En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Corrections

 

 

     C'est une semaine de corrections qui commence; j'écrirai donc un peu moins. Et ce n'est sans doute pas plus mal. Il faut savoir se modérer, en tout. Les modérés sont souvent très injustement traités, notamment par la littérature, où dominent les comportements excessifs, les goûts extravagants, les opinions de haut vol, etc. En histoire politique, les modérés sont parfois taxés d'hypocrisie, de lâcheté, de compromissions, etc. Les réactionnaires virilistes les décrivent comme des mous, des tièdes, des ennuyeux; je me souviens avoir lu le livre d'Abel Bonnard, fort bien écrit, beau style années 30, intitulé justement "Les modérés"; c'est une charge contre la République des professeurs, donneuse de leçons, moralisante, verbeuse, bien pensante, confortable et légaliste, mais qui tire ses origines d'un crime historique et civilisationnel, celui de la Révolution. C'est également une critique de la "mollesse" et de la vanité des débats démocratiques alors que les régimes autoritaires prennent des décisions immédiatement suivies d'effets. Abel Bonnard sera séduit, dit-on, par le virilisme aryen des statues d'Arno Breker, et ministre de l'Education nationale en 1942, au plus fort de l'occupation, il héritera du surnom de "Gestapette" (1). L'homophobie et la misogynie des milieux résistants (des communistes en particulier) sévissaient alors en toute impunité; à la Libération, que de crimes n'a t-on pas commis en son nom ! 

 

(1): pour un compte-rendu du livre de Bonnard, voir lien en bas de l'article

 

    Dans mes corrections, je recommande toujours la prudence aux élèves, et si possible la plus impeccable impartialité qui soit; on écrit avec les mots des autres, leur dis-je, et souvent ce sont des autres morts, qui ont écrit et pensé avant nous. Cette modestie est la condition sine qua non de l'élévation; j'en appelle même à une sorte de "nanisme" (nous sommes des nains) qui rend indispensable que nous montions sur les épaules de nos aînés pour voir un peu plus loin; il me revient avoir lu quelque chose de cet ordre dans un livre du philosophe Rémi Brague (sans doute Europe, la voie romaine, paru en 1992) - Cela dit, je n'implore pas le nanisme ( oh ! nanisme !), je me contente d'en suggérer ou d'en soulever la possibilité intellectuelle.

 

    On l'a déjà remarqué, je ne suis pas un doctrinaire ou un "possédé" fiévreux qui voudrait rendre contagieuses ses opinions et ses idées; le virilisme d'un Soral me gêne un peu; la seule fois où je me suis permis de lui adresser un petit mot (autrefois on pouvait le contacter directement, ce n'est plus possible aujourd'hui) exprimant une nuance sur un jugement qu'il avait tenu, sa réponse fut cinglante et quelque peu méchante: je n'étais selon lui qu'un petit scribouillard impuissant qui n'avait rien compris à l'affaire du logos. Cette association ou revendication, explicite, de la puissance de penser et d'écrire et de la puissance de cerner et de "pénétrer" caractérise un certain nombre d'auteurs: des mondains, des grands bourgeois, des hédonistes, des "nietzchéens", des Sollers, d'Ormesson, Onfray, mais aussi des anti-mondains qui se veulent hégeliens, marxistes, populo-macho, tel Soral justement. Tous ces gens-là ont un culte de soi et une immodestie qui les rendent impropres aux corrections. 

 

   En corrigeant les élèves, je me corrige aussi beaucoup moi-même; sans cesse il faut retravailler ses cours, les alléger, les simplifier, trouver de nouvelles approches didactiques; les interventions orales de la classe obligent à des vérifications; le savoir juvénile, impromptu, fougueux, débordant, dérapant, contraste souvent avec celui du professeur, amorti, modéré, confortable. Chaque jour se produisent donc de petits chocs culturels, intellectuels, émotionnels; on est bien fatigué quand on rentre le soir.

 

   Mais je trouve quand même le moyen et l'énergie d'écrire un peu; rien à voir évidemment avec le style et le propos d'un auteur qui jouit de tout son temps; qui élabore des scénarios, des personnages, des idées-concepts; je fais partie d'une masse de blogueurs, aussi nombreux sans doute que les joggueurs, qui essayent de se décontracter après le boulot. D'une certaine manière je contribue à une forme sociale et culturelle de souplesse morale, et réciproquement.

 

                         

 

    

 

             

         

 

https://livresalire.wordpress.com/2015/05/18/les-moderes-abel-bonnard/



23/01/2019
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