En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Villages

 

   J'ai lu récemment Nos villages de l'historien Jean-Pierre Rioux (1); ce livre m'a été offert par un ami retraité, ex-collègue du lycée. Lecture fort agréable, sans difficulté, sans révélation, pleine de "bonnes références" (bibliographiques) qu'on pourrait qualifier de bien-pensantes, c'est à dire qui ne veulent pas démoraliser le lecteur, même si, par endroits, l'histoire des villages français est à pleurer. Jean-Pierre Rioux est un bon historien pacifique, de tradition républicaine sociale, progressiste et intégratrice; il lui arrive même d'écrire pour Ouest-France, c'est dire son sens du compromis ! On devine pourtant à la lecture qu'il a un peu de mal à interpréter la période récente des villages, depuis les années 1980; il hésite entre un tableau pessimiste (c'est fichu) et une approche dynamique (il y a de l'espoir); oui, bien des villages se meurent, et le sentiment d'abandon est une réalité sociale et culturelle de la France d'aujourd'hui; mais des "énergies positives" se signalent ici et là, une convergence d'intérêts nouveaux est possible, une entente, pourquoi pas, entre le type un peu réac qui tient le café du bourg et la jeune épicière écolo-bobo qui vient de s'installer avec l'aide de la mairie...

 

(1): Jean-Pierre Rioux, Nos villages - Au coeur de l'histoire des Français, Tallandier, 2019.

 

   Cette lecture me conduit à parler ici du village où j'ai grandi pendant les années 1970 et au début des années 80. J'ai souvenir de monsieur le curé, très Vatican II, très "clergyman", entouré d'une petite cour de "grenouilles de bénitier" comme disait mon père, qui, lui, n'était pas en odeur de sainteté auprès des béni-oui-oui et des bien pensants du village; il s'était présenté aux élections municipales et avait pris "une veste"; de fait, le lendemain une veste avait été accrochée au panneau indicateur du lieu-dit de notre exploitation agricole. Laquelle se trouvait à 3 km du bourg le long d'une route appelée "route des martyrs". Mon père ne goûtait pas vraiment la pédagogie chrétienne et pastorale qui invitait les élèves de l'école privée Sainte Bernadette à des sorties scolaires*; les relations du curé et des instituteurs, avec l'appui des familles en odeur de sainteté, avaient selon lui des airs de "petite mafia" ou de petite cour villageoise, hypocrite et tartuffe; déjà, à cette époque, existait une sorte de discrimination entre le "centre" du bourg et la "périphérie" agricole, entre la soi disant civilité de l'un et la soi disant rusticité de l'autre.

 

*: il avait été contraint d'accepter un séjour de "classe verte" dans les Alpes, car l'instituteur, le maire et le curé avaient dit: c'est tout le monde ou personne ! 

 

    Cela étant, je fus aisément intégré à la culture villageoise; par ma bonne petite bouille ronde et mon air jovial (comme il est mignon disaient les mamans du village); par mes bons résultats scolaires qui enchantaient les bonnes soeurs de la petite école (et monsieur le curé avait dit à je ne sais plus qui que je pourrais faire le séminaire !); et puis, à partir de 10 ans, grâce au foot qui me permit de diversifier mes relations et d'affirmer un autre aspect de ma petite personne. Il est bien dommage que ni Jean-Pierre Rioux ni Jean-Pierre Le Goff (La France d'hier) ne parlent du foot dans leurs tableaux de la culture sociale d'autrefois, des années 60 et 70. Car le foot a joué un rôle important pour acculturer le monde rural et paysan, l'associer progressivement aux loisirs de masse, sports, télé, rock*... Mon père, lui, est resté très réticent devant ce phénomène, se plaignant de la place envahissante du foot à la télé, jetant un regard à la fois sévère et amusé sur les protagonistes de ce loisir: "ils sont complètement à moitié fous avec leur foot !"

 

*: la relation entre foot et rock, c'était par exemple les joueurs aux cheveux longs et les frasques de certains d'entre eux (Georges Best par exemple) qui croisaient celles des vedettes du rock; Liverpool la ville des Beatles était aussi un grand club de foot des années 70 porté par un public passionné (le "kop" du stade de Anfield Road était redouté des équipes adverses). Le foot "rock n'roll" des clubs anglais, à la fois très rythmé et stéréotypé (beaucoup moins élaboré tactiquement qu'aujourd'hui), dominait alors largement le foot français, plus mélodieux peut-être, mais trop tendre et trop prudent face au style rugueux et offensif d'outre-Manche.

 

    J'ai vu le village se transformer: les commerces ont changé, la petite épicerie de la mère Mounier a été remplacée par un salon de beauté pour femmes (tenu par la soeur d'un bon copain), un nouveau cimetière a été aménagé un peu à l'extérieur du bourg, la mairie a été restaurée et agrandie, la voierie refaite, élargie, avec toutes sortes de nouveaux panneaux de signalisation, et le village surtout a vu sa population changer, passant en trente ans de 2000 à 2800 habitants, dont 90 % qui travaillent à l'extérieur, dans les petites ou les grandes villes du département; il n'y a plus aujourd'hui qu'une dizaine d'exploitations agricoles (contre une bonne centaine pendant mon enfance), et elles sont devenues immenses (plus de cent hectares, plus de cent vaches...). Evidemment, la petite cour villageoise d'autrefois a disparu, et les grenouilles de bénitier avec; mon père, vers la fin de sa vie, a conseillé d'une certaine manière (en lui racontant un peu l'histoire du village) une jeune femme qui habitait juste en face de sa maison et montrait de l'intérêt pour les affaires municipales. Elle est devenue maire du village.  

 

   L'église n'a pas disparu (voir photo ci-dessous) mais les messes y sont à présent très rares.

 

                          

                    

 



09/05/2019
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