Hommage à Poulidor
J'ai appris par un texto de Victorine la mort de Raymond Poulidor; j'étais en train de déjeuner, parmi d'autres profs, mais personne avec qui échanger. Seuls les plus de 50 ans ont pu voir à la télé les dernières participations de Poulidor au Tour de France (1974, 1975, 1976). Et très rares sont les collègues à s'intéresser au cyclisme, sauf dans les voies technologiques et professionnelles. C'est un sport plutôt masculin. L'après-midi je suis allé pédaler un peu, pour lui rendre hommage. Comme l'a dit Merckx, Poulidor a fait aimer le vélo à la France et aux Français, malgré l'essor de la "bagnole". Les partisans de Poulidor ont toujours été très nombreux, bien plus nombreux que ceux d'Anquetil, ou de Thévenet; et ne parlons pas du Belge Eddy Merckx, très peu aimé du public français. Les raisons de cette "poupoularité" sont connues: simplicité et gentillesse du personnage, malchance et maladresse du coureur, mais résistance, endurance et optimisme inébranlable. D'aucuns diront que Poulidor incarne le "brave Français", un peu naïf, facile à duper, mais lui-même roublard et lucide en certaines occasions. A la différence d'Anquetil ou de Merckx, souvent présentés comme des "machines à gagner", des champions "programmés" et "froids", la carrière de Poulidor dégage une ampleur plus chaleureuse et plus conviviale; pas d'exploits, pas de records, mais beaucoup de "belles victoires", le Tour d'Espagne, Paris-Nice, Milan-San Remo, etc. Les amateurs de mots et de noms, enfin, tel un Roland Barthes, diront aussi que Poulidor sonne "rond" et "onctueux" tandis que Merckx ou Anquetil sonnent "aigu" et "coupant".
En soirée, je regarde sur la chaîne L'Equipe, en hommage à Poulidor, la diffusion de sa dernière victoire d'étape sur le Tour, le 15 juillet 1974 à Saint-Lary dans les Pyrénées. A cette époque la retransmission télé est de très mauvaise qualité, les images sautent, les motos-caméras ne sont pas nombreuses, et on a peine à suivre le déroulement de la course; les commentaires sont un peu plus secs et moins enjolivés que ceux d'aujourd'hui, le journaliste de l'ORTF Daniel Pautrat n'hésite pas à parler des contrôles "anti-dopping" qui pourraient selon lui expliquer l'allure ralentie de certains coureurs; la retransmission ne couvre que la toute dernière partie de l'étape, environ une petite heure de direct. Autre différence avec les années 2000: le public est nettement moins présent sur les routes, et Poulidor, bien que "follement acclamé", selon le journaliste sur la moto, n'est guère gêné par les supporters pour monter à son rythme vers Saint Lary (1). Parmi une dizaine de coureurs, il est parvenu à accélérer et à se détacher, creusant peu à peu un écart d'une minute avec Merckx qui derrière lui mène le train des poursuivants. Le champion belge semble à la peine, assis sur sa selle, balançant les épaules et même obligé de changer de vélo pour se relancer. Poulidor, quant à lui, souvent en danseuse, a trouvé une bonne cadence, régulière, efficace.
A 38 ans, le champion français retrouve une nouvelle jeunesse, tandis que Merckx, 29 ans, montre des signes de déclin. Deux ans plus tard, le Belge déclare forfait pour le Tour, mais Poulidor, lui, répond bien présent et termine troisième, à 40 ans; l'occasion pour le chroniqueur Antoine Blondin de faire un bon mot: "le quadragêneur".
(1): Toutefois, Antoine Blondin parle de la "joie délirante de milliers de personnes" aux abords de Saint Lary, reflet selon lui d'une ferveur populaire de 50 millions d'habitants en faveur de Poulidor; dans un autre registre, l'étape est marquée par une altercation entre Cyrille Guimard et un coureur belge équipier de Merckx. Le lendemain, 16 juillet, un groupe anti-franquiste commet des attentats contre des véhicules du Tour et des cars de pèlerins de Lourdes, et deux jours plus tard ce sont des paysans des Landes qui perturbent le passage de la course. Voilà pour l'ambiance de l'époque.
La longévité de Poulidor peut s'expliquer par une "bonne hygiène de vie" et une solide constitution d'origine paysanne (cela dit, certains paysans peuvent être très chétifs et maladifs); on peut l'expliquer aussi par une sorte de quiétude et de tranquillité dans l'exercice de son sport; Poulidor a toujours dit, on peut le croire, qu'il ne cherchait pas forcément la victoire, mais qu'il pouvait bien sûr s'en saisir quand l'occasion se présentait; coureur paisible, il fut souvent surpris par certaines attaques d'adversaires plus incisifs et tonitruants; enfin il ne fut pas vraiment un leader d'équipe, et ne portant pas une seule fois le maillot jaune il n'eut donc jamais à assumer "le poids de la course".
Les quarante dernières années de sa vie furent remplies en "relations publiques"; le compte en banque aussi fut rempli; Poulidor n'aimait pas dépenser; il dit lui-même qu'il payait souvent les restaurants en chèque car une fois sur deux son chèque n'était pas encaissé en raison de la signature que le restaurateur voulait conserver ! Il poussa sa Mercèdes jusqu'à 750 000 km, allant de petite ville en petite ville pour vendre ses livres, qu'il n'avait sans doute pas écrits lui-même; mais il maîtrisait son expression et ses propos sonnent toujours justes. Enfin, il suivit jusqu'au bout les exploits de son petit fils, Matthieu Van der Poel, champion du monde et champion d'Europe de cyclo-cross, et peut-être demain vainqueur du Tour...
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