En attendant le Déluge

    J'ai récemment montré des extraits du film Ridicule à une bonne classe de seconde (avec une moins bonne cela ne marche pas) ; film français de Patrice Leconte, sorti en 1996 : il met en scène l'histoire d'un jeune petit noble provincial qui monte à Versailles et veut parler au roi de son projet d'assèchement des marais de la Dombe. Il se heurte évidemment à la Cour, à ses codes, à son « ridicule », mais il parvient tout de même à s'y infiltrer car il est bel homme et il a de l'esprit. Une comtesse intrigante lui permet d'approcher le roi (Louis XVI), et d'obtenir une entrevue ; mais le jeune baron s'est épris de la fille du marquis de Bellegarde, ravissante et savante personne qui s'adonne à des expériences ; « elle est ma plus belle réussite, et elle est née l'année de la parution de L'Emile de Rousseau » fait observer son père au jeune baron. Cette remarque permet de dater le moment historique du film (L'Emile est sorti en 1762, la jeune fille doit avoir entre 18 et 20 ans, on est donc en 1780-82). Louis XVI décore un chef indien dans la galerie des glaces : « le peuple sioux est notre ami » - Un courtisan murmure alors à son voisin: « regardez donc ce type avec ses plumes et son visage peint, nous le trouvons sans doute ridicule, mais croyez bien que lui aussi de son côté doit nous trouver ridicules avec nos perruques et nos bas de soie... » - Obligé d'affronter en duel un officier qui l'a insulté, le jeune baron s'en tire sain et sauf mais ne peut accéder à l'entrevue du roi. Il obtient en revanche l'amour de la jeune savante. Furieuse, la comtesse intrigante lui tend alors un piège lors d'un bal masqué : on lui fera un croche-pied, et de cette chute ridicule il ne se remettra pas. La fin du film nous apprend qu'il est reparti avec sa jeune et savante épouse dans les Dombes, que la Révolution a éclaté, que de nombreux nobles français, tel le marquis de Bellegarde, ont émigré en Angleterre. Scène finale : sur la côte anglaise battue par les vents, le dit marquis en compagnie de son hôte voit son chapeau brusquement s'envoler : « Oh ! J'ai perdu mon chapeau ! » - « Heureusement que ce n'est pas votre tête... » lui répond alors son compagnon de son plus bel accent « british » - Et le marquis de s'exclamer : « Oh ! Humour ! »

    Le film parvient à capter l'attention des jeunes élèves par la plastique des personnages, et notamment la gorge de Mathilde, la savante fille du marquis de Bellegarde. Les dialogues et les mots d'esprit peuvent être souvent difficiles à suivre, en raison des allusions bibliques qui sont totalement étrangères à présent à nos élèves. C'est le rôle du professeur, alors, d'éclairer et d'expliquer les passages un peu sombres ou hermétiques. Ridicule, assurément, est un bon film pour évoquer le siècle des Lumières, le goût des sciences, la noblesse, la Cour, et les dépenses de l'Etat (« ce sont les finances du royaume qu'on assèche ! » répond un ministre au jeune baron venu exposer son projet d'assèchement des marais de la Dombe). Il permet aussi d'évoquer les conditions très misérables de certains paysans (ceux de la Dombe par exemple) : « non seulement ils nourrissent les moustiques, mais ils nourrissent aussi la noblesse » fait observer le jeune baron à un courtisan plein de morgue et de mépris. Enfin le film est intéressant sur le compte du clergé, car il montre d'une part un abbé intrigant et dépravé (il couche avec la comtesse), beau parleur mais d'une exaltation rhétorique qui lui vaut aussi sa disgrâce (« je vous ai démontré l'existence de Dieu mais je peux aussi vous démontrer le contraire, dès qu'il vous plaira », dit-il au roi en personne, scandalisé par cette remarque), et le film montre d'autre part un abbé dévoué, sérieux, savant, qui invente le langage des signes pour les sourds et muets ; il s'agit de l'abbé Michel de L'Epée. Pour finir on dira donc aux élèves que le film Ridicule s'inspire de faits et de personnages véritables.