Planète en danger ?
L'hiver se termine aujourd'hui; "il fait beau, vous allez pédaler ? me demande Bruno le vendeur de fruits et légumes; pourquoi pas, en attendant mettez-moi une betterave cuite; "ronde ou longue ?"; ronde, ronde ! La vie est faite de petites préférences, parfois enthousiastes; plus j'avance en âge, plus je suis sensible aux détails du quotidien, aux précisions des gestes, aux nuances et aux modulations des sentiments et des idées.
Les saisons en climat tempéré présentent beaucoup de variations; elles ne sont pas aussi tranchées ou contrastées que sous les tropiques ou aux latitudes polaires; il est fort dommage et même plutôt gênant que l'étude des climats ne soit plus aux programmes de géo de lycée; et pourtant, la question du réchauffement ou du dérèglement climatique n'en finit pas d'agiter les opinions; les jeunes gens se mobilisent pour "sauver la planète"; vendredi dernier, quelques-uns de mes élèves sont descendus manifester dans les rues de Caen. Avec les autres, majoritaires et restés en classe, j'ai essayé d'évoquer les difficultés de cette question, même si les experts en climatologie affirment partout qu'il n'y a aucun doute et aucune hésitation à avoir: oui la planète est en danger, menacée par la pollution atmosphérique et les gaz à effet de serre; oui, les gouvernements doivent donc prendre des mesures. Ils en ont déjà pris, dis-je aux élèves, et il suffit de feuilleter notre manuel de géo pour apprécier les efforts en faveur du "développement durable"; même si ces efforts ou ces mesures, j'en conviens, ne touchent bien souvent que les villes des pays riches et développés; qu'en est-il dans les pays d'Afrique noire, d'Asie centrale ?
Il faudrait aller y voir; c'est la démarche que recommande le jeune écrivain géographe Emmanuel Ruben, dont je lis le portrait dans une revue littéraire du CDI de mon lycée; son dernier livre est un récit de voyage effectué à vélo le long du Danube (1); c'est le coeur de l'Europe, ou disons l'artère principale, là où respire le maximum de la diversité culturelle et linguistique du continent; Emmanuel Ruben, pur produit des institutions scolaires françaises, normalien, sorti major de l'agreg de géo à 24 ans, déplore le schématisme technique, froid et abscons des "penseurs" occidentaux de l'Europe; il se désole aussi de cette union européenne bruxelloise, très formatée, très normative, qui ne tient pas compte des innombrables variétés et subdivisions, culturelles, sociales, linguistiques, qui façonnent et parfois déchirent les entités politiques de l'Europe danubienne et balkanique; le terme "balkanique" est devenu même synonyme chez certains géopolitologues de "morcellement", de "puzzle", et par conséquent de phénomène dommageable et contraire aux logiques d'intégration commerciale, libérale et capitaliste de la mondialisation. En Hongrie, constate Emmanuel Ruben, c'est le début de cette Europe "étrangère" à l'Occident, où l'anglais n'est pas bien parlé, où l'intellectuel français avide de débats, et d'en forcer les termes, se trouve assez vite désemparé devant le silence et la méfiance de ses hôtes.
(1): Emmanuel Ruben, Sur la route du Danube, Rivages, 2019.
https://www.cultura.com/sur-la-route-du-danube-tea-9782743646509.html
Les limites des intellectuels français sont également signalées et dénoncées par l'esssayiste anglais Roger Scruton (2), dans un entretien accordé au Figaro mercredi dernier 13 mars; ils ont voulu guider le peuple mais le peuple n'a pas voulu être guidé, ni par eux ni par d'autres; alors ils ont inventé le mot "populisme" pour désigner ce que veut le peuple sans l'aide des intellectuels de gauche. Que veut le peuple ? Pour Roger Scruton, intellectuel conservateur (donc de droite), les ouvriers aspirent à la propriété, si possible sous la forme d'une maison; ils aspirent aussi à une vie de famille relativement stable et structurée; bref, le peuple est foncièrement conservateur, ou très modéré en tout cas; il n'aspire pas à l'Egalité qui coupe les têtes qui dépassent; il aspire aussi à un certain confort et à une certaine beauté, difficile à mesurer il est vrai; mais Roger Scruton explique:
" Je pense qu'il y a, chez une certaine gauche, une hostilité à la beauté lorsqu'elle est ordinaire. S'habiller le dimanche, avoir de beaux meubles, avoir des goûts classiques, tout cela est suspect. Les monstrueux immeubles HLM qu'on a construits un peu partout au XXe siècle sont des désastres esthétiques qui produisent une grande misère sociale et morale. Le confort a supplanté la beauté, qui n'est pas quantifiable. L'uniformité dictée par l'Etat centralisateur cachait parfois implicitement une condamnation de l'architecture bourgeoise. On n'appelle plus "bourgeois" mais "nimby" (Not In My Backyard) les habitants qui refusent que la laideur s'installe près de chez eux, avec une nuance de mépris pour leur manque de sacrifice à l'égard de l'intérêt général... Prenons l'exemple du centre Beaubourg, qui a été conçu par Richard Rogers, un architecte britannique de gauche, qui voyait dans la destruction d'un antique quartier de Paris l'accomplissement du voeu de Le Corbusier. Il a fait ce morceau d'absurdité, cette machine pleine de tuyaux colorés que personne n'aime, et lui-même, fait lord par Tony Blair, vit dans une maison de style géorgien dans un quartier protégé de Londres. Une belle allégorie de l'intellectuel de gauche."
(2): Roger Scruton, L'Erreur et l'Orgueil- Penseurs de la gauche moderne, Editions de l'Artilleur, 2019.
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