En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Les Monstres et Les Nouveaux Monstres (films italiens)

 

 

     Allez, encore un peu d'Italie, avant de basculer dans le Tour de France : je regarde hier soir sur internet Les Monstres de Dino Risi, film de 1963, avec Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman, entre autres. Un chef d’œuvre d'humour entre burlesque, farce, satire, comédie sociale, politique, à travers dix-sept sketches de durées très différentes (le plus court fait 45 secondes et le plus long dix-sept minutes). Mon préféré est celui intitulé La Muse, où une femme de type travesti (interprétée par Vittorio Gassman) parvient à convaincre un jury littéraire, sous de grands airs et avec des arguments empruntés aux intellectuels du « nouveau roman » et de la « déconstruction », qu'il faut donner le prix à un jeune auteur un peu fruste et même un peu rustre, avec lequel elle veut juste pouvoir coucher !

    Mais j'aime aussi beaucoup le sketch suivant : dans une salle de cinéma un couple bourgeois, la bonne quarantaine, en train de regarder une scène d'exécution collective de partisans par des soldats allemands ; un enfant fait du bruit dans une rangée de spectateurs, monsieur râle, chut enfin ! - puis rafale de mitraillettes et les partisans collés au mur s'effondrent - alors monsieur fait remarquer à sa femme qu'un petit muret de ce genre ferait très bien dans leur jardin. Le sketch dure deux minutes et c'est d'une efficacité terrible.

    Sortira en 1977 Les Nouveaux Monstres, réalisé par Risi, Ettore Scola et Monicelli, également un film à sketches, mais en couleurs, où l'on retrouve Gassman dans le rôle d'un cardinal qui avec de belles paroles et en faisant donner les cloches et les orgues, parvient à retourner complètement l'ambiance frondeuse d'une petite assemblée paroissiale. Magistral.

    Ces deux films hélas très peu diffusés par la télé française sont des sommets de la comédie dite à l'italienne. Voici ce qu'en dit mon Dictionnaire du cinéma :

 

« … la comédie italienne est profondément révolutionnaire : par sa virulence, ses audaces, sa volonté de n'épargner personne, et surtout pas les autorités, les notables, les corps constitués... qui en prennent largement pour leur grade. Une telle virulence provient à la fois d'une tendance permanente du tempérament italien (longtemps refoulée) et des multiples déceptions vécues par la société italienne en quinze ans... les tares d'une société qui ne croit plus en rien, qui a été économiquement et moralement déçue, et qui se borne à contester, sans espoir de remède, sa propre pourriture et décomposition. »1

 

 

   Pour Les Nouveaux Monstres, je me contente de deux ou trois sketches accessibles directement sur internet : Vittorio Gassman notamment dans le rôle du cardinal.

 

   Sketch magistral c'est le cas de le dire. D'abord, le décor : petite église de campagne, mais sans doute pas loin de la ville, puisqu'on voit des inscriptions sur les murs, « à bas les prêtres ! » - Le film date de 1977, les « années de plomb », marquées par le terrorisme, avec d'un côté les Brigades Rouges révolutionnaires et d'un autre les « forces » traditionnelles du conservatisme social et moral, l'Eglise, la famille, le patronat et sans doute aussi l'Etat, bien que celui-ci soit lui-même très indécis et divisé quant aux mesures à prendre. 

    Bon. Notre cardinal et son novice, en panne de voiture, s'approchent de cette église et décident d'y entrer, sans doute attirés par quelques éclats de voix. A l'intérieur en effet le prêtre de la paroisse tente d'établir le calme devant une vingtaine de paroissiens très énervés. Tout va mal dans le village, rien n'est réparé, l'eau courante n'arrive pas, les autorités municipales ne font rien. Que faire ? Les plus énervés veulent une « action directe » : on occupe la mairie et on se défend à coups de poings s'il le faut. Non, dit le prêtre, il faut discuter, la violence ne mène à rien. Nouveau chahut. Silence ! On vote alors ?

    Monseigneur écoute. Sa présence a été tout de même remarquée (« il y a un type en rouge qui est là » dit un jeune garçon à son père). Et vous Monseigneur qu'en pensez-vous ? Vous votez ? Non, non, je ne peux pas. Eh ! Il s'en lave les mains, comme d'habitude, dit un paroissien énervé. Allons, du calme. Monseigneur va parler. Il se lève, imposant, superbe (il faut voir Vittorio Gassman), s'engage dans l'allée centrale, se dirige vers le paroissien énervé. Alors, vous dites que vous voulez occuper la marie, bien, bien, et même tabasser si on vous en empêche... Oui ? Sans attendre Monseigneur décoche alors une terrible gifle sur le type, sous les rires des autres, « Oh ! quelle torgnole ! Ah ! Ah ! » - Ai-je résolu votre problème ? Non bien sûr et je suppose que je n'ai fait qu'augmenter votre rancoeur... Le type giflé approuve, le regard sombre.

   Monseigneur alors commence son grand numéro, se dirige vers la chaire, fait observer les imperfections de la nature humaine et la nécessité de s'en remettre encore davantage au Seigneur et à ses Saints... Bien sûr il faut citer Jésus-Christ... Il a dit vraiment cela Jésus ? se demande le jeune prêtre démocrate de la paroisse.... Mais oui ! T'as pas vu le film de Zeffirelli ? lui fait remarquer derrière lui un type débraillé, torse nu, le genre un peu truand quand même. Monseigneur continue : oui, la réalité est difficile et sombre, etc etc. « Qu'est-ce qu'il parle bien, fait observer une grosse femme de l'assistance, on devrait le faire Pape » ; autour d'elle on acquiesce... 

    Et si nous commencions déjà par allumer les lumières de cette église, poursuit Monseigneur, qui fait signe au bedeau d'appuyer sur les interrupteurs, et puis faisons aussi sonner les cloches, un enfant alors se précipite vers la corde, ajoutons-y la musique de l'orgue, et là un vieux monsieur va s'installer à l'instrument. N'est-ce pas déjà mieux ainsi ? Chantons maintenant. Monseigneur triomphe. Le prêtre démocrate sort de l'église, furieux : « Vous nous avez encore possédés ! » Tandis que l'assistance, elle, se lève pour chanter avec Monseigneur. Le type énervé a les larmes aux yeux. Le novice vient avertir Monseigneur qu'on peut partir, la voiture est réparée. Celui-ci s'esquive alors tout en demandant à l'assistance de continuer à chanter, encore plus fort, « et que votre chant résonne jusqu'à Rome ! »-

 

    Une démonstration du « pouvoir » spirituel sur les réalités temporelles ? Une leçon magistrale en tout cas d'autorité symbolique, verbale et chorale. Faire participer les « fidèles », démocratie etc, oui, c'est bien, mais les faire chanter c'est encore mieux !

 

1: J. Lourcelles, Dictionnaire du cinéma, Les films, Robert Laffont, Bouquins, 1992, vol. 3, pp. 982-983

 

le sketch du cardinal



28/06/2023
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