; on s'attendait à un sprint ; et ce fut un sprint ; on s'attendait à une victoire de Philipsen ; et ce fut une victoire de Philipsen. Le peloton a été rafraîchi par quelques averses.

 

    N'ayant rien à rajouter au côté sportif de l'étape, je parlerai donc de la géographie. Le peloton a roulé sur les routes de l'Allier, numéro 3 des plaques d'immatriculation. On sait peu de choses de ce département quand on n'y habite pas (et encore). Préfecture, Moulins, sous-préfectures, Vichy et Montluçon. 335 000 habitants. 45 hab/km2. C'est un département rural avec une importante zone de bocage et de nombreuses forêts, dont celle de Tronçais, très réputée (plus de 10 000 hectares, la plus belle futaie de chênes d'Europe). Vichy aussi est réputé mais pour d'autres raisons. De Montluçon et de Moulins on ne sait pas grand chose en revanche. Ce sont deux petites villes (33 000 et 20 000 hab.) au cœur de la France entre le Nord et le Sud ; elles sont traversées par de grands axes de circulation, notamment l'A.7 ou N.7 qui contourne Moulins. On a sans doute tort de ne pas s'arrêter à Moulins.

   C'est une « cité de caractère » comme on dit. Un très long article (trente pages) lui est consacré sur Wikipedia ; il nous parle surtout de son histoire (il s'agit de répondre à une question cruciale : c'était comment Moulins avant ?), de sa cathédrale, de ses maisons à colombages et des crues de l'Allier. Le département ne semble pas trop souffrir de la sécheresse. J'ai un lointain souvenir de mon père qui en 1976 avait fait venir de la paille en provenance de l'Allier...

 

   Petite ville de réputation tranquille (méfions-nous des réputations)... On apprend quand même sur Wikipédia que toutes les industries ont disparu au cours des années 70 et 80. Que reste-t-il ? Des emplois « tertiaires » : administrations, services... A l'échelle du département l'agriculture occupe encore une bonne part, sinon dans l'emploi, du moins dans la production de richesses. On trouve des grandes cultures (céréales) mais aussi de l'élevage (Charolaises), des herbages et de la vigne (Saint-Pourçain).

 

    Problème : le vieillissement de la population ; les jeunes s'en vont. Vers Lyon ? Vers Paris ? Paris justement : que font les gouvernements pour entretenir et développer les activités locales ? Suffit-il de débloquer des fonds ? De faire de la communication ? Non. Les habitants de l'Allier sont plutôt déçus par les dirigeants nationaux, de droite et de gauche. Le vote communiste historiquement fort s'est assez bien maintenu dans certaines circonscriptions, tandis que le vote RN a beaucoup progressé, faisant aujourd'hui jeu égal avec la droite « classique ». Le sociologue Pierre Bourdieu n'a enseigné qu'une seule année (1955-1956) au lycée public de Moulins ; pas assez pour influencer la jeunesse locale et semer les germes d'une remise en cause des valeurs traditionnelles. C'est un enseignement de longue haleine. 

 

   Enfin, et on a peine à le croire, le Tour de France n'avait encore jamais posé ses valises à Moulins. Sera-ce un allier sans retour ? La question se pose car les habitants souhaitent changer le nom de leur département pour celui de... Bourbonnais.  

 

 

1: Forcenés, 2008, p. 198.

2: Sur Wikipédia on apprend  que Geminiani arrête la compétition en 1961 sur le Dauphiné-Libéré ; entre Valence et Orange il met pied à terre au bout de 85 km de course et doit s'allonger de longues minutes sous un cerisier pour récupérer.

3: Voir J. Augendre, Le Tour, abécédaire insolite, Solar, 2011, p. 186.

4: 12 juin 2023

 


12/07/2023
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Etape 5: Pau-Laruns

 

 

    L'étape du jour entre Pau et Laruns avec les très difficiles ascensions du Soudet et de Marie Blanque a vu la victoire du jeune Australien Jai Hindley, échappé dans un groupe d'une trentaine de coureurs. Il a progressivement lâché ses partenaires puis a résisté au retour des favoris. Les favoris ? Vingegaard a décroché Pogacar dans la montée de Marie Blanque et creusé l'écart dans la descente. Plus d'une minute concédée par le jeune Slovène. Hindley s'empare du maillot jaune et plus que jamais fait figure d'outsider n°1. L'étape a été jugée passionnante par les journalistes, qui se posent bien sûr la question de l'état de forme de Pogacar, qui a clairement montré ses limites aujourd'hui. On peut aussi se poser la même question pour Vingegaard en se demandant combien de temps il pourra tenir à ce niveau ? Va-t-il enfoncer le clou demain ? Eh bien on le saura demain !

