Extraits

De quelques livres lus ou parcourus récemment, je donne ici quelques extraits. D'abord, un passage de La Mano Negra a retenu mon attention: l'expérience "démocratique" d'un club de foot brésilien, les Corinthians de Sao Paulo, où jouait un certain Socrates:

- "Poussés par un joueur extraordinaire du nom de Socrates... les joueurs brésiliens conquirent la direction du club Corinthians" écrit Eduardo Galeano en 2003 dans les colonnes du Monde diplomatique. Nombre d'auteurs ont rendu hommage à cette époque dorée, mais personne ne l'a fait comme l'écrivain uruguayen, dont la conscience politique et la sensibilité footballistique se marient avec les principes de Socrates et d'Adilson Monteiro Alves, le sociologue nommé président du club. "Insolite, jamais vu: les joueurs décidaient de tout, entre eux tous, à la majorité. Démocratiquement, ils discutaient et votaient les méthodes de travail, les systèmes de jeu en s'adaptant au mieux à chaque adversaire, la répartition de l'argent récolté, et tout le reste. Sur leurs maillots on lisait: "Démocratie corinthiane". Au bout de deux ans, les dirigeants évincés récupérèrent les manettes et mirent le hola. Mais tant que dura la démocratie, le Corinthians, gouverné par ses joueurs, offrit le football le plus spectaculaire et le plus audacieux de tout le pays, attira dans les stades le plus vaste public, et fut deux fois vainqueur du championnat de Sao Paulo." (1)

(1): Romain Molina, La Mano Negra, Hugo Sport, poche, 2019, 333 pages, pp. 224-225. Je propose aussi en bas de l'article une photographie de Socrates.

Autre Amérique, celle du Nord, et autre démocratie, celle du livre de Tocqueville écrit en 1835. En un style limpide et dominateur (aristocratique si l'on veut), le jeune écrivain français (à peine 30 ans quand il écrit ces lignes) esquisse une comparaison entre les moeurs sociales de l'Europe et celles des Etats-Unis:

- " En Europe, presque tous les désordres de la société prennent naissance autour du foyer domestique et non loin de la couche nuptiale. C'est là que les hommes conçoivent le mépris des liens naturels et des plaisirs permis, le goût du désordre, l'inquiétude du coeur, l'instabilité des désirs. Agité par les passions tumultueuses qui ont souvent troublé sa propre demeure, l'Européen ne se soumet qu'avec peine aux pouvoirs législateurs de l'Etat. Lorsque, au sortir des agitations du monde politique, l'Américain rentre au sein de sa famille, il y rencontre aussitôt l'image de l'ordre et de la paix. Là, tous ses plaisirs sont simples et naturels, ses joies innocentes et tranquilles; et comme il arrive au bonheur par la régularité de la vie, il s'habitue sans peine à régler ses opinions aussi bien que ses goûts. Tandis que l'Européen cherche à échapper à ses chagrins domestiques en troublant la société, l'Américain puise dans sa demeure l'amour de l'ordre, qu'il porte ensuite dans les affaires de l'Etat." (2)

(2): Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, vol. 1, Folio-histoire, 1986, p. 432. Je propose en bas de l'article un portrait peint de Tocqueville.

Comparaison encore avec les Etats-Unis: l'historien politique Arnaud Teyssier rappelle comment au début des années 1980 les idées libérales anglo-saxonnes pénètrent dans la société française; il fait allusion au livre-enquête de Guy Sorman sur la "révolution conservatrice américaine":

- " Le livre de Guy Sorman, incisif... ne se contente pas démontrer que Ronald Reagan n'est pas l'être primaire que l'on se plaît à décrire. Habilement, il fait valoir que le nouveau président américain est le porte-parole d'un mouvement plus profond... Une partie de la presse conservatrice française relaie avec insistance ces idées et cette conviction... Libéralisme: le mot est lâché. La droite française sera libérale ou ne sera pas. L'ère de la mauvaise conscience s'achève, l'appellation même de droite, rejetée traditionnellement par les partis conservateurs français, est désormais acceptée, arborée même. A mesure que l'impopularité de la gauche grandit, que l'échec de sa politique économique et sociale se confirme, l'épithète de droite devient une parure presque gracieuse..." (3).

(3): Arnaud Teyssier, Histoire politique de la Ve République, Perrin, coll. Tempus, 2011, pp. 408-410. Je propose en bas de l'article une photographie de Ronald Reagan.

La droite conservatrice française s'est donc ralliée au libéralisme, et a quelque peu délaissé ses "valeurs" traditionnelles: la famille et la religion notamment. Autre historien et haut fonctionnaire, comme Arnaud Teyssier, voici à présent un extrait de Camille Pascal, ex-proche collaborateur de Nicolas Sarkozy, mais aujourd'hui plutôt retiré du monde des affaires et de la politique; ce qui lui donne le temps et le loisir d'écrire. J'ai choisi quelques lignes de son introduction à un récit historique intitulé: Ainsi, Dieu choisit la France.

- "L'auteur de ces lignes sait à quoi il s'expose en écrivant, à nouveau, ce qui était pourtant enseigné comme vérité révélée il y a encore un demi-siècle par l'école de la République elle-même. On peut l'avoir oublié aujourd'hui, il n'en demeure pas moins que si la France s'est construite envers et contre tout, c'est d'abord parce qu'une longue lignée de rois, de reines, aussi pieux que redoutables, quelques grands saints, et enfin la foule immense de ceux qui nous ont précédés, ont cru, avec foi et sincérité, qu'en élevant la France comme une cathédrale politique et humaine, ils participaient au dessein de Dieu qui avait choisi d'agir à travers eux." (4)

(4): Camille Pascal, Ainsi, Dieu choisit la France - La véritable histoire de la fille aînée de l'Eglise, Presses de la Renaissance, 2016, puis Artège Edition, poche, 2019, p. 10. Je propose en bas de l'article un portrait peint de Louis IX dit Saint Louis.