En attendant le Déluge

   Je trouve que c'est un nom charmant, la Corrèze, ça sonne bien et ça rime aisément; "plutôt la Corrèze que le Zambèze" disait-on dans les années 50, quand on voulait dénoncer le coût inutile d'une certaine colonisation africaine au lieu de développer les départements ruraux de la "métropole"...

   C'est vrai, la Corrèze est un département rural, très peu peuplé: à peine 250 000 habitants; aucune grande ville, Brive la Gaillarde compte 50 000 habitants, loin devant Tulle, pourtant la préfecture, 15 000 habitants; ensuite on trouve des bourgades de 2000-5000 habitants. Le département a perdu 100 000 habitants entre la fin du XIXe et la fin du XXe, en raison de l'exode rural et des guerres mondiales.

  Si on regarde l'histoire longue, avant la période contemporaine, la Corrèze se signale par des catastrophes climatiques régulières, des orages, des inondations, des hivers très rudes. La peste fait également des ravages; et il faut attendre le "grand siècle" de Louis XIV par l'action de ses intendants pour que le Limousin sorte un peu de sa torpeur économique et sociale. L'amélioration des routes puis le chemin de fer du XIXe apportent une petite activité commerciale au département de la Corrèze créé par la révolution française (1791). Mais l'isolement voire l'autarcie restent longtemps ses caractéristiques principales.  

  Malgré bien des transformations au XXe siècle, surtout en termes de transports et d'infrastructures, la Corrèze continue de cultiver une certaine discrétion; sur la page "économie" de wikipedia la plupart des sections sont vides, sauf celle de l'agriculture, où l'on peut lire l'importance de l'élevage des bovins (vaches de race Limousine), des ovins et des cultures fruitières. Les chiffres de l'emploi sont tout de même bien faibles: 100 000 personnes en activité, et la plupart dans les services (administration, commerces, tourisme). Le département mise sur la qualité de vie, le patrimoine et la tranquillité, qui peuvent attirer des retraités mais aussi de jeunes ménages capables d'investir et de s'investir dans la vie locale.

   Sur internet on peut trouver des commentaires sur les atouts et les inconvénients de la Corrèze: l'intégration est difficile, notent de nombreux "immigrés" venus d'autres régions françaises et de Paris en particulier; les "autochtones" (surtout du côté de Brive la Gaillarde) ont leurs habitudes et ne changent pas beaucoup; l'accueil peut être très chaleureux mais cela ne va pas plus loin; le potentiel touristique n'est pas valorisé, car les locaux d'une certaine façon veulent rester entre eux, note un internaute. En dehors de l'été, les centres-villes (Brive et Tulle) sont fort pauvres en animation, et les gens font leurs courses en zones commerciales périphériques. Côté atouts, la tranquillité rurale, les paysages divers (surtout l'été), les circuits pédestres et cyclistes, la pêche, la bonne chère, et tout de même certains habitants très chics et très avenants (un internaute nous confie qu'il a rencontré une charmante demoiselle à Meymac qui lui a fait découvrir bien des choses...).  

   La Corrèze est sans doute un département pittoresque, d'une géographie (végétation, architecture) très variée, d'une histoire pleine de résistances et de dissidences; sur le site internet "La France pittoresque", un site légèrement réactionnaire qui conseille la lecture de Jacques Bainville, on apprend que la Corrèze limousine a longtemps abrité des foyers de résistance aux envahisseurs, les Romains de Jules-César puis les Barbares et les Normands: l'Eglise, nous dit le site, permit aux habitants de prendre leur mal en patience et d'espérer des jours meilleurs. Charlemagne s'appuya sur les évêques et les moines (fondations de monastères) pour discipliner les seigneurs dissidents, mais l'autorité royale et catholique venue du Nord (Bassin parisien) fut souvent battue en brèche, par les Aquitains, les Occitans, disons les "méridionaux", puis par les Anglais (du XIIe au XVe) et leurs alliés de circonstances. La géographie de la région offre il est vrai des possibilités de repli et d'insoumission; même si Louis XI effectue un séjour en "Corrèze" afin d'affirmer l'autorité royale (milieu XVe), les phénomènes d'opposition religieuse (protestantisme) et politique (Fronde) reprennent et rebondissent. Mais parallèlement, l'Etat "central" par ses rois et ministres (Richelieu, Louis XIV) entreprend de durcir et de justifier ses nouvelles interventions et prérogatives, auxquelles peu à peu vont se rallier la plupart des nobles, qui n'ont plus les moyens de s'insurger. On peut même parler d'humiliation, selon le site, quand Louis XV offre à sa favorite la terre et le château de Pompadour, à quelques kilomètres d'Uzerche. La Révolution française puis les différents épisodes politiques et militaires du XIXe n'auraient guère affecté la Corrèze, nous dit encore le site, où la population paysanne et conservatrice se préoccupe avant tout de ses petites affaires. On notera tout de même que celle-ci a payé un lourd tribut aux guerres mondiales: des milliers de soldats tués en 14-18 et des actions courageuses de résistance suivies d'épouvantables représailles en 1944 (massacre de 250 personnes le 9 juin à Tulle). La Corrèze rurale et dépeuplée abrite aujourd'hui encore des camps militaires.

    Evidemment le tourisme ne s'intéresse pas à cet aspect des choses; il préfère et à juste titre attirer l'attention des visiteurs sur les châteaux, les villages perchés, abrités, autrefois fortifiés, les monts et sites "pittoresques", (appelés puys et sucs), les gorges très encaissées (Dordogne, Vézère), leurs barrages, leurs ponts et viaducs, enfin les lacs et bases nautiques, les campings, les forêts aménagées (parc naturel de Millevaches), les circuits de randonnées, et toutes sortes de visites possibles que les touristes les plus disposés n'hésiteront pas à faire... 

   Mais nous en reparlerons quand nous serons sur le terrain.