En attendant le Déluge

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Rétro: Sallanches 1980

 

 

  Je regarde hier soir (sur internet) une vidéo de la victoire de Bernard Hinault aux championnats du monde de Sallanches le 31 août 1980. Le parcours était semblable à celui du contre-la-montre d'hier qui nous a tous abattus (j'écris ces lignes au lendemain du coup de massue de Vingegaard). Mais la région a bien changé, et les spectateurs aussi. Que se passe-t-il en France en cette fin d'été 1980 ?

   Le climat social et politique est morose (c'est la fin des vacances, même si les élèves ne reprennent le chemin de l'école qu'à la mi-septembre ! En ce 31 août je suis moi-même chez un copain qui joue dans une fanfare de village et participe à des kermesses, je dois l'accompagner, et donc pas de télé!) - Giscard est à la tête du pays mais sa politique est mise en difficulté : affaire des diamants, affaire de Broglie, nouveau choc pétrolier avec la révolution islamique en Iran, invasion de l'Afghanistan par l'URSS, etc. Giscard essaie d'adopter un style présidentiel supérieur qui ne suscite que sarcasmes et plaisanteries (sketchs de Thierry Le Luron, etc.). Le premier ministre Raymond Barre impose une politique de rigueur monétaire qui comprime les salaires et ouvre toutes grandes les voies de la contestation sociale. La gauche se prépare à l'élection présidentielle de 1981.

   Tel est donc à peu près le contexte quand Bernard Hinault s'élance sur le circuit très difficile de Sallanches qu'il a reconnu deux jours avant : taillé sur mesure pour lui. Mais la saison du « blaireau » a été compliquée : il a gagné Liège-Bastogne-Liège sous la neige (et a perdu l'usage d'un doigt, gelé) puis le Giro (avec autorité), mais il abandonne sur le Tour à la veille de la première étape de montagne. Il est donc très attendu à Sallanches. Sa préparation a été perturbée par une dysenterie sur le Tour du Limousin. Un stage dans le Morvan l'a requinqué. Il est très sûr de lui en arrivant à Sallanches. « Prépare le champagne, on va être champion du monde ce soir » dit-il au patron de l'hôtel qui héberge l'équipe de France. Hinault a prévenu ses partenaires nationaux : vous faites les dix premiers tours et je me charge de la suite. Ce qui veut dire, vous accentuez progressivement l'allure, vous durcissez la course, vous écrémez le peloton quoi, et moi je porte le coup final.

    Seul Baronchelli résiste au rythme puissant du Français ; mais dans le dernier tour, au début de la montée de Domancy, l'Italien change de braquet, cafouille un peu, et Hinault en profite pour « lui en mettre une » (jargon cycliste pour désigner une attaque). Il est parti, accélère et l'emporte avec plus d'une minute d'avance ; seuls 15 coureurs terminent les championnats. Tout s'est passé comme prévu pour Hinault : « je savais que j'étais le plus fort ».

    La retransmission télé est de mauvaise qualité et la réalisation est catastrophique: l'attaque de Hinault n'a même pas été montrée en direct, la réalisation s'attarde à ce moment-là sur un ralenti qui n'a aucun intérêt. On ne voit jamais ce qui se passe derrière les deux coureurs échappés. Les commentaires sont assurés par Jean-Michel Leulliot, Bernard Giroux et Raymond Poulidor. Hinault ne porte ni casque ni casquette (il en portait une au début de la course mais il l'a enlevée). On voit les visages des coureurs à cette époque. « Il a les dents serrés et la mâchoire énergique «  fait remarquer Leulliot. Baronchelli, lui, grimace un peu, mais « il faut se méfier avec les Italiens, commedia dell'arte ! » ajoute le commentateur... « Dans son style caractéristique... » est l'expression qui revient le plus souvent pour qualifier la puissance du coureur français. Son équipier Bernard Vallet est interrogé, en larmes, en regardant les dernières minutes du championnat.

 

Hinault va lâcher Baronchelli dans quelques instants

Hinault va lâcher Baronchelli dans quelques instants



19/07/2023
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