En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Discussions légères

 

    En cette fin de saison scolaire les esprits des enseignants se libèrent un peu; pas trop; le politiquement correct ou la bien pensance la plus tarte (à la crème) continuent de peser lourdement sur les tentatives de légèreté verbale du corps professoral; des cérémonies du 6 juin beaucoup de collègues ne semblent avoir retenu que la prestation, forcément vulgaire, de monsieur Trump; à la cantine, je tente une petite attaque de type mal pensant sur l'indécence et le grotesque de telles cérémonies; la Normandie semble se féliciter d'avoir été détruite, on voit même des villages des environs de Caen qui organisent des bals et font tirer des feux d'artifice pour commémorer les bombardements américains qui les ont pulvérisés en juin 44, tuant au passage des milliers de gens, pécadilles ! Un collègue de français, de style précieux, trouve que je caricature, tout en admettant que le rôle des historiens est en effet de faire toute la lumière sur les aspects les plus sombres de notre histoire, et il me cite pour exemple Robert Paxton ! Je préfère ne pas dire ce que j'en pense, car c'est un collègue qu'en effet j'apprécie, il fait du vélo et il est d'une gentillesse au-dessus de la moyenne. Ne pas se fâcher pour les idées, ou les points de vue, telle est ma ligne de conduite depuis un certain temps...

 

    Victorine, de son côté, est scandalisée par les tarifs des hôtels de Caen et des environs, qui ont été multipliés par 2, 3 ou 10 pendant ces journées de commémorations du D-Day; cela s'appelle le tourisme mémoriel, aussi indécent que le tourisme religieux du côté de Lourdes ou de Fatima; Ouest-France d'aujourd'hui 8 juin m'apprend qu'il y eut de nombreux ratés et "couacs" dans l'organisation française et franco-anglo-saxonne de ce tourisme mémoriel, beaucoup de retards sur les horaires prévus, et surtout un très faible public en dehors des invités officiels; le (ou la) journaliste de Ouest-France semble aussi déplorer des mesures de sécurité disproportionnées qui ont entravé le "travail" de la presse. Du côté américain, en effet, des tireurs d'élite postés sur des terrasses autour du petit aéroport de Carpiquet, et des fouilles méticuleuses de tous les invités; en rentrant du lycée à vélo, Victorine a dû s'arrêter, route fermée, pour le passage à vive allure du cortège américain de grosses voitures; elle en a profité pour discuter avec un automobiliste, qui lui a raconté qu'autrefois il allait jouer dans les bunkers, mais qu'à présent tout était devenu inaccessible, sauf sous la forme de musées payants.

 

   Bon, on va rester poli, et pas la peine de se fâcher, mais avouons tout de même que toute cette affaire du D-Day est plutôt écoeurante et à gerber. Digestion pénible en tout cas; je continue après manger mes petites discussions purgatives avec quelques collègues; je tombe sur celui de philo, le plus brillant esprit du lycée sans nul doute, il écrit des essais (abscons), donne des conférences, s'intéresse à tout, il est toujours souriant, toujours disponible et lui aussi d'une gentillesse au-dessus de la moyenne; bref, un prof exemplaire, un modèle d'intelligence et de vertu. Impossible de se fâcher avec lui; aussi, il nous arrive d'échanger des confidences intellectuelles: il apprécie certains auteurs mal pensants, comme Raymond Ruyer dont il connaît toute l'oeuvre, assez difficile à trouver aujourd'hui, sauf en ligne; sur Michel Onfray en revanche il devient intransigeant alors que j'essaie parfois de lui en dire un peu de bien. Un charlatan ! me répond-il, ses livres sont truffés d'erreurs factuelles et intellectuelles. Devant son ardeur critique, je fais l'innocent, j'adopte une voix taquine, et je défends la liberté de point de vue de monsieur Onfray, même si elle offusque la rigueur et la vertu scientifiques de ses détracteurs, très nombreux chez les professeurs, qui lui reprochent et l'envient d'une certaine façon de ne plus avoir à enseigner, parfois même de séduire certains élèves (souvent des filles de terminale).

   Notre discussion légère porte ensuite sur la fiabilité des sources, car mon collègue estime que celles de monsieur Onfray sont éventées, voire qu'elles sont inexistantes; je réponds sur la question des archives, la source des sources, dit-on parfois, celles par exemple que M. Paxton a utilisées pour montrer que la France de Vichy et avec elle une immense majorité de Français avaient collaboré avec l'Allemagne nazie, appréciant ses méthodes, souhaitant sa victoire. Eh bien, il ne faut pas exagérer la fiabilité des archives, et il faut même plutôt s'en méfier, dis-je à mon jeune collègue, car elles ne sont que l'expression d'un autorité (militaire ou civile) qui ne s'embarrasse pas de finesses et de nuances et se moque bien de la "vérité"; imagine t-on par exemple écrire aujourd'hui l'histoire de l'affaire Dreyfus en n'utilisant que les archives de l'armée française ? Mon exemple fait mouche. Mais parlons plutôt des abeilles, qui ont retrouvé le chemin des ruches du lycée, où elles font leur miel. C'est "abeille road" dis-je à  une collègue de SVT, qui vient d'arriver en salle des profs. Là-dessus, sonnerie musicale de la reprise des cours; un titre des Beatles, justement: Day tripper. Qui ne veut pas dire, "jour des tripes", comme le croient certains Caennais; et qui n'est pas non plus une allusion au carnage sanglant du D-Day; non, cela voudrait dire "voyageur ou voyageuse d'un jour" -

  

  Et sur ce prend fin la longue saison scolaire, dont je ferai une sorte  de bilan la prochaine fois.   

                               

 



08/06/2019
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