Et de la radio en particulier
Dans mon précédent article consacré aux médias je n'ai pas parlé de la radio; c'est le moment de le faire. En histoire, programme de terminale, on montre aux élèves que la radio fut l'instrument de propagande des régimes nazi et fasciste, mais qu'elle fut aussi utilisée pendant la guerre par la Résistance et au service des Alliés; on montre ensuite comment elle permit à de Gaulle de convaincre les Français et les soldats en Algérie d'obéir à ses ordres; la voix du Général, avec ses intonations souples et mécaniques, avec ses subjonctifs imparfaits et ses impératifs, avec sa ponctuation et son rythme impeccables, ses pauses et ses redémarrages, dominait alors et de haut celles des autres tribuns; en cette époque des années 60 il y avait encore de vrais orateurs qui connaissaient les règles et les techniques de la rhétorique; la radio, cela dit, leur préféra les chanteurs, les humoristes et les sportifs, puis les "jeunes" de 68; de nouvelles ondes et de nouvelles stations captèrent l'écoute du public, et les grands discours politiques disparurent peu à peu du paysage radiophonique.
Tout jeune j'ai écouté les radios dites périphériques, RTL et Europe n°1; je me souviens des émissions de Pierre Bonte du dimanche matin, où il interrogeait les maires des petites communes, c'était à la fois sérieux et enjoué; je me souviens des Grosses Têtes, délirantes et caustiques, avec Jacques Martin, Jean Yanne, Jean Dutourd, Sim et Olivier de Kersauson; je me souviens bien sûr du Tour de France en direct, de ses cafouillages sonores exaltants, au milieu du calme rural, et avec l'autorisation de mon père, sous certaines conditions: que la radio ne soit pas trop forte pendant sa sieste, et qu'elle soit compatible avec les tâches agricoles. Pour améliorer mon anglais (bonne conscience) j'écoutais les retransmissions des matchs de foot britanniques sur la BBC, le samedi après-midi. Je n'ai pas souvenir, collégien, ni même lycéen, d'avoir beaucoup écouté la radio publique française, notamment Le Masque et la Plume sur France-Inter que certains camarades plus cultivés que moi écoutaient régulièrement. C'est en arrivant à l'université que je pus constater mon inculture radiophonique; je me mis alors à écouter France-Culture !
Non seulement à l'écouter mais à enregistrer les émissions, d'histoire, de littérature, de philosophie; je me souviens d'une série consacrée à la guerre d'Indochine, d'entretiens avec Antoine Blondin, ou de reportages diffusés en fin de soirée ("nuits magnétiques") sur le marais poitevin; en deux ou trois ans je devins quelqu'un d'assez cultivé, capable en tout cas de faire illusion dans des conversations; mais les conversations en réalité tournent davantage autour des événements privés que des questions publiques; or ma vie privée n'a jamais été très riche: peu de voyages, peu de rencontres, peu de découvertes et encore moins d'anecdotes; peu de confidences, peu de révélations. France-Culture au contraire donne souvent la parole à des intellectuels, des écrivains et des artistes qui ont mille choses passionnantes à dire, à tel point que le modeste auditeur peut s'en trouver irrité: tous ces "moi je" un peu supérieurs et accessoirement méprisants (style Philippe Sollers) le renvoient à son "sous-moi" perdu dans la masse. En revanche, et contrairement à Soral qui le déteste, j'ai toujours apprécié Finkielkraut pour son émission Répliques du samedi matin, où j'ai appris bien des choses.
Depuis quelques années, j'écoute Radio-Courtoisie, pour ses émissions d'histoire et de géopolitique; les invités sont souvent âgés et parfois pénibles à écouter; la nouvelle directrice, Dominique Paoli, qui a remplacé le Versaillais parfois antisémite Henry de Lesquen, est elle-même désagréable par les intonations pédantes de sa voix; son prédécesseur était plus percutant et beaucoup plus cultivé en géopolitique. Radio-Courtoisie se présente comme la radio de "toutes les droites et de tous les talents"; toutes les droites ? Egalité et Réconciliation ainsi que Rivarol ne sont plus invités depuis le remplacement de Lesquen par Paoli. En revanche et de plus en plus sont invités des auteurs "modérés" qui pourraient très bien passer sur France-Culture ou même France-Inter.
D'une manière générale j'aime apprendre des "choses" que les manuels d'enseignement ne m'apprennent pas; la radio permet de découvrir certains auteurs, dont le propos intéresse et sort un peu de l'ordinaire intellectuel; récemment, un soir, je suis tombé sur un certain Pierre Mari, écrivain, essayiste, conférencier, dont les articles lus ensuite sur internet (le site Stalker de Juan Asensio) m'ont paru d'une grande qualité, formelle et factuelle; Victorine a trouvé que c'était pédant. Mais Victorine a une autre sensibilité que la mienne à la langue française, plus romanesque et plus post-moderne; je peine souvent de mon côté à lire des romans; quant au post-modernisme...
Le post-modernisme est associé selon moi aux portables, c'est à dire aux instruments culturels et technologiques du nomadisme et de la communication intempestive, ou disruptive comme disent les intellectuels; on m'a expliqué autrefois que le post-modernisme était la fin des grands récits chronologiques et des mythes historiques et politiques de type national (par exemple le gaullisme ou le bonapartisme); le post-modernisme serait donc une conséquence et une expression de la mondialisation, avec ce que les historiens essayistes appellent l'entrecroisement des points de vue et le "décentrement" des regards; en effet, sous le règne des portables et d'internet, on peut dire que "ça fuse" et "ça buzze" de partout; et que ça biaise dans tous les coins ! Il n'y aurait donc plus de parole centrale, plus de hiérarchie, plus de "verticalité" disent les intellos, "tout se vaut ! tout est relatif !", et Shakespeare n'a pas plus de valeur ou d'autorité culturelle qu'une paire de bottes, ou qu'un clip de rap, comme s'en plaignait déjà Finkielkraut dans les années 1980 !
Je n'en crois rien, évidemment; et je ne pense pas que les cultures soient aussi déstructurées ou mondialisées et "ouvertes" qu'on veuille bien le dire sur certains médias*; je vois par exemple dans mon métier que les programmes qui se renouvellent souvent en apparence, ne changent pas vraiment sur le fond et creusent un peu toujours les mêmes tranchées; on retrouve "relookés" les mêmes questions et les mêmes sujets, beaucoup de politique et de géopolitique "occidentaliste", démocratico-libérale, droits-de-l'hommiste, humanitaire, environnementaliste, mais aussi et surtout, capitaliste, étatico-mondialiste et schizophrénique ! Globalement, une histoire-géopolitique très sérieuse et très moralisante, ou plutôt très démoralisante !
Quant au portable post-moderne, je vais sans doute devoir en faire l'acquisition; celui que j'ai depuis plus de dix ans n'est plus vraiment opérationnel avec son petit pavé numérique et ses touches illisibles qui me donne plus d'ennuis que d'agréments; en vieillissant il n'est pas mauvais de se tourner vers davantage de confort.
*: France-Culture qui se présente comme la radio de l'esprit d'ouverture ne donne jamais la parole aux intellectuels réac et ne rate jamais une occasion de les mépriser et de les anathémiser, comme dirait Francis Lalanne; quant à Soral, pas question même de le citer comme intellectuel. Horresco referens ! