Bricolage critique
Depuis Sérotonine, j'ai ouvert et parcouru plusieurs livres; un peu de Maurras, pour le côté réac, vieille France, vieilles manières, belle langue classique, héritage gréco-latin, critique de l'Etat et de la République, un peu de Bret Easton Ellis, pour le côté "post-moderne", fiction autobiographique, schizophrénique, droguée, critique de l'élite sociale friquée et perturbée d'une banlieue "chic" américaine, un peu d'histoire, pour mon métier (1), et deux essais littéraires, enfin, offerts par un ami (2).
Sur Sérotonine, je maintiens mon avis ou ma critique qu'il s'agit d'un livre un peu faiblard; c'est aussi ce qu'en pensent Victorine et un collègue de français du lycée, lecteur érudit et auteur d'une thèse soutenue l'an dernier. Cela dit, les livres faiblards conviennent assez bien aux lecteurs faiblards, ce qui souvent est mon cas, surtout dans le domaine romanesque. Les lecteurs exigeants, comme le sont mes collègues de français, lisent des romans pointus et très élaborés, publiés aux éditions de Minuit; ce sont des techniciens voire des stratèges de la littérature, capables de repérer les différents registres et les différentes manoeuvres stylistiques de l'auteur; pas moi. Je fais partie des lecteurs bonhommes, un peu naïfs, qui ont besoin d'être entraînés par l'histoire et par le personnage-narrateur; avec l'âge, qui plus est, les facultés d'analyse faiblissent; on se laisse davantage séduire par l'esprit de la synthèse; on ne cherche plus tellement les détails, les sous-entendus, les non-dits, les infra-textes, on veut savoir assez vite quel est le sens général du livre qu'on lit. Bref, je n'ai plus guère de goût pour les romanciers et intellectuels tarabiscotés, tortueux et pincés du cul, ambigus et louvoyants.
Est-ce là une critique ? Sans doute pas au sens professionnel et professoral, car il est interdit, je crois, de solliciter des allusions au corps et donc au sexe quand on veut parler de la valeur littéraire ou intellectuelle d'un auteur ou d'un livre. Sinon interdit, il est du moins très mal vu par la critique institutionnelle d'expliquer par exemple le style ou le propos de Houellebecq par la laideur ou par la faible aura sexuelle du romancier; on dira au contraire que la littérature est une façon de "sublimer" le réel, de le transcender, de le transformer, et de le changer en un autre réel qui soit finalement plus intelligible et plus significatif que celui, privé et ratatiné, dont l'auteur est parvenu à s'extirper, tel un poussin sortant de sa coquille. L'idée que la littérature libère et donne des ailes est une idée largement répandue et approuvée dans une partie de l'opinion publique des sociétés post-modernes. Mais pour une majorité d'élèves voire d'étudiants cette idée peine à se frayer un chemin; car la jeunesse voit les choses à travers le corps et le sexe; c'est à dire à travers ce que la plupart de leurs professeurs* leur demandent de ne pas voir. On en arrive même à des situations comiques où ces professeurs très puritains parlent pourtant de la "jouissance du texte" ! - Je me souviens d'une remarque d'un ami et collègue de français (décédé en 2011), pas du tout puritain, et d'une faconde souvent très enjouée, très gaillarde même, que lui autorisait, peut-être, un physique très "spécial" (qui surprenait certains élèves bcbg): - " il y a deux grandes catégories de livres quand on est ado, ceux qui vous tombent des mains et ceux qu'on ne lit que d'une main." - Une remarque à la hussarde, en somme.
*: Pas Victorine !
Mes critiques sont aléatoires dans la mesure où elles surviennent un peu au hasard, sans planification, sans préméditation; dans la mesure aussi où mes lectures sont très diverses et très irrégulières; dans la mesure enfin où mes avis ne sont pas intellectuellement très sérieux ou très professionnels, mais confectionnés à partir d'impressions flottantes, non stabilisées, que je parviens à faire tenir en équilibre; en somme je bricole.
(1): - Histoire du Monde, de J.M Roberts et O.A Westad, 3 vol. Perrrin, coll. Tempus, 2018. J'aurai l'occasion de m'en servir dans mes prochains articles à caractère plus ou moins professionnel. L'intérêt de cette lecture, aléatoire, est de s'évader un peu des voies étroites des programmes officiels et de leur baratin "mémoriel" -
- Une Histoire du Monde en 100 objets, de Neil Mac Gregor, Les Belles Lettres, 2018. Superbe livre illustré pour la modique somme de 23,9 euros; les 100 objets en question proviennent des collections du British Museum. Chaque objet est expliqué par un spécialiste de la période et de la civilisation auxquelles il se rapporte. C'est passionnant.
- 14-18, penser le patriotisme, de F. Rousseau, Gallimard, Folio-histoire, 2018. A l'encontre de la thèse désormais académique et scolaire du "consentement patriotique" des soldats et des civils, l'auteur s'efforce ici de défendre une hypothèse sociale et psychologique: celle d'un patriotisme non pas consenti mais imposé, obligatoire, écrasant, moralement inviolable, et toutefois très variable et très friable selon les catégories sociales et selon les moments de la guerre. L'auteur défend in fine l'idée que les hommes ne sont pas naturellement méchants mais qu'ils peuvent l'être dans certaines circonstances sociales et politiques.
(2): - Croquis de mémoire, de Jean Cau, Table Ronde, Petite Vermillon, 2018. Un ensemble de portraits, avec en point d'orgue celui de Jean-Paul Sartre, dont Jean Cau fut le secrétaire. Style très vivant et très soutenu, au service d'un propos qui pourrait être parfois qualifié de "réac". Beaucoup d'excellentes observations sur l'intelligentsia française des Trente Glorieuses...
- La mort de L.-F. Céline, de Dominique de Roux, Table Ronde, Petite Vermillon, 2007. Un "essai" biographique très court et très dense sur l'écrivain "maudit" Céline; mais d'une densité parfois sibylline.
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