 

   Ce n'est pas un coureur très exubérant, tout ramassé sur son vélo ; il se met peu en danseuse. Ses propos sont très calculés et semblent énigmatiques. On ne peut qu'être étonné tout de même de la puissance extraordinaire de ce petit bonhomme taciturne. Voilà trois ans maintenant qu'il a éclaté au plus haut niveau ; auparavant, c'était un coureur danois parmi d'autres, rien de plus. Qu'est-il donc arrivé ?

 

   Les coureurs français ont été très discrets aujourd'hui : Gaudu, Bardet, Pinot, Martin ont eu bien du mal à rester dans le groupe du maillot jaune. Un maillot jaune lui aussi très discret, Adam Yates, et qui n'a pas été d'un grand secours pour Pogacar. On voit mal qui ou quoi peut contester la supériorité de Vingegaard. Une chute, oui, bien sûr, mais aussi peu sympathique que soit le coureur en question, on ne va tout de même pas le souhaiter... 

 

   Côté paysages et tourisme, l'étape a montré des petits villages et deux petites villes, Oloron Sainte-Marie et Laruns ; mais le nombre des hameaux et lieux-dits est impressionnant : sur la seule comme d'Arette, 1000 habitants environ, on en compte près de 230 ! La densité est de 12 hab/km2. Deux manières de voir les choses : c'est la tranquillité assurée, mais c'est aussi l'isolement le plus total. Il faut avoir son permis voiture, et c'est un vrai souci quand on ne l'a pas, ou qu'on le perd et qu'il faut le repasser, ainsi que l'a évoqué un jour le député béarnais Jean Lassalle au cours d'une intervention mémorable à l'Assemblée nationale. On peut espérer que les habitants se connaissent bien et soient solidaires.

   Toujours est-il que les Pyrénées n'offrent pas toutes les conditions du tourisme le plus débridé qui soit ; tant mieux sans doute. Ne règnent pas toujours le beau temps, le soleil, la chaleur ; au sommet du Soudet dans la brume il ne faisait pas plus de 10° aujourd'hui. C'est un coin idéal pour lire et pour écrire, ainsi que nous le suggère Franck Ferrand en évoquant Marguerite de Navarre qui put y composer tranquillement son Heptameron, loin des tumultes et des intrigues de la Cour. Le Béarn fut même, si j'en crois le grand géographe Paul Vidal de La Blache, une sorte de petit Etat autonome avant son rattachement à la couronne royale sous Henri de Navarre...1

 

    Féru de géologie et de topographie, Franck Ferrand ne pouvait enfin passer sous silence que le village d'Arette fut détruit à 80 % par un tremblement de terre au mois d'août 1967. Une seule personne fut tuée.

 

1: Le géographe parle même d'une « brillante civilisation » du Midi pyrénéen, d'une « perle échappée au naufrage où sombra au XIIIe la civilisation du reste du Midi » - Tableau de la géographie de la France, 1903, réédité par La Table Ronde, coll. Petite Vermillon, 1994, pp. 515-516.

 


05/07/2023
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Les Monstres et Les Nouveaux Monstres (films italiens)

 

 

     Allez, encore un peu d'Italie, avant de basculer dans le Tour de France : je regarde hier soir sur internet Les Monstres de Dino Risi, film de 1963, avec Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman, entre autres. Un chef d’œuvre d'humour entre burlesque, farce, satire, comédie sociale, politique, à travers dix-sept sketches de durées très différentes (le plus court fait 45 secondes et le plus long dix-sept minutes). Mon préféré est celui intitulé La Muse, où une femme de type travesti (interprétée par Vittorio Gassman) parvient à convaincre un jury littéraire, sous de grands airs et avec des arguments empruntés aux intellectuels du « nouveau roman » et de la « déconstruction », qu'il faut donner le prix à un jeune auteur un peu fruste et même un peu rustre, avec lequel elle veut juste pouvoir coucher !

    Mais j'aime aussi beaucoup le sketch suivant : dans une salle de cinéma un couple bourgeois, la bonne quarantaine, en train de regarder une scène d'exécution collective de partisans par des soldats allemands ; un enfant fait du bruit dans une rangée de spectateurs, monsieur râle, chut enfin ! - puis rafale de mitraillettes et les partisans collés au mur s'effondrent - alors monsieur fait remarquer à sa femme qu'un petit muret de ce genre ferait très bien dans leur jardin. Le sketch dure deux minutes et c'est d'une efficacité terrible.

    Sortira en 1977 Les Nouveaux Monstres, réalisé par Risi, Ettore Scola et Monicelli, également un film à sketches, mais en couleurs, où l'on retrouve Gassman dans le rôle d'un cardinal qui avec de belles paroles et en faisant donner les cloches et les orgues, parvient à retourner complètement l'ambiance frondeuse d'une petite assemblée paroissiale. Magistral.

