En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Le Proche et le Moyen Orient sont souvent extrêmes...

 

    C'est ainsi que je débute habituellement mon cours sur le Proche et le Moyen Orient au XXe siècle; ce sont en effet des régions du monde marquées par de nombreuses guerres qui s'enchaînent et se combinent; ici la guerre n'est plus un "accident", mais une"logique", une "synergie", une "montée aux extrêmes" qui entraîne la politique et les Etats; Clausewitz avait peut-être déjà compris cette "dynamique" de la guerre, en montrant, d'après les exemples de son époque (début et milieu XIXe) qu'elle était devenue un phénomène "total", impliquant et mobilisant des millions d'hommes, des économies entières, et modifiant les territoires, les frontières, les nations... Mais en lisant Clausewitz, on comprend aussi autre chose: que la guerre, froidement et rationnellement pensée, planifiée, organisée, n'en sera que plus folle et destructrice. Dans un style élégant, Clausewitz envisage des horreurs !

    Les causes de la guerre sont toujours à rechercher dans la volonté et les calculs des chefs; les peuples n'y sont jamais favorables, et c'est une belle escroquerie de certains historiens ou essayistes que de les en rendre à moitié responsables par le supposé nationalisme belliqueux qui les motiverait; la "haine" n'est certes pas à exclure, mais c'est par la guerre et ses premières violences (les débuts de guerre sont toujours très meurtriers) qu'elle pénètre dans les peuples; et Clausewitz écrit froidement qu'elle peut jouer un rôle important sur le champ de bataille et à l'arrière. La guerre "moderne" consiste à enflammer les opinions, en même temps que les chefs, eux, doivent garder la tête froide. Cette logique conduit à élargir encore plus le fossé qui déjà sépare les peuples de ceux qui les commandent; par la guerre ce fossé devient le gouffre où s'effondrent et se retrouvent engloutis des millions de pauvres individus; et l'individualisme dont on vante en période de paix les avantages (liberté, autonomie, émancipation) est en vérité bien faible et bien démuni quand la guerre éclate et que sa solitude tranquille est brusquement mise au service d'une plénitude de feu et de fureur. L'entrée en guerre de l'individu peut être résumée par la remarque de l'écrivain Raymond Roussel: "Il y avait beaucoup de monde et je ne connaissais personne".

   Ces quelques considérations peuvent éclairer, je crois, certains aspects de la guerre au Proche et au Moyen Orient. Une idée forte, me semble t-il, doit être mise en avant: le Proche et le Moyen Orient sont constitués d'Etats dont les populations augmentent régulièrement, et se concentrent dans les villes; les taux de fécondité ont certes diminué depuis 1945 mais la natalité reste dynamique, encouragée par des politiques familiales voire religieuses et nationalistes (en Israël par exemple), qui peuvent déboucher sur des situations de tensions ou de "stress" économique et social; la guerre a souvent servi et servira encore d'exutoire ou d'échappatoire à de telles situations; ce qui veut dire, aussi, que les gouvernements savent agiter le peuple avant de s'en servir ! Une autre donnée, combinée à la précédente, joue un rôle important au Proche et au Moyen Orient: c'est la religion. Souvent, les familles nombreuses sont religieuses (même si les démographes et sociologues sont parfois très embarrassés par le sujet), et la pression démographique et sociale qui s'exerce dans un pays peut facilement prendre une dimension religieuse, que ce soit le jihadisme qui se développe chez les jeunes gens ou le sionisme le plus exalté qui s'observe dans les colonies juives de Palestine. Les gouvernements qui font face à ces passions religieuses peuvent s'en servir le cas échéant pour "monter aux extrêmes" dans leurs relations avec des pays voisins. Ce qui nous amène bien sûr à une troisième raison possible des guerres, la plus réputée dans l'opinion publique extérieure, et qui est celle des ressources, notamment du pétrole, mais aussi de l'eau et des terres agricoles. Cette raison ne doit pas être exagérée cependant, car la mondialisation opère depuis trente ans une certaine réorganisation des enjeux, où les groupes industriels et financiers les plus puissants n'ont guère intérêt à s'entre-déchirer, mais au contraire tout intérêt à calmer le "jeu" et à faire pression le cas échéant sur des gouvernements qui se montreraient un peu trop velléitaires sur cette question en caressant par exemple des projets de "nationalisation". Georges Corm, l'un des meilleurs connaisseurs géopolitiques du Proche et du Moyen Orient, estime que le pétrole n'est plus au coeur des conflits depuis une trentaine d'années, même s'il en reste un facteur "non négligeable" selon la formule consacrée; quel est donc alors le facteur dominant ou déterminant des nouveaux conflits au Proche et au Moyen Orient ? Georges Corm pense que le désir des Etats-Unis et de l'Union européenne de renforcer leur hégémonie dans cette partie du monde, entre l'Occident et l'Orient, au contact de la Russie et de la Chine, peut ou pourrait expliquer notamment la guerre en Syrie et les complications de son déroulement. Car ce désir d'hégémonie, en effet, doit rester couvert ou discret, et s'exercer par des opérations déléguées ou indirectes (d'où le développement des "milices", qui sont des sortes de "filiales militaires" des grandes puissances); il n'est pas question pour les Etats-Unis de révéler au grand jour pourquoi leur domination (hégémonie) est la condition sine qua non de leur puissance. Georges Corm reste lui-même assez évasif sur le sujet. Et les hypothèses vont bon train par conséquent pour expliquer la passion des Etats-Unis pour le Proche et le Moyen Orient: commerce des armes et du pétrole, combiné au monopole du dollar, soutien inconditionnel à Israël et au sionisme, mais aussi soutien à certains groupes islamistes jugés utiles pour déstabiliser les pays arabes ou autres qui voudraient s'ériger en Etats émancipés de la domination occidentale...

    Vaste question, par conséquent, qui peut avoir des développements quasi "surnaturels" où se donnent rendez-vous les hypothèses complotistes ou conspirationnistes les plus "mystico-dingo", pour parler comme mon camarade Imparcial. Je m'en tiens pour ma part à une approche très raisonnable de la question; car la raison doit pouvoir penser les extrêmes. Et même les confondre et les abolir.                         

 



10/04/2020
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