En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Autour du 6 juin

 

  Ici, autour de Caen, le 6 juin est une date importante; ce pourrait même être un jour férié, au moins une fois tous les cinq ans, ainsi que le suggèrent de nombreux professeurs. Depuis 1984 (40ème anniversaire du D-Day) les commémorations et les cérémonies se sont solennisées, muséifiées, médiatisées, et même diplomatisées. "La Normandie veut être le "Davos de la paix"" peut-on lire dans Ouest-France (4 juin), qui consacre de nombreux articles et des pages entières à l'événement historique et mémoriel. Parmi les historiens les plus sollicités, citons Jean Quellien, Claude Quétel et Olivier Wieviorka; quant aux "témoins", soldats vétérans américains, canadiens, britanniques, et civils normands, tous très âgés (plus de 90 ans), leur "mémoire" est souvent sobre et "amortie"; "on a fait notre devoir" disent les uns, "on se débrouillait comme on pouvait" résument les autres. Cette mémoire, plus que sélective, laisse de côté les "témoins" allemands, peu interrogés; au nom de l'Union européenne, c'est fort dommage ! 

 

   Le Débarquement fut une opération titanesque, qui passionne toujours les amateurs de logistique, de matériel militaire, et de stratégie; une fois de temps en temps je trouve dans mes classes un élève passionné qui m'explique la supériorité du char Tigre sur le char Sherman; ou l'inverse. De mon côté je préfère insister sur l'aspect humain: la jeunesse et la nervosité des soldats, les malentendus et les incompréhensions entre certains chefs, entre la prudence pragmatique des Britanniques et la détermination offensive des Américains; enfin et surtout, beaucoup de morts, soldats et civils, qui auraient pu être évitées (bombardements ratés et inutiles de Caen et d'autres villes normandes) - Des historiens ont étudié ces vingt dernières années les aspects déplorables du D-Day et de la bataille de Normandie, je pense au très bon livre de Antony Beevor (1); mais ils ne sont guère évoqués sur les chaînes de télé, qui préfèrent souligner la dimension logistique des opérations, l'héroïsme des soldats (alliés), ainsi que les lourdes responsabilités des chefs, à l'image d'un Eisenhower, calme et soucieux (2).

 

(1): D-Day et la bataille de Normandie, Calmann-Lévy, Paris, 2009. Beevor mentionne les nombreuses difficultés techniques des opérations et comment elles ont épuisé les jeunes soldats provoquant chez certains des crises nerveuses. Il n'évoque pas vraiment la question des viols sur les femmes, qui a été étudiée depuis les années 2000 par deux historiens américains, Robert Lilly et Mary Louise Roberts. L'historiographie française quant à elle cultive le politiquement correct et peine à soulever les "sujets qui fâchent"...

(2): J'ai regardé hier soir deux documentaires sur France 2 TV: le premier consacré aux préparatifs du D-Day, prétentieusement intitulé "L'histoire secrète du Débarquement"; je n'y ai pas appris grand chose en vérité; le second, "6 juin, la lumière de l'aube", basé sur des images "embarquées" de soldats, suggérait bien sûr la difficulté des opérations, égratignant au passage le chef anglais Montgomery; mais là non plus, rien de très nouveau dans le questionnement; par exemple, qui a payé ce Débarquement ?

 

    La question du financement du Débarquement et de la guerre par les Alliés est très rarement posée; là encore, il faut plutôt compter sur l'historiographie américaine que sur la française pour aborder cette question sans doute complexe et rendue inextricable par les croisements de crédits à court et à long terme entre les états, les banques et les entreprises. La comptabilité des "vainqueurs" est souvent bien plus opaque que celle des vaincus. Quand on cherche sur internet à en savoir un peu plus, on tombe assez vite sur des sites jugés "complotistes": voltaire.org ou égalité et réconciliation, qui évoque des ressemblances voire des relations troublantes entre les techniques financières des Alliés (surtout des Etats-Unis) et celles de leurs ennemis nazis. Enfin, les sites d'extrême-gauche, auxquels on n'applique pas le terme de "complotistes", ne manquent pas eux non plus de signaler que le capitalisme n'a pas de frontières, y compris en période de guerre, et que celle-ci, de toute façon, permet toujours aux grandes entreprises et aux "lobbys" de renforcer leur emprise sur les gouvernements. 

 

   Une chose est sûre: les cérémonies du 6 juin autour de Caen paralysent la circulation et perturbent de nombreuses activités, dont la mienne. Cela dit, je ne m'en plains pas: peu d'élèves en perspective. En attendant demain, ballet aérien aujourd'hui dans le ciel: des dizaines d'appareils de transport et d'hélicoptères, tandis que j'effectue ma tournée cycliste hebdomadaire... Le petit chat Ovni est un peu effrayé quand même par tout ce bruit.

 

     

 

                                         

 



05/06/2019
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