En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Condé au soleil

 

   Non, je ne vais pas parler de notre maréchaussée nationale fort occupée actuellement à verbaliser les délinquants qui sortent de chez eux sans leur attestation... Une autre affaire a retenu aujourd'hui mon attention, sous un soleil sans nuage: la lecture d'une biographie consacrée au Prince de Condé, cousin de Louis XIV (1).

 

(1): Simone Bertière, Condé - Le héros fourvoyé, De Fallois, 2011, puis Livre de Poche, 2017, 830 pages. 

 

   Disons-le d'emblée cet étonnant personnage a disparu de la circulation scolaire des connaissances d'histoire; on parle toujours cependant du Roi Soleil, du renforcement de l'Etat, et même de Colbert et de la politique commerciale du royaume; les enseignants les plus pointus peuvent même évoquer l'intendant Nicolas de Lamoignon de Basville ou François de Salignac de La Mothe-Fénelon, dit Fénelon, archevêque de Cambrai. Mais pas un mot, pas un document, pas une référence pour Louis de Bourbon, prince de Condé. La chose peut s'expliquer de la façon suivante: on ne parle pas de la guerre aux élèves, en tout cas pas des guerres d'ancien régime, or le prince de Condé fut sans doute l'un des plus grands voire géniaux chefs de guerre de l'époque monarchique, et plusieurs fois cité encore au XIXe par Clausevitz. Son génie peut se résumer en un mot: la fougue.

    Evidemment, en 730 pages, Simone Bertière nous en dit un peu plus ! Elle replace l'individu dans son époque et dans son environnement social, de haut niveau (c'est un prince de sang !), mais semé d'intrigues et de "coups tordus"; Louis de Bourbon n'est pas beau garçon, et développe très vite un point de vue sarcastique voire agressif sur les belles manières de la Cour; il se rend désagréable et même odieux à de nombreuses personnes; c'est un jeune homme turbulent, colérique, imprévisible, un "rebelle" nous dit Simone Bertière (voire une sorte de "punk" aux manières hirsutes et mal léchées). Il n'en reçoit pas moins une solide éducation chez les Jésuites, mais il préfère le grand air des jeux physiques au confinement de l'étude et des conversations.

   La guerre donc; à cette époque, c'est le rôle et le devoir de la haute noblesse de commander les troupes et de décider des batailles; celles-ci ne durent pas longtemps, quelques heures, mais peuvent être répétées plusieurs fois en quelques semaines; on parle alors de "campagnes militaires", ce qui suppose déjà des préparatifs, des provisions, des plans, et, n'ayons pas peur du mot, une "stratégie". Mais c'est là que le bât blesse bien souvent: les chefs se disputent le commandement général, et les plus titrés voire les plus âgés l'emportent sur les plus jeunes, tel Condé, qui ne manquent pas de fulminer contre les lenteurs, les prudences et les atermoiements de leurs aînés. Beaucoup de batailles s'avèrent indécises et incohérentes; on ne sait plus très bien ce qui se passe; il arrive que les soldats fassent demi-tour; Clausevitz le rappelle: la guerre n'est pas une science exacte, c'est un art où l'exécution doit procéder d'une réflexion. Il faut donc de la méthode et certaines règles bien établies, afin de limiter la part du hasard à défaut de pouvoir l'évacuer totalement. Cet "art", Condé va très vite le posséder. A 22 ans il remporte la bataille de Rocroi (1643) face aux tercios espagnols réputés invincibles par leur formation serrée toute hérissée de piques; Condé fonça dans le paquet au moment qu'il jugea favorable en provoquant un effet de surprise; la bataille fut complexe, et d'autres chefs français jouèrent leur partition; mais l'audace et la vitesse de Condé, sans oublier son jeune âge, en firent le héros de cette victoire. Bien avant Clausevitz, il a compris ce que devait être une bataille: non pas la prise d'un territoire ou d'une ville (guerre de siège) mais un coup porté à l'adversaire de façon à l'affaiblir voire à l'anéantir. Cette tactique "foudroyante" dérange un peu les plans et les stratégies des "politiques" et des "diplomates", qui n'ont pas l'habitude qu'un chef intrépide puisse décider à lui seul de la tournure et de l'issue d'une campagne; ce qu'ils veulent plutôt, ce sont des semi-victoires ou des semi-défaites, des combats indécis qui permettent aux négociateurs et calculateurs (financiers) de s'adonner à de fructueux pourparlers, tout en préparant le terrain à une belle entrevue de souverains, assortie d'un mariage, d'une allliance voire d'un traité. Les exploits militaires de Condé, nous explique Simone Bertière, ont été bien moins concluants ou efficaces que ceux de Turenne sur le plan diplomatique et politique.