    Ces deux films hélas très peu diffusés par la télé française sont des sommets de la comédie dite à l'italienne. Voici ce qu'en dit mon Dictionnaire du cinéma :

 

« … la comédie italienne est profondément révolutionnaire : par sa virulence, ses audaces, sa volonté de n'épargner personne, et surtout pas les autorités, les notables, les corps constitués... qui en prennent largement pour leur grade. Une telle virulence provient à la fois d'une tendance permanente du tempérament italien (longtemps refoulée) et des multiples déceptions vécues par la société italienne en quinze ans... les tares d'une société qui ne croit plus en rien, qui a été économiquement et moralement déçue, et qui se borne à contester, sans espoir de remède, sa propre pourriture et décomposition. »1

 

 

   Pour Les Nouveaux Monstres, je me contente de deux ou trois sketches accessibles directement sur internet : Vittorio Gassman notamment dans le rôle du cardinal.

 

   Sketch magistral c'est le cas de le dire. D'abord, le décor : petite église de campagne, mais sans doute pas loin de la ville, puisqu'on voit des inscriptions sur les murs, « à bas les prêtres ! » - Le film date de 1977, les « années de plomb », marquées par le terrorisme, avec d'un côté les Brigades Rouges révolutionnaires et d'un autre les « forces » traditionnelles du conservatisme social et moral, l'Eglise, la famille, le patronat et sans doute aussi l'Etat, bien que celui-ci soit lui-même très indécis et divisé quant aux mesures à prendre. 

    Bon. Notre cardinal et son novice, en panne de voiture, s'approchent de cette église et décident d'y entrer, sans doute attirés par quelques éclats de voix. A l'intérieur en effet le prêtre de la paroisse tente d'établir le calme devant une vingtaine de paroissiens très énervés. Tout va mal dans le village, rien n'est réparé, l'eau courante n'arrive pas, les autorités municipales ne font rien. Que faire ? Les plus énervés veulent une « action directe » : on occupe la mairie et on se défend à coups de poings s'il le faut. Non, dit le prêtre, il faut discuter, la violence ne mène à rien. Nouveau chahut. Silence ! On vote alors ?

    Monseigneur écoute. Sa présence a été tout de même remarquée (« il y a un type en rouge qui est là » dit un jeune garçon à son père). Et vous Monseigneur qu'en pensez-vous ? Vous votez ? Non, non, je ne peux pas. Eh ! Il s'en lave les mains, comme d'habitude, dit un paroissien énervé. Allons, du calme. Monseigneur va parler. Il se lève, imposant, superbe (il faut voir Vittorio Gassman), s'engage dans l'allée centrale, se dirige vers le paroissien énervé. Alors, vous dites que vous voulez occuper la marie, bien, bien, et même tabasser si on vous en empêche... Oui ? Sans attendre Monseigneur décoche alors une terrible gifle sur le type, sous les rires des autres, « Oh ! quelle torgnole ! Ah ! Ah ! » - Ai-je résolu votre problème ? Non bien sûr et je suppose que je n'ai fait qu'augmenter votre rancoeur... Le type giflé approuve, le regard sombre.

   Monseigneur alors commence son grand numéro, se dirige vers la chaire, fait observer les imperfections de la nature humaine et la nécessité de s'en remettre encore davantage au Seigneur et à ses Saints... Bien sûr il faut citer Jésus-Christ... Il a dit vraiment cela Jésus ? se demande le jeune prêtre démocrate de la paroisse.... Mais oui ! T'as pas vu le film de Zeffirelli ? lui fait remarquer derrière lui un type débraillé, torse nu, le genre un peu truand quand même. Monseigneur continue : oui, la réalité est difficile et sombre, etc etc. « Qu'est-ce qu'il parle bien, fait observer une grosse femme de l'assistance, on devrait le faire Pape » ; autour d'elle on acquiesce... 

    Et si nous commencions déjà par allumer les lumières de cette église, poursuit Monseigneur, qui fait signe au bedeau d'appuyer sur les interrupteurs, et puis faisons aussi sonner les cloches, un enfant alors se précipite vers la corde, ajoutons-y la musique de l'orgue, et là un vieux monsieur va s'installer à l'instrument. N'est-ce pas déjà mieux ainsi ? Chantons maintenant. Monseigneur triomphe. Le prêtre démocrate sort de l'église, furieux : « Vous nous avez encore possédés ! » Tandis que l'assistance, elle, se lève pour chanter avec Monseigneur. Le type énervé a les larmes aux yeux. Le novice vient avertir Monseigneur qu'on peut partir, la voiture est réparée. Celui-ci s'esquive alors tout en demandant à l'assistance de continuer à chanter, encore plus fort, « et que votre chant résonne jusqu'à Rome ! »-

 

    Une démonstration du « pouvoir » spirituel sur les réalités temporelles ? Une leçon magistrale en tout cas d'autorité symbolique, verbale et chorale. Faire participer les « fidèles », démocratie etc, oui, c'est bien, mais les faire chanter c'est encore mieux !

 

1: J. Lourcelles, Dictionnaire du cinéma, Les films, Robert Laffont, Bouquins, 1992, vol. 3, pp. 982-983

 

le sketch du cardinal


28/06/2023
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