En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Au coeur des Confessions

 

     Voilà, j'ai terminé ma lecture des Confessions, 780 pages de petits caractères, et de nombreuses notes que j'ai parcourues. Impression générale ? C'est un texte très vivant, très rythmé, plein de personnages et de petites aventures; bon, comme sur Paris-Roubaix, il y a des secteurs pavés un peu cahotants, un peu glissants, où l'on risque la chute, c'est à dire de ne pas bien comprendre du tout le texte; alors il faut s'accrocher, se remettre en selle, retrouver le rythme. L'auteur des Confessions a besoin de lecteurs en forme, motivés, impliqués; il nous propose une lecture agréable et même charmante de lui, de sa vie, de ses idées, mais à condition que le lecteur y mette aussi du "sien". Et qu'il soit capable de lire avec sympathie, bienveillance, tout en éprouvant aussi lui-même les émotions ou les sentiments de l'auteur; cela veut dire du calme, de la distance, du sang-froid, et quelques moments de "coups de chaleur", de tensions, de nervosité; rien de moins simple, évidemment, et c'est pourquoi les malentendus et les incompréhensions sont inévitables. Surtout pour un livre tel que celui-là, où l'auteur expose et "exhibe" sa vie, ses comportements, ses goûts, ses affaires de coeur et d'esprit, non sans prévenir dès le départ qu'une telle entreprise n'eut jamais d'exemple avant lui, et qu'elle risque fort de surprendre bien des lecteurs.

    Les Confessions ont été écrites entre 1766 et 1770, Rousseau est alors un auteur célèbre et un homme âgé (entre 54 et 58 ans), qui doit affronter de multiples difficultés, de santé, de résidence, de relations et de publication; ses derniers livres, La Nouvelle Héloïse et surtout l'Emile ont connu un tel succès que les autorités officielles ont décidé d'en surveiller de plus près l'auteur. Les historiens disent qu'au XVIIIe siècle la littérature est devenue, plus encore qu'auparavant, un enjeu de pouvoir, car les lecteurs de plus en plus nombreux forment ce qu'on appelle dorénavant "l'opinion publique", c'est à dire une manière de démocratie indirecte qui peut influencer les autorités constituées. Les Confessions nous apprennent que Jean-Jacques Rousseau, homme du peuple, de condition modeste, provinciale et même étrangère (puisqu'il est né à Genève), s'est progressivement élevé dans la société, passant du village à la petite ville puis à la grande, Paris, pour accéder à la fréquentation et même à la protection de la haute noblesse "cultivée". Cette ascension est déjà la preuve d'une société qu'on peut qualifier de "libérale", puisqu'elle permet à un autodidacte, à un "self-made-man" de parvenir à exprimer son talent. 

   Oui, mais voilà, Rousseau rêve de modestie, de tranquillité, d'indépendance, d'autonomie, et d'une vie champêtre de promenades et de saines activités; les salons et les mondanités de Paris l'ennuient et le poussent à jouer le rôle de l'auteur vertueux qui pourfend les vices de la capitale; cette "vertuosité" plaît beaucoup, elle devient à la mode, sorte de coquetterie et d'affectation de beaux sentiments "purs", pour donner le change à des ambitions et des désirs plus techniques; Rousseau plaît beaucoup aux personnes d'un âge avancé, souvent des dames, qui aspirent au calme de l'esprit et de l'âme, après les turbulences et les tourments d'une vie de Cour et de Salons pleine d'intrigues et de vengeances. Mais la vertu, explique l'auteur, n'est pas la bonté, elle n'est qu'une façade, et même une doctrine de combat, une sorte de catéchisme ou de catalogue de sentences toutes faites, dont il est aisé pour ses prétendus adversaires de se moquer. Cette "vertuosité", confesse Rousseau, m'a rendu hautain et dédaigneux, arrogant et méprisant, alors que ma vraie personnalité est de me tenir bon, aimable et tranquille avec tous.

   Une bonne partie des Confessions (surtout les livres IX à XII) est consacrée aux rivalités et jalousies entre les "Encyclopédistes", Diderot, Grimm, d'Holbach, et Jean-Jacques qui ne veut pas s'y livrer mais par là-même s'y trouve plongé; une certaine Madame d'Epinay (madame des épines, en quelque sorte, car qui s'y frotte s'y pique !) joue un rôle crucial dans cette mêlée d'esprits forts, mais qui ont leurs petites faiblesses; il est parfois bien difficile d'y voir clair, et Rousseau en tire l'idée que les hommes sont versatiles et inconstants, voire inconsistants, mais qu'il serait utile, justement, d'écrire à ce propos une sorte de traité de "morale sensitive" ou de "matérialisme du sage", qui indiquerait comment mieux gouverner en soi et sur soi toutes les modifications de sentiments et de comportements que la vie sociale nous amène à connaître. Cette éducation de l'esprit doit aussi être celle du caractère et de la morale; les Encyclopédistes, selon Rousseau, ne jurent que par les progrès de l'esprit, de l'intellect, de la raison raisonnante, ils oublient que ces progrès n'en sont pas vraiment s'ils n'apportent pas une amélioration des moeurs et des lois.

    Mais les lois, bien souvent, pour ne pas dire toujours, ne sont pas faites pour améliorer les moeurs, et tendent plutôt à les corrompre, car elles renforcent le goût du pouvoir, des privilèges, des intérêts particuliers. Toute la difficulté du Législateur est d'écrire des lois qui soient bonnes pour la population; qu'elles lui apportent la sécurité, la justice, une certaine liberté et une certaine égalité; mais Jean-Jacques est avant tout un défenseur de l'autonomie; les lois, selon lui, doivent permettre à une population donnée sur un territoire défini de vivre de son travail et de ses productions; vers la fin des Confesssions, Rousseau évoque la Corse, qui pourrait être le "laboratoire" d'une législation de ce type; mais pas question pour lui de se mêler au combat politique qui agite alors cette île, dont le royaume de France finira par s'emparer en 1768. Le récit des Confessions s'interrompt à l'année 1765, quand Rousseau est alors réfugié en Suisse, traqué par toutes les autorités, politiques, judiciaires, religieuses, parce que ses livres et surtout sa personnalité sont considérés comme un danger "populaire"; preuve, si besoin était, que les élites de l'époque, bourgeoises et aristocratiques, et bien sûr religieuses, sentent monter en effet un certain danger populaire.     

 

A suivre....                                                    

 



23/04/2020
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