    C'est qu'en vérité le roi Louis XIV se méfie de Condé; et il y a de quoi; Condé fut en effet l'un des principaux animateurs ou protagonistes de la Fronde entre 1648 et 1653; cette rébellion aristocratique, parlementaire, voire ecclésiastique, plus ou moins soutenue par le peuple (on rappellera ici la formule de Talleyrand: "savoir agiter le peuple avant de s'en servir"), a cherché à contester l'autorité du ministre Mazarin et de la reine régente Anne d'Autriche; elle a cru possible, peut-être, l'établissement d'une monarchie à l'anglaise, diminuant les pouvoirs du roi et des ministres, augmentant ceux de la noblesse parlementaire (au même moment l'Angleterre va plus loin, Cromwell prend le pouvoir, instaure une république et Charles Ier est décapité). Cela dit les frondeurs français se divisèrent et se neutralisèrent. Condé finit par se replier, échouant à prendre Paris, repoussé par les troupes de Turenne. Mazarin et le jeune roi firent alors un retour triomphal dans une capitale soulagée qui aspirait à l'ordre. Quant au repli de Condé, Simone Bertière y voit une "fuite en avant" qui le conduisit en direction du Nord du royaume et au-delà, c'est à dire vers les Pays-Bas espagnols (actuelle Belgique). Et le prince rebelle se mit au service du roi d'Espagne ! On comprend donc mieux les réserves de Louis XIV à l'égard de ce cousin insaisissable, et un peu "tête brûlée" quand même.

    Avec Louis XIV, c'est la raison, celle de l'Etat qui doit s'imposer; plus rien ne peut désormais défier l'autorité royale; le ministre financier Fouquet a été arrêté, le chantier de Versailles est lancé, le roi organise fête sur fête où son rayonnement est mis en scène, la France éclaire l'Europe, et l'Espagne n'a plus les moyens de son aventure coloniale américaine. Condé revient sagement à la maison. Il a vieilli, il souffre de coliques et de rhumatismes; Louis XIV le gratifie tout de même (générosité souveraine !) de quelques opérations militaires, mais la guerre est désormais dirigée par le Roi en personne et derrière lui par ses ministres; la noblesse d'épée est ravalée à un rôle d'exécution; et elle doit ravaler son orgueil. Condé ne se rebelle plus du tout, il tient à faire bonne figure; lui le fougueux cavalier, le chef intrépide, le "libertin" arrogant, est devenu un "courtisan" adouci plein de raison et de sagesse. Les relations s'améliorent avec son cousin le roi, qu'il invite en son château de Chantilly; somptueuse réception de plusieurs jours endeuillée par le suicide du chef cuisinier Vatel. Condé cultive son chez soi (plusieurs centaines d'hectares !), aménage les parcs et les équipements du château, soutient Molière, s'intéresse aux sciences, défend l'héliocentrisme, et lit les philosophes "modernes", Descartes et même Spinoza. Vers la toute fin de sa vie (après 60 ans) il accueille avec sérénité les préliminaires spirituels au Salut et tels que les recommande l'Eglise catholique. Il ne devient pas "dévôt" pour autant et sa sollicitude va davantage aux huguenots persécutés par la révocation de l'Edit de Nantes (1685). Louis de Bourbon prince de Condé s'éteint le 11 décembre 1686 à l'âge de 65 ans.

                                                           

 



06/04/2020
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4 autres membres