En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Réflexions de fin d'année

 

   Pour l'instant je ne suis pas malade, même si je sais bien, comme dirait le docteur Knock, que toute personne en bonne santé est un malade qui s'ignore; et dans le cas du coronavirus qui nous occupe, ce sont les gens apparemment non-malades, asymptômatiques, qui sont les plus à craindre, car ils sont sans doute porteurs du virus et par conséquent ils peuvent contaminer à tout va; un vrai malade, en revanche, reste confiné chez lui, ou alors à l'hôpital. Mais vrai malade, qu'est-ce à dire ? Car la maladie présente des stades et des degrés différents.  Comme me l'a expliqué mon brillant collègue de philo du lycée, la langue anglaise est plus précise, car elle utilise trois mots ou trois notions pour désigner la maladie: un mot pour le sentiment individuel et subjectif d'être soi-même malade, un mot pour le constat médical qui fait de vous un malade objectif, si l'on peut dire, et un autre mot enfin pour la reconnaissance administrative de votre maladie ! En France, en revanche, un seul et même mot, malade, pour dire toutes sortes de situations et de sentiments, une totalité indistincte et fervente que le chanteur Serge Lama a voulu traduire par un refrain bien connu des Français de plus de 50 ans:  "Je suis mala-de ! Complètement mala-de !" etc.  On peut penser, par conséquent, que la société française puisse être portée à une certaine paranoïa de la maladie....

   Plus sûrement, les dirigeants et les médias de masse ont très vite activé, animé et entretenu un climat de "psychose" sanitaire; certes, ils s'en défendent en disant qu'ils y ont été obligés par l'indiscipline ou la désinvolture d'un petit nombre de Français, ainsi que par les propos "dissidents" du professeur Raoult et de quelques autres médecins exagérément relayés par certains sites et réseaux sociaux susceptibles parfois de verser dans le "complotisme". Si ces "fauteurs de troubles" agissant et s'exprimant en toute impunité n'avaient pas sévi, le climat sanitaire eût sans doute été plus sain et plus serein; il l'eût même été davantage si le virus était resté "confidentiel" ou "banal", à la manière des "bons vieux virus" d'autrefois, venus de Chine ou d'ailleurs, ou à la manière des habituelles grippes et autres gastros... Mais voilà: plus rien désormais n'échappe à la mondialisation de la communication de masse (le "village global" comme disent les sociologues des médias), et le virus "réel", si l'on peut dire, microscopique et encore mal connu, a déclenché toutes sortes de discours et de mesures (confinement) qui ont pu donner l'impression d'un "sur-réalisme". 

   Qu'est-ce que le réel d'ailleurs ? La question se pose et les philosophes ont sans doute bien des réponses à nous proposer; quant aux historiens, que je connais un peu, ils se font souvent du réel l'idée d'une action précise, particulière, émotive, sincère, instantanée; l'histoire réaliste serait donc selon eux celle des témoignages "vrais", sans médiation et sans "filtre"; mais pour d'autres historiens, au contraire, le réalisme historique consiste plutôt à se méfier des témoignages, et à privilégier une analyse distanciée et refroidie des événements et des situations; je suppose que chez les historiens les plus doués, l'un n'empêche pas l'autre, le témoignage n'étouffe pas mais au contraire ouvre l'espace de l'analyse et de la compréhension sur lequel ils font prudemment glisser leur plume, ou leur souris. Disons, pour simplifier la question, que le réalisme des intellectuels est plutôt de type prudent, tandis que celui des écrivains et des artistes est davantage une exaltation, du moins une implication, un engagement, un parti-pris. Quant au réalisme politique, ou pire, géopolitique (je pense au concept de real-politik de Kissinger), il est souvent synonyme de ruse et de cynisme; il ne vise qu'à certains résultats et objectifs, et peut s'avérer capable des pires moyens pour y parvenir. Enfin, dans un livre intitulé "la tyrannie de la réalité", la journaliste Mona Chollet déplore le réalisme économique ou économiste (hyper-capitaliste) de ces trente dernières années qui s'est emparé des discours politiques; ce réalisme des affaires, écrit-elle, pousse aux inégalités, les valide et les justifie, tout en négligeant les vrais enjeux humains, humanistes, sociétaux et environnementaux de notre monde (1). 

