En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

La France d'hier

 

     Nous étions à Bologne, tranquillement à table, tandis que brûlait la cathédrale de Paris; Bernard-Henry Lévy, lui, était à Berlin, sur scène, dans son monologue Looking for Europe (1); une fois rentré à l'appartement, j'ai allumé la télé; voyeurisme sans doute malsain, selon Victorine; je n'ai donc pas abusé des images, encore moins des commentaires (2). Disons, par ailleurs, que je n'ai pas grande admiration pour les grands monuments "emblématiques" de la civilisation "judéo-chrétienne", dixit BHL. Je ne crois pas au judéo-christianisme. Trop vaste pour ma petite pensée. Je préfère un catholicisme plus modéré, plus tranquille et plus modeste. Celui de mon enfance, et que je retrouve un peu en lisant La France d'hier (3).

 

(1): Je tiens cette précision de Ouest-France Dimanche (de Pâques !), 21 avril, quotidien "oecuménique", qui ouvre ses colonnes à BHL: Bernard-Henry Lévy, que je me permets d'orthographier ainsi, puisque celui-ci s'exprime sur scène en anglais, et ne manque jamais une occasion, surtout lorsqu'il se rend en Israël, de dire tout le mal qu'il pense de la France selon lui antisémite et des Gilets jaunes pétainistes et poujadistes.

(2): Sur la chaîne France 24 captée à Bologne, deux commentaires (ou tweets) sont signalés par les "journalistes": de Raphaël Enthoven et de Jacques Attali ("mon coeur saigne"). Une bonne raison d'éteindre tout de suite la télé !

(3): Jean-Pierre Le Goff, La France d'hier - Récit d'un monde adolescent des années 1950 à Mai 68, Flammarion-Champs-essais, 2019.

 

   Le sociologue Le Goff consacre deux chapitres (sur 16) à son éducation catholique; il en signale surtout la modestie et la faiblesse (bondieuseries), qui donnent prise, assez vite, aux critiques et aux sarcasmes de la société de consommation "libérale"; la marque Singer va même jusqu'à "singer" le livre de la Genèse, en présentant ses nouveaux appareils ménagers devant une petite femme qui s'ébahit: "Et la ménagère vit que c'était bon..."  La réforme Vatican II (années 60) qui préconise une certaine "ouverture" de l'Eglise au "monde moderne" ne convainc pas vraiment Le Goff: trop de bons sentiments et de propositions équivoques, entraînant et permettant un certain laxisme moral; le jeune homme "exigeant" préfère les cours de philosophie métaphysique de son professeur de terminale, qui tente d'élever le débat (mais en parlant tout seul); subjugué et souvent dépassé, Le Goff est recalé en juin 67 puis admis en session de rattrapage de septembre. Bachelier il arrive donc à l'université de Caen et assiste très vite aux "événements" de 68: d'abord des grèves ouvrières (aux usines Saviem), réprimées par la police ("des triques à la mode de Caen" titre Le Canard enchaîné), puis des manifestations étudiantes un peu désorganisées, où les "gauchistes" sont très minoritaires; Le Goff se déclare "extrémiste", pour l'action forte, mais rentre assez vite chez ses parents du côté de Cherbourg !

 

   Son récit reflète une certaine douceur de vivre sociale et culturelle, par de nombreux "accommodements raisonnables"; le monde adolescent, épris à la fois de logique, de "tragique" et de "lyrique", est bien sûr insatisfait de cette quiétude, qui lui semble molle, fausse et hypocrite; il s'empare des progrès du confort matériel et de la liberté culturelle pour les retourner contre le monde adulte et contre la société qui les produit; "il déplore les effets dont il chérit les causes" ! Cette critique toute théorique n'ébranle pas les bases administratives et "technocratiques" du pays, bien au contraire; les animateurs de Mai 68 trouveront rapidement leur place dans les "structures" de l'Etat et du capitalisme libéral, européen, mondialisé; le "gauchisme" deviendra même l'idéologie quasi officielle des médias et de l'Education nationale; ce que Le Goff lui-même (et d'autres) a par la suite bien mis en évidence. 

 

    Evidemment, j'ai lu La France d'hier en pensant à ma propre enfance, vingt ans après celle de Le Goff; peu de différences sur le terrain de l'éducation catholique; sinon que je fréquente très vite un collège puis un lycée très déchristianisés; le prof de français de Première nous propose "la Passion considérée comme une course de côte" d'Alfred Jarry, que je suis capable de mieux expliquer que mes camarades grâce à mes connaissances du catéchisme. Mais pour le reste je ne me distingue guère de la masse. Différences donc avec Le Goff: l'emprise de la télévision et des retransmissions sportives, qui troublent un peu les facultés d'analyse et de rhétorique; le style "journalistique" n'est pas propice à bien rendre compte de la philosophie de monsieur Descartes. Quant au style musical des années 80, il accentue le business des "majors" et des agents, évacue ou dissipe dans la fumée (et l'alcool) toute dimension "protestataire" (ce que Le Goff constate avec l'évolution de Bob Dylan), et impose une certaine "efficacité" rythmique; c'est l'époque des "tubes" pour boîtes de nuit.

 

   Résumons: La France d'hier est une lecture facile et agréable, Le Goff ne jargonne pas et nous rappelle tout simplement que les années 50 et 60 ont été marquées par la croissance démographique, le rajeunissement du pays, et le développement voire l'affirmation d'une "culture adolescente" qui s'est propagée par la suite dans les médias et l'Education nationale.                       

             

 



22/04/2019
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