Les chutes du Tour: que faire ?
Plusieurs chutes se sont produites en ce début de Tour de France; les coureurs roulent très vite (entre 60 et 80 km/h !) sur des routes qui ne sont pas faites pour un tel exercice sportif; les ronds-points, les ralentisseurs (dos d'âne) et les îlots directionnels, qui se sont multipliés ces dernières années, constituent un risque supplémentaire de chutes; l'organisation du Tour a de plus en plus de mal à trouver des parcours sécurisés, notamment en milieu urbain (1); elle impose donc aux municipalités et aux collectivités territoriales des aménagements (suppression des ralentisseurs dans les derniers km de l'étape) qui toutefois n'empêchent pas les chutes. "Il faut prendre des mesures fortes !" lance le directeur sportif Marc Madiot, ancien coureur (des années 1980) et visiblement très affecté par le spectacle de ces chutes effrayantes:
- "Quel parent acceptera que son enfant fasse du cyclisme en voyant un tel danger ?!" (je cite en substance son intervention télévisée). Mais quelles mesures prendre ?
Il y a trop de bruit sur la course et dans le peloton: le public, les voitures des équipes et de l'organisation, les motos de journalistes, les hélicoptères de la retransmission télé; "les coureurs sont dans un état de stress indescriptible" note un médecin d'équipe, car ils sont également harcelés dans les oreillettes par les directeurs et assistants qui leur imposent de se mettre ou de rester aux premiers rangs du peloton: "staying at front !"- Oui mais voilà, il n'y a pas la place pour tout le monde; alors, certains forcent, jouent des coudes, intimident, et poussent donc à la faute des coureurs peut-être plus hésitants. Dans un peloton, les coureurs se frôlent et se "frottent", et les roues parfois se touchent. Les freins à disques, par ailleurs, qui maintenant équipent la plupart des vélos, provoquent des freinages plus vifs qui sont sans doute une cause supplémentaire de chutes; enfin, la pluie est un facteur très aggravant, et quand le Tour se déroule en Bretagne, il faut évidemment en tenir compte...
Mais on ne peut pas supprimer la pluie ni même la Bretagne (quoique...). Les freins à disques ? Ils ont leurs avantages (notamment sur route mouillée). Des sanctions contre les coureurs dangereux ? Pourquoi pas. Mais il faudra des images très précises à l'appui; et si on les trouve, d'aucuns crieront au "Big Brother" et au "flicage". Dans un peloton, surtout, on parle beaucoup, et certains échanges ou propos peuvent s'avérer tout aussi condamnables que certains gestes, d'autant plus quand ils en sont la cause. Supprimer les oreillettes pourrait sembler plus facile. L'Union Cycliste Internationale (UCI) l'a plusieurs fois proposé, mais la plupart des équipes et des directeurs refusent, estimant que l'oreillette permet d'améliorer la sécurité de la course; les avis sont très partagés sur ce point; Jalabert et Voeckler (anciens coureurs qui aujourd'hui travaillent pour France TV) sont en faveur d'une restriction de l'oreillette, mais pas de sa suppression. C'est un peu comme le portable au lycée: oui dans certains cas, non dans d'autres. Il faudrait donc un nouveau règlement du Tour de France, avec des articles très précis et très clairs. Henri Desgrange de son temps n'aurait pas hésité; mais aujourd'hui, on a l'impression que M. Prudhomme, l'actuel directeur du Tour, essaie de contenter tout le monde et de viser plusieurs objectifs: la sécurité des coureurs, le business de la course, le spectacle de la retransmission, la "passion" de l'événement et la "raison" des structures, les exploits de quelques uns et la santé du plus grand nombre, etc. Tous ces objectifs sont bien difficiles à concilier, et la communication très lénifiante de M. Prudhomme donne l'illusion que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais en réalité les tensions et les rivalités sont de plus en plus fortes.
Certains coureurs, comme Benoît Cosnefroy, très gravement blessé il y a quelques années, ont choisi aujourd'hui d'être prudents; dans les derniers km d'une étape de sprint, où le peloton fonce à plus de 60, ils préfèrent se mettre dans les dernières positions, voire se laisser décrocher; c'est "l'entre-deux qui est dangereux", explique Cosnefroy, quand vous vous retrouvez coincé et enfermé dans le milieu du peloton et que vous ne voyez pas bien ce qui se passe (en fait vous ne voyez plus rien du tout, vous courez à l'aveugle !). Quelles mesures prendre ? Eh bien, à l'image de Cosnefroy, on a envie de dire que c'est à chaque coureur de réfléchir, de peser le pour et le contre des risques, d'enlever ses oreillettes si elles le gênent, voire de ne pas participer au Tour, trop bruyant, et de lui préférer d'autres épreuves, moins lucratives mais plus agréables à courir... Evidemment cette liberté et cette "indépendance" supposeraient que les coureurs fussent en position de force face à leurs dirigeants et sponsors; il n'en est rien, et la tendance depuis plus de trente ans est qu'au contraire les coureurs professionnels deviennent toujours plus soumis aux volontés de ceux qui les payent et qui parfois les payent fort cher. "Il faut faire le job" disent les coureurs.
En attendant les mesures fortes préconisées par le Mayennais Marc Madiot, et on risque d'attendre un peu, nous serons Victorine et moi du côté de Laval, demain, pour assister à l'étape du contre-la-montre, où le danger de chute est beaucoup plus limité, puisque les coureurs courent individuellement ! Pour un adepte de la prudence absolue tel que moi, c'est une étape idéale.
(1): Thierry Gouvenou, qui est chargé du tracé au sein de l'organisation du Tour, explique: "Pour cette étape dans le Morbihan, on a dû rayer de la liste Lorient, Lanester, Hennebont et Plouay qui nous semblaient trop dangereux. On n'a plus aucune ville moyenne sans îlot, giratoire, ou rétrécissement. Il y a dix ans, il y avait 1100 points dangereux sur le Tour de France. Cette année, on en est à 2300. Si le niveau d'exigence devient trop important, on n'aura plus d'arrivée. On en est là." Propos rapportés par L'Equipe, 29 juin.
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