En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Tulle-Sarran-Egletons

 

    Tulle est une petite ville encaissée où coule la Corrèze; le centre historique s'appelle le quartier du Trech, dominé par la cathédrale Notre-Dame, mi romane, mi gothique, anciennement église abbatiale bénédictine; juste à côté le cloître sert aujourd'hui de musée où nous visitons une excellente exposition temporaire consacrée à la Manufacture d'Armes de Tulle (la MAT). Du XVIIe à la fin du XXe, ce fut la principale activité industrielle de la ville et du département; l'exposition s'intéresse avant tout à la main d'oeuvre, à son apprentissage, à ses conditions de travail; on apprend ce qu'est le système de la "perruque": petits objets décoratifs personnalisés (un avion, un tracteur, un cheval, une scène de pêche ou de chasse...) réalisés par les ouvriers pendant leur temps de travail avec les matériaux et l'outillage de l'entreprise. Ce système de "détournement" de l'activité salariée permettait sans doute de détendre un peu l'ambiance d'encadrement et de surveillance, jugée très stricte par de nombreux témoignages d'ouvriers. La main d'oeuvre était surtout locale, très hiérarchisée (pour une production de type militaire !) et très masculine (à 90 %); les effectifs diminuèrent régulièrement au XXe siècle, surtout après 1967 et l'automatisation de certaines tâches; l'activité a même presqu'entièrement cessé au début du XXIe. On sort du musée sur une lègère impression de tristesse, plus ou moins consolée par la gentillesse souriante de la femme de l'accueil. Nous faisons quelques pas ensuite dans le quartier du Trech, qui autrefois abritait de riches maisons marchandes; Tulle s'est développée et enrichie dès le XIVe par le commerce des peaux, des draps, de l'huile de noix, et surtout par l'artisanat de la dentelle en "poinct de Tulle" aux XVIIIe et XIXe; l'époque récente a plutôt été celle d'un certain déclin économique productif; ici comme ailleurs, l'emploi se concentre désormais dans les services.

   Services publics notamment: après la pause déjeuner (33 euros service compris) nous montons aux archives départementales (il faut prendre la voiture hélas) où se tient une exposition sur le Tour de France cycliste en Corrèze. Une vingtaine de panneaux retracent les différents passages de l'épreuve dans le département, depuis 1951; une journaliste (et sa photographe) de La Montagne, le quotidien local, vient nous interroger; nous sommes il est vrai les seuls visiteurs de l'après-midi ! Notre avis est sans ambiguïté: très bonne exposition, textes substantiels, variété des approches, sportives, politiques, sociales, illustrations abondantes. Même les questions de dopage ont été évoquées. L'organisateur et rédacteur du travail vient nous parler quelques instants. L'article du lendemain (29 juillet) retranscrit fidèlement nos propos. Le journalisme retrouve un peu grâce à mes yeux. La Corrèze est un département très intéressant pour le vélo: petites routes vallonnées, parcours éclectiques, parfois un peu difficiles, souvent tranquilles (surtout pour les cyclistes aguerris), chaussées d'assez bonne qualité (attention toutefois aux gravillons); depuis quelques années se développent surtout la pratique du VTT en forêt et la descente ultra-rapide de certaines pentes (sensations fortes pour jeunes coureurs); sur les routes ordinaires, nous croisons plutôt des cyclistes vieillissants qui roulent à 25-30.

    Le Tour passera en Corrèze le 10 septembre en arrivant à Sarran; sur cette petite commune de 250 habitants (une seule épicerie tenue par une vieille dame) se trouve le musée Jacques Chirac qui rassemble les cadeaux présidentiels (reçus); c'est un immense bâtiment, "surdimensionné", une sorte d'éléphant blanc comme on dit en Afrique; mais le musée lui-même, que nous avons visité, n'est pas d'un immense intérêt. L'entrée est gratuite pour les profs de l'Educ-nat'; évidemment, c'est un musée déficitaire, nous dit avec un peu d'ironie notre hôte du soir, retraité de l'agriculture, un monsieur très sympathique dont le timbre de voix me fait penser à Raymond Poulidor. Sa maison offre une très belle vue sur le massif des Monédières et ses points culminants, notamment le Suc au May par où les coureurs du Tour passeront le 10 septembre avant de plonger à toute vitesse sur la ligne d'arrivée de Sarran (elle a déjà été tracée, juste au niveau de l'entrée du musée Chirac). Nous discutons un peu d'agriculture avec ce monsieur qui l'a exercée pendant de nombreuses années; il n'est pas optimiste du tout, "les gens ne mangent plus de viande", les troupeaux de Limousines diminuent d'année en année; difficile de trouver des successeurs; il a quand même réussi à céder son exploitation à un jeune couple qui diversifie un peu la production (cochons, chevaux, chèvres). De son côté il participe à une association de valorisation des produits agricoles régionaux; mais l'actuel port du masque et les autres contraintes sanitaires compliquent un peu cette activité, qui se veut avant tout festive et conviviale. Sa maison dégage en tout cas une bonne ambiance, on y serait bien resté davantage, mais bon, c'est Sarran, et c'est le désert rural.

    La petite ville la plus proche s'appelle Egletons; un nom charmant, je trouve. Au premier abord on craint le pire: deux grandes surfaces et un centre-ville en perdition. Quelque chose d'une détresse socio-culturelle semble flotter dans l'air. Mais cette impression, qui est la mienne, et un peu celle de Victorine, s'atténue progressivement, à mesure que nous prenons le temps de nous promener, et de nous retrouver au cimetière, un très beau cimetière paysager situé sur les hauteurs de la petite ville. Endroit idéal pour poser un regard apaisé sur les choses en contrebas. Une question toutefois demeure: pourquoi le collège d'Egletons s'appelle-t-il Albert Thomas, ministre de l'armement pendant la Grande Guerre, mais qui n'a jamais mis les pieds dans cette petite ville ? Je devine une hypothèse "relationnelle" de type maçonnique (la Corrèze est un département de franc-maçonnerie politique: François Hollande le dernier en date).

    Notre séjour se poursuit. Nous allons maintenant nous reposer au bord de la Dordogne, dans la partie méridionale de la Corrèze, au contact du Quercy. Il fait de plus en plus chaud.                                         

 



08/08/2020
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