En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

De la Corée du Nord et des frontières

 

 

 

   La Corée du Nord est réputée pour son régime politique, de type communiste, autoritaire, disciplinaire ; donc totalitaire ? me suggère ou me demande un élève ; oui, si l’on veut, même si ce mot un peu « conceptuel » tendrait presque à « idéaliser » le système nord-coréen ; je préfère en parler de façon modeste, en constatant d’abord qu’on ne sait pas grand-chose de ce pays, de sa population, de sa culture. Certes, on trouvera sur wikipedia de nombreux chiffres qui font état, globalement, d’une société en souffrance : sous-alimentation récurrente, salaires très faibles, encadrement très strict et interdictions de toutes sortes… Dans le classement mondial des « droits de l’homme », la Corée du Nord fait partie des derniers.

 

   La France, qui est par excellence le pays des droits de l'homme, ne peut donc entretenir de bonnes relations avec le régime nord-coréen ; et de fait elle n'en entretient quasiment aucune, puisqu'elle est, avec l'Estonie, le seul pays en Europe à ne pas reconnaître la République démocratique populaire de Corée, l'appellation « Corée du Nord » n'étant donc qu'une désignation par défaut et en opposition à celle du Sud. Malgré la fin de la guerre froide et la reconnaissance en 1991 des deux Corée par l'ONU et la plupart des pays du monde, sauf les Etats-Unis, le Japon et Israël, la France reste sur sa position, énoncée par le duo Chirac-Jospin entre 1997 et 2002 : la reconnaissance de la Corée du Nord passe par trois conditions : elle doit renoncer à son programme nucléaire, améliorer ses relations avec la Corée du Sud et respecter les droits de l'homme.

 

   Evidemment le ministre Jack Lang s'est préoccupé de la culture ; la culture française tout de même ! Et il s'est rendu à Pyongyang dans les années 2000 ; mais il n'existe à ce jour qu'un modeste bureau français de coopération culturelle et linguistique dans la capitale nord-coréenne, et il est composé de deux personnes ! Ce faisant, la langue française qui était encore appréciée et enseignée à Pyongyang dans les années 50 à 80*, est en recul depuis la fin de la guerre froide. Quant à l'enseignement du coréen en France, un seul lycée à Bordeaux le dispense (en option), alors même que c'est aussi la langue de la Corée du Sud, dixième puissance économique mondiale. Enfin, on s'en doute, les échanges économiques de la France avec celle du Nord sont très faibles voire inexistants (aucune entreprise française n'y est présente).

 

*: elle était appréciée dans le cadre des relations du régime communiste nord-coréen avec d'anciennes colonies françaises (par exemple l'Algérie).

 

 

 

   Visiter la Corée du Nord ? C'est possible, il y a une ambassade à Paris qui délivre des visas ; mais que voir et que faire ? Je dis aux élèves qu'on a bien peu d'images de ce pays et qu'en effet notre déficit d'imagination ne suscite pas vraiment la curiosité ou le désir d'en savoir plus. On redoute un certain malaise en raison de nos préventions et de nos inquiétudes à l'égard du régime politique ; cependant que le pays doit être très beau par certains de ses paysages, montagneux et littoraux ; sans doute règne t-il aussi dans la société nord-coréenne un certain ordre paisible qui doit être propice à l'observation. Et de toute façon le séjour touristique est largement organisé et contrôlé par les autorités ; il suffit juste de suivre le guide ! Cela fait un peu sourire les élèves mais je leur dis que je préférerais visiter la Corée du Nord plutôt que celle du Sud.

 

 

 

   En tout cas, les deux pays sont encore nettement séparés par une vraie frontière, certes démilitarisée, mais très contrôlée ; cela s'appelle une DMZ ; depuis quelques années elle est devenue une zone touristique pour Japonais, Australiens, Américains, Allemands, et autres ; à raison de 100-150 euros par personne les organismes de voyages se frottent les mains ; mais que visite t-on au juste ? Pas grand chose, un petit local bleu où se trouve un bureau qui a dû servir à la signature de l'armistice de 1953 ; je montre un petit reportage aux élèves où l'on voit un officier américain en uniforme de l'ONU qui indique aux visiteurs courageux qu'ils peuvent se placer de l'autre côté du bureau, car ils seront alors en Corée du Nord ; rires un peu crispés parmi les touristes. « Tout ce silence, c'est très étrange comme ambiance » déclare l'un d'entre eux ; tandis qu'une autre touriste, allemande, songe au mur de Berlin et espère que les deux Corée se réunifieront un jour...

 

   Et puisque nous parlons des frontières, une idée un peu insolite m'est venue à travers mon cours (ou plutôt en le préparant) ; celle de parler de la coupe du monde de foot de 1966. Quel rapport avec le sujet ? Eh bien le voici : cette coupe du monde organisée en Angleterre a été marquée par trois événements majeurs qui peuvent nous intéresser :

 

- D'abord l'équipe de Corée du Nord y a participé, elle était même la seule équipe nationale de tout le continent asiatique ; toutefois, n'étant pas reconnue par les autres nations, il fut donc décidé de ne pas jouer les hymnes (sauf lors du match d'ouverture et de la finale) ; à la surprise générale, l'équipe nord-coréenne, très disciplinée, se qualifia pour les quarts de finale en battant l'Italie 1-0 ; une rumeur circula par la suite, selon laquelle l'entraîneur coréen aurait changé tous les joueurs à la mi-temps, ni vus ni connus, car ainsi qu'aurait pu le dire le journaliste français Thierry Roland (qui commentait déjà à cette époque) : ils se ressemblent tous et ils s'appellent tous Kim ! Mais la Corée du Nord fut ensuite éliminée par le Portugal, 5 à 3, après avoir mené 3-0 au bout de vingt cinq minutes ; une autre rumeur circula par la suite, selon laquelle les joueurs coréens auraient été déportés au goulag ! Il n'en fut rien, et pour en savoir plus il faut voir le film « Le match de leur vie » , réalisé par un Anglais et sorti en 2002 ; je ne l'ai pas vu.

 

- Deuxième événement marquant de cette coupe du monde, de nombreuses fautes furent commises sur de très bons joueurs, comme Pelé, ce qui désola Thierry Roland, qui déjà s'interrogeait à l'époque sur la qualité de certains arbitres un peu dépassés ; il fallait donc les aider à mieux se faire respecter, mais comment ? L'un d'entre eux imagina le système des cartons, jaunes et rouges, qui fut mis en vigueur par la suite ; une frontière en quelque sorte pour les joueurs. Un élève me voit venir et me fait remarquer que les lignes sur le terrain sont déjà des frontières à respecter. En effet ! Tu ne crois pas si bien dire, et j'en arrive au troisième événement majeur de cette coupe du monde :

- Le troisième but des Anglais lors de la finale contre l'Allemagne fédérale. Le ballon frappé par Hurst touche la barre transversale et retombe sur la ligne de but ; l'a t-il franchie ? L'arbitre hésite, va consulter le juge de touche, et accorde le but. Les joueurs allemands protestent ; à l'époque, pas de « goal line technology », pas de « vidéo arbitrage » ; très vite quelques élèves de la classe retrouvent l'extrait de l'action**, « il y a bien but » me disent-ils et cela aurait été prouvé scientifiquement depuis ; cela reste discutable selon moi. Quoi qu'il en soit, c'est là un autre exemple d'une frontière qui prête à débat, et dont notre manuel de géopolitique ne parle pas. Heureusement que je suis là. 

 

 

 

 

** : voir extrait vidéo ci-dessous.

 

 



27/01/2021
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