En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Encore une

 

   Voilà, encore une année scolaire qui s'achève... la vingt-huitième... Cela commence à faire beaucoup. Assez pour avoir l'impression que le métier de prof me convient plutôt bien; d'une part il oblige à une certaine énergie, à une certaine volonté, à une certaine rigueur d'organisation; il oblige aussi à la patience devant des élèves qui parfois n'en ont plus guère; d'autre part il offre des loisirs, du repos, du relâchement, un peu de tranquillité.

 

    Cette saison 2018-2019 fut satisfaisante; je crois avoir donné satisfaction à bon  nombre d'élèves, qui ont apprécié ma "fougue" et mon "charisme", je les cite; il m'arrive en effet d'avoir le propos un peu vif et une manière de parler qui détonne, quand par exemple je brise les opinions les plus convenues sur: la démocratie, l'esclavage, la colonisation, la condition féminine, le réchauffement climatique... Parfois, ce sont mes attitudes, mes expressions de visages, et ma souplesse corporelle qui retiennent l'attention des élèves; des années plus tard, l'un d'entre eux croisé dans la rue se souvient aussi de mes imitations (De Gaulle, Churchill, Giscard...). Il est bon, je crois, de savoir créer en classe des petites mises en scène, des jeux de personnages, des "complicités" qui permettent d'adoucir un peu l'atmosphère des notes et du travail.

    Mais ce n'est pas toujours possible; j'ai souvenir de classes totalement hostiles à mes "simagrées" ou à mon humour; dans ces cas-là, les heures sont longues et l'esprit perd souvent son calme. Cette année, rien de tel, en dehors de quatre ou cinq petits coups de gueule, contre une élève de première, par exemple, remettant en cause la qualité de ma notation.

   La notation créé des crispations, des incompréhensions, des joies et des peines; c'est elle, et non pas l'élève, qui est au coeur de notre système scolaire; c'est elle qui motive, démotive, qui détermine le travail et parfois le tétanise; elle développe une certaine intelligence du résultat qui ne favorise pas forcément les bonnes manières. J'ai souvenir d'avoir lu un intellectuel américain (sans doute Chomsky) qui vantait dans son pays les bienfaits d'une école sans notation. C'est tout le contraire ici en France, où la réforme du bac, la saison prochaine, va accentuer la "pression des notes" à travers le contrôle continu.

   Depuis trois ans je note moi aussi le travail continu, mais d'une façon discrète, ou informelle; disons que je passe dans les rangs de la classe, je regarde les cahiers, j'examine la "trace écrite" du cours, la qualité des schémas et des croquis, sans oublier le comportement global de l'élève; cette manière d'évaluer, toute en douceur, contribue à détendre un peu l'atmosphère, et donne confiance à des élèves sérieux (l'immense majorité) qui parfois ont des difficultés face aux exercices notés de façon plus formaliste. Je suis donc un professeur très libéral, et sans doute un peu laxiste aux yeux de certains collègues rigoristes.

    Mais c'est ainsi, également, que je parviens à préserver un temps libre et indispensable pour lire et transmettre aux élèves des idées ou du moins des informations supplémentaires à celles qu'on peut trouver dans les manuels. Mais là aussi, tout en douceur, pas question de s'insurger ou de s'offusquer; face aux convictions parfois rageuses de certains collègues je n'oppose bien souvent aucune résistance; je suis comme Ovni quand il entend l'aspirateur; il se barre !

 

    Face au "populisme écologiste" d'un bon nombre d'élèves et de collègues, une manière de repeindre en vert ce qui auparavant était rouge, et surtout, l'idée que cette peinture verte pourrait avoir comme avantage de prévenir des moisissures "brunes", il est difficile en effet d'opposer quelque argument que ce soit; j'ai donc asssisté cette année à l'essor de ce "populisme écologiste" aux accents parfois alarmistes, et souvent accusateurs. Les accusés ? Le capitalisme libéral et ses importations/exportations, Trump et l'idéologie consumériste de son électorat, la culture occidentale de la bagnole et du supermarché, mais aussi la culture des autres grandes puissances émergentes (Chine-Inde-Brésil-Russie...) encore moins respectueuses de l'écologie et de l'environnement. Cela fait beaucoup de monde au tribunal de la bonne conscience !

   L'année, enfin, a été marquée par les Gilets jaunes, mouvement qualifié de populiste anti-écologiste; les journaux scolaires (Libé, Le Monde, Ouest-France, Le Figaro, L'Obs, Marianne, Alternatives Economiques...) ont assez vite discrédité ce mouvement, une fois établie selon eux l'idée qu'il était réactionnaire, agressif, voire raciste et anti-libéral, tendance "rouge-brun"; que Soral, Dieudonné, et certains cathos tradi (Marion Sigaut) soutiennent ce mouvement a bien sûr accéléré et gonflé le procès des bien pensants contre lui.

   Mais à trop vouloir "bien penser" on ne pense pas forcément le bien; d'une part, qu'est-ce que le bien ? et d'autre part qu'est-ce que penser ? Les méthodes de la pensée diffèrent selon les époques et les circonstances; et surtout, selon les conditions sociales et environnementales. Les écolos de la ville, souvent des profs et des fonctionnaires, ont beau s'efforcer de "bien penser", ils ne sont pas confrontés aux réalités des travaux manuels des zones rurales et des zones "sous-développées" de la planète. Quant aux cathos tradi, pourfendeurs du progrès technique et du "modernisme", adorateurs d'un "bien" moral et spirituel qui s'exercerait sans méthodes, par "élection" (la grâce ?) et par l'opération du saint esprit, ils sont les premiers et les plus rigoureux à vouloir rétablir des formalités et des codes de conduite, des disciplines de gestes et de propos qui abrutissent et obscurcissent leur entendement, c'est à dire leur "ouverture d'esprit".

    L'ouverture d'esprit n'est pas une question d'intelligence ou d'intellectualité; il arrive souvent d'ailleurs que des intellectuels de "haut niveau", purs et durs, soient d'épouvantables esprits fermés, butés, intransigeants, dépourvus de gentillesse. Et je dirai, pour terminer cette sorte de bilan annuel, que c'est bien la gentillesse, par le sourire et la douceur, qui me semble la plus belle et la plus grande des qualités humaines, et par-delà les conditions sociales et environnementales ! 

  

                                                      

 



10/06/2019
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