En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Parlons un peu de la Russie

 

    La Russie est la grande oubliée des programmes d'histoire-géo en vigueur en France depuis quelques années; quand j'étais moi-même lycéen, on étudiait encore un peu la géographie économique de l'URSS, en une sorte de comparaison avec celle des Etats-Unis; ce n'était sans doute pas une approche intellectuelle très "stimulante", mais enfin elle accordait au "modèle" soviétique les circonstances atténuantes de son immensité territoriale "ingérable". La suite fut impitoyable: la fin de la guerre froide et l'implosion de l'empire soviétique (1989-1991) déchainèrent en France les publications et les opinions les plus radicales contre le communisme est-européen et le "totalitarisme" moscovite; des journaux modérés, comme Ouest-France, devenaient féroces dès qu'il s'agissait de condamner le régime et l'histoire soviétiques.

 

    Par la géographie et surtout par la littérature et la musique, la Russie et la "civilisation" russe résistaient quand même au procès du soviétisme, dont la faillite et les crimes faisaient verser des larmes (de circonstance peut-être) aux admirateurs romantiques de la steppe, des forêts froides, des lacs immenses, des contrées solitaires, et de tous les artistes, eux-mêmes souvent solitaires, romanciers, poètes, musiciens, cinéastes, qui "sublimèrent" cette Russie souvent effrayante par le silence de ses immensités et la cruauté de ses moeurs ancestrales. Il y eut donc un regain de russophilie en France et en Europe de l'Ouest (très superficielle pour beaucoup, qui ne comprenaient pas la langue russe) dans les années 1990-2000; j'ai souvenir, jeune professeur, d'avoir lu Dostoïevski et vu les films de Tarkovski pendant cette période; mais pour n'en rien dire aux élèves, et ne savoir même qu'en faire dans ou pour ma vie privée. Le "goût de la Russie" équivalait alors à une sorte de rêverie esthétique ou métaphysique en marge des "valeurs" pratiques de la société de consommation capitaliste. 

 

   Puis vint Poutine (à partir de 2000); un chef d'Etat d'une intelligence politique et géopolitique supérieure, tandis que les démocraties de la consommation capitaliste élisaient des présidents médiocres asservis au pouvoir des grandes banques. Poutine, lui, faisait arrêter les oligarques et "rendre gorge" aux spéculateurs. Son autoritarisme "viril" contrastait avec les frasques molles des politiciens occidentaux, qui étaient accusés de toutes sortes de "tripatouillages" et de comportements obscènes. Je devins peu à peu un admirateur de Poutine, surtout pour contredire mes collègues de travail, notamment les femmes, qui lui préféraient Obama, le grand et beau Noir au regard de velours. C'est à cette époque, entre 2008 et 2015, que les programmes d'histoire-géo réduisirent à peu de chose la place de la Russie, tandis que la superpuissance américaine (et celle d'Israël) bénéficiait d'un traitement de faveur redoublé.

 

   Fidèle à mon esprit de contradiction, ou de contre-pied (je fus autrefois un redoutable dribbleur), je m'intéresse de plus en plus à la Russie, à son histoire, à sa géopolitique; parfois je m'enthousiasme inutilement, quand par exemple un élève d'origine russe et russophone se trouve au lycée, mais s'avère très vite décevant par son anti-poutinisme de base (il s'agit souvent d'élèves venus de Tchétchénie auxquels la France a dû accorder le droit d'asile...). La lecture du livre de Marie-Pierre Rey, La Russie face à l'Europe (1), ne me deçoit pas du tout en revanche et par certains passages m'enthousiasme même: j'ai noté celui-ci, où un diplomate français écrit dans ses Mémoires que le tsar Alexandre Ier a permis qu'en 1815 la situation géopolitique de la France soit "restaurée" dans ses frontières d'avant 89 alors que les Anglais et les Prussiens auraient souhaité un affaiblissement beaucoup plus prononcé de notre pays. Une autre référence a retenu mon attention, quand Marie-Pierre Rey cite un auteur russe "slavophile" des années 1850, qui distingue le "public" du "peuple": "Le public parle français, le peuple parle russe. Le public porte des vêtements étrangers, le peuple, le costume russe... Le public méprise le peuple, le peuple lui pardonne. Le public a cent cinquante ans; l'âge du peuple est impossible à dire. Le public ne fait que passer; le peuple est éternel." (2)

 

(1): Marie-Pierre Rey, La Russie face à l'Europe, d'Ivan le Terrible à Vladimir Poutine, Flammarion, 2002, puis collection Champs-histoire, 2016, 500 pages, 13 euros.

(2): Les "slavophiles" sont opposés à l'occidentalisation urbaine de la Russie et sont favorables à une politique rurale d'émancipation des "serfs"; ils estiment que la vraie force du pays est son peuple et non ses élites "publicitaires"...  A méditer. Op.cit. p. 209.

                 

 

   

 

                            

 



30/03/2019
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