 

(1): Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, 2004, puis Folio-actuel, Gallimard, 2006. Mona Chollet, d'abord journaliste au Monde diplomatique, écrit des livres qui se vendent plutôt bien depuis une dizaine d'années; elle préconise (en douceur) une nouvelle société, plus sensible, plus tranquille, plus partageuse et plus rêveuse; bien sûr elle encourt souvent le reproche de n'être qu'une bobo de gauche bien confortablement assise devant son ordinateur. C'est un reproche que j'ai pu lui faire à propos d'un de ses derniers livres, avant de m'apercevoir que j'étais moi aussi bien confortablement assis devant mon ordinateur !

 

    L'ordinateur, justement, parlons-en un peu: c'est un outil formidable, bien sûr, notamment depuis les dix dernières années avec la multiplication des sites et des ressources "culturelles"; on peut aujourd'hui écrire une thèse en restant bien peinard sur son fauteuil (c'est ainsi que procède mon brillant collègue de philo, qui n'a même pas de voiture); l'ordi. favorise donc le "chez-soi" (titre d'un livre de Mona Chollet) tout en étant qualifié d'outil d'ouverture et de partage. Disons qu'il offre bien des possibilités, que leurs utilisateurs, mille fois pour une, n'exploitent pas; je fais partie de ces utilisateurs-là, car je me limite à quelques sites et à la rédaction de mon blog. Comme me le rappelle parfois Victorine, je n'y connais vraiment pas grand chose en informatique. Mais je mentirais si je disais que le "web" n'a pas changé ma façon de travailler; il me permet d'utiliser beaucoup de ressources vidéo et de documents mis en ligne par des collègues plus doués que moi. Parfois, le souvenir de la pauvreté "documentaire" de mes premières années d'enseignement, quand il n'y avait pas le "web", me laisse songeur. Il y avait le manuel, rien que le manuel. Peut-être alors savait-on mieux utiliser les maigres ressources dont on disposait; avec le "web" en effet on peut avoir le sentiment d'une facilité de "savoir" qui affaiblit peut-être le raisonnement (le questionnement); certains intellectuels le pensent; et l'ère du "clic" en tout cas ne favorise pas la patience, ni la clémence ni la tolérance; mais ces qualités-là n'ont jamais été majoritaires de toute façon, et l'homme des cavernes devait être lui aussi déjà très impétueux et violent en certaines occasions.

   Une chose est sûre à présent: l'homme moderne ou post-moderne (cela dépend des pays) transforme rarement ses opinions en actes; et heureusement. Certains intellectuels le décrivent par conséquent comme une créature inhibée, timorée, stressée, renfermée; une créature soumise et facile à contrôler. Le port du masque au cours de cette année a pu renforcer cette thèse de la soumission (le masque muselière ainsi que l'appellent ses détracteurs). Mais d'autres observateurs au contraire estiment que la société (le vivre-ensemble !) montre d'étonnantes capacités de "résilience" (le mot à la mode des bien-pensants) face aux nouvelles conditions de vie (et de travail) que les "circonstances" lui imposent... Une autre chose est sûre en tout cas au beau milieu de toutes ces hypothèses intellectuelles: le discrédit croissant des dirigeants, qu'il s'agisse des chefs d'Etats, des grands patrons de firmes multinationales ou des "figures de proue" médiatiques de la mondialisation et du mondialisme. Mais ce discrédit est sans conséquence pour eux, et il se peut même qu'ils s'en félicitent, voyant dans l'impuissance de leurs innombrables contempteurs la preuve éclatante de leur propre puissance.       

    Tout cela laisse bien songeur en tout cas le modeste auteur de ce blog, qui poursuivra néanmoins son travail et ses réflexions en 2021; et il y aura matière à réfléchir... Mais en attendant il adresse ses meilleurs voeux à ses quelques lecteurs.  

            

               

 

            

 



30/12/2020
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