Au turbin
Je reprends le travail comme des centaines de milliers de profs et d'élèves; on dirait la chanson de Dutronc, "et moi et moi et moi... j'y pense et puis j'oublie..." - C'est une très bonne chanson, comme il s'en faisait beaucoup autrefois; je regrette qu'elle ne serve pas de "jingle" musical pour marquer les intercours; les élèves délégués de mon lycée ont préféré "Rehab" d'Amy Winehouse, une chanteuse anglaise morte d'overdose il y a quelques années; tout un programme d'éducation ! Je l'ai dit un jour à un collègue: aller au boulot sur l'air d'une chanteuse droguée, alcoolique, et anglaise, bravo les valeurs de la République française !
Enfin, on essaie de se divertir un peu, malgré les rigueurs et les incohérences du métier, ou un peu grâce à elles; certains profs semblent apprécier la plaisanterie, la dérision, l'ironie, le sarcasme; d'autres paraissent cultiver un genre de "bel isolement"; ils font leurs cours en toute discrétion, et puis rentrent chez eux; la catégorie des profs très dynamiques et très investis dans leur tâche est un peu selon moi en perte de vitesse. Les "discours officiels" de l'Education nationale, et tout le baratin pédagogique, ne suscitent plus guère que haussement d'épaules, soupirs ou ricanements.
Ce que j'enseigne n'est pas drôle du tout; par exemple la Shoah; ou la bombe nucléaire sur Hiroshima; mon répertoire de petites anecdotes croustillantes est impossible à ouvrir sur la plupart des sujets au programme; j'aimerais bien parler de cul, ou disons d'histoires légères, les élèves seraient très attentifs, j'en suis certain. Mais voilà: les programmes sont épouvantablement sérieux, moralisants, et lourds ! Je dirais même plus: lourdingues !
La géographie, peut-être, offre quelques possibilités d'évasion humoristique; mais elle aussi, dans l'ensemble, est très austère, dominée par le moralisme écolo-responsable, le civisme de proximité, la bonne conscience socialiste qui s'indigne aisément; une certaine "sinistrose" s'est même emparée de quelques collègues (une majorité de femmes), surtout depuis l'élection de Trump: la planète est en grand danger, le business capitaliste détruit la faune et la flore, pollue l'atmosphère, élève le niveau des océans, etc. Que faire ?
J'ai bien une idée: ce serait d'enseigner un certaine "vie pratique", comme autrefois; par exemple des cours de cuisine et de jardinage, pour manger "local" ! Des leçons de bricolage, de tricot, de couture, etc. Et pourquoi pas, des conseils d'hygiène et de santé... Une sorte d'éducation terre-à-terre qui ne négligerait pas pour autant les bienfaits de la pensée abstraite, de la méditation, de la rêverie, et qui ne manquerait pas non plus de s'adonner aux plaisirs de la pro-création et de la création. Mon idée serait aussi de supprimer les lycées; on irait directement du collège vers des écoles supérieures spécialisées; ou bien on entrerait dans la "vie active" ! Que de temps gagné !
Au lieu de quoi, le modèle social et culturel français depuis 150 ans me semble dominé par la perte de temps; le gaspillage d'énergie; mais aussi une terrible disparition des savoirs-faire, des travaux manuels; et un ennui considérable dans la société; on peut même parler d'une sorte de violence générée par l'incapacité et l'impuissance au travail d'un nombre croissant d'individus.
"Un bon boulot bien fatigant, ça te calmerait un peu..." dit la femme de Alphonse Tram (Gérard Depardieu) dans le film Buffet Froid de Bertrand Blier; un film de 1979 et qui mériterait d'être étudié en classe; la femme en question est assassinée ensuite par un étrangleur lui aussi désoeuvré (Jean Carmet); tandis que Bernard Blier, devenu commissaire de police, explique comment il a tué la sienne, violoniste réputée. Ci-dessous, extrait du film.
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