En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Nouveaux manuels

 

    Depuis quelques semaines de nouveaux manuels d'histoire-géo sont apparus; une vingtaine par professeur ! Ils pèsent lourd et ils sont très encombrants; je croyais qu'avec le numérique et la "civilisation digitale" des écrans les manuels en question allaient disparaître; mais pas du tout; "ceci ne tuera pas cela", comme l'avait annoncé Victor Hugo dans son premier chapitre de Notre Dame de Paris; mais apparemment les cathédrales brûlent plus facilement que les livres  ! Les éditeurs, donc, Nathan, Magnard, Hachette, Belin, Hatier, et un nouveau venu, "le livre scolaire" avec son manuel collaboratif et participatif en papier recyclé durable, sont parvenus en trois mois à faire rédiger et illustrer de nouveaux manuels correspondant aux nouveaux programmes; un tour de force ! Je suis plutôt admiratif de tous ces professeur-e-s qui ont travaillé à cette affaire, et du reste, ils et elles (et inversement !) ont bien mérité d'avoir leur petite photo, c'est une nouveauté, sur les pages d'ouverture de ces manuels; c'est toujours intéressant de voir les visages, un peu ternes, fatigués, de ces brillants collègues, tous agrégés en général, qui ont fait l'effort de chercher et de sélectionner des documents accessibles aux élèves et susceptibles de bien leur faire comprendre les "choses"... L'un d'entre eux, qui enseigne en banlieue parisienne, à Meudon (Céline n'a qu'à bien se tenir !), a donné de lui une photo qui le représente avec un bonnet sur la tête et un tee-shirt floqué d'un slogan américain. C'en est bien fini du prof barbu avec le sous-pull et la veste en velours !

    Tou-te-s ces collègues expliquent aussi en quelques mots ce qui les a motivé-e-s et animé-e-s dans ce travail de rédaction de manuel; "l'esprit d'équipe !" répondent-elles, répondent-ils, et inversement; la "mutualisation" des compétences et des ressources ! et bien sûr, le "plaisir d'échanger" !  Sous-entendu: ce plaisir suppose un accord de fond, et qu'on soit "d'accord sur l'essentiel" comme nous l'avait déjà bien dit un inspecteur général aux mains blanches et à la voix caressante (et inversement) de passage dans mon lycée en 2001- L'essentiel ? Les Valeurs de l'Etat, de préférence républicain, les Droits de l'Homme et de la Femme, Droits naturels, culturels, sociaux et sociétaux, la Démocratie, son pluralisme modéré, ses élections en bonne et due forme, le Développement Durable Sans Frontières, ses mobilités, ses modalités, ses inégalités, ses transactions, ses transitions, ses transmissions... Les nouveaux programmes et manuels d'histoire-géo, plus encore que les précédents, et sans doute moins que les prochains, abordent et examinent ces "problématiques", ces valeurs et ces principes, en un carrousel de procédés et de méthodes pédagogiques qui donnent un peu le tournis; les élèves sont invités à une sorte de grande foire aux questions-réponses, aux jeux de rôles, aux activités les plus ludiques et entraînantes qui soient, c'est la fête foraine de tous les savoirs, de toutes les compétences, l'histoire-géo devient à la fois un manège enchanté et un musée des horreurs avec ses cadavres et ses figures spectrales, émotions et frissons garantis !  

 

   Bon, un peu de calme et quelques objections: d'une part je devine, je pressens, je subodore comme un paradoxe entre le sérieux parfois très plombé des questions abordées (esclavage, génocide, massacres en tout genre...) et le désir pédagogiste de rendre le savoir attrayant, interactif et toujours consensuel; paradoxe aussi entre le caractère souvent très "subjectif" et personnalisé de certains documents (témoignages, discours politiques) et l'objectif des "grandes idées" ou des "grandes lignes" que tout enseignant souhaite dégager afin de préparer au mieux ses élèves à rédiger clairement des résumés ou des synthèses. Comment passer en somme de l'analyse poussée (poussive) d'un texte de madame Rolland à une compréhension dégagée et tonique de la révolution française ? Je lance ici un appel aux historiennes girondines (pas forcément girondes) les plus subtiles !

    D'autre part, deuxième objection, la tentation d'étudier la révolution française et autres questions historiques en présupposant que les hommes d'autrefois, sauf exceptions, étaient des abrutis, des tyrans, des machos, ainsi que d'épouvantables fanatiques chrétiens, ne me paraît pas être une bonne approche, sociale et psychologique; et cette tentation peut en entraîner une autre (il en va ainsi des tentations), qui  consiste à faire une place à part aux femmes et à les présenter comme étant plus intelligentes et plus fines que les hommes. Cette "discrimination positive" me semble très sensible dans les nouveaux manuels.   

    Enfin, concernant la révolution française, qui dorénavant sera étudiée en début de classe de première, je ne vois, en dehors de ce qui précède, aucun grand changement explicatif ou interprétatif; c'est une révolution chronologique et "narrative" ou "événementielle" qui nous est proposée; une révolution dont le bilan n'est pas même esquissé; il y aurait pourtant quelques idées fortes à dégager, les voici:

 

   - Cette révolution, d'abord, est menée par de jeunes hommes, qui se méfient des femmes de la haute société, à commencer par Marie-Antoinette qui cristallise contre elle et contre le roi un discours révolutionnaire aux accents misogynes et virils (impuissance supposée de l'un, lesbianisme fantasmé de l'autre); Condorcet ne voit la femme que comme la "compagne" de l'homme, et s'il souhaite son éducation, c'est afin qu'elle puisse discuter avec son mari le soir au coin du feu ! Robespierre, quant à lui, n'y touche pas, et se complait dans les rêveries littéraires et solitaires (onaniques ?) de Jean Jacques Rousseau. Faut-il enfin rappeler comment Marat fut tué ? Par la main d'une gentille petite normande toute pieuse !

   - Cette révolution, ensuite, n'est pas du tout, et comme on le répète encore trop souvent, inspirée par la philosophie ou l'esprit des Lumières; Voltaire, Montesquieu, Kant auraient détesté les discours des Montagnards, les mouvements de foules et d'opinion qu'ils ont suscité ou provoqué, l'aveuglement, la violence et la perte de toute rationalité qui ont caractérisé bien des événements sanglants de cette révolution. La doctrine, l'idéologie et le fanatisme prennent le pas sur toute réflexion; le tribunal et la guillotine coupent court à toute discussion !

    -  Cette révolution, enfin, n'est pas démocratique du tout; elle affirme des valeurs ou des aspirations démocratiques mais elle ne les met point en pratique; la fameuse et fumeuse DDHC d'août 1789 (c'est ainsi que l'appellent les élèves !) est un testament bafoué et violé par les hommes de 1792 et plus encore par ceux de 1793, pour le plus grand bénéfice de ceux de 1794 ! La seule réalisation démocratique de cette révolution, c'est l'ascension sociale par la carrière militaire ou par les intrigues financières, voire les deux ensemble.

    Bref, cette révolution a été un fiasco politique et social effarant, qui n'en finit pas de questionner les bien pensants, qui ne parviennent pas à se défaire de l'illusion qu'elle aurait pu réussir, si, si, et si. Si tout simplement elle n'avait pas commencé !                                        

 



14/06/2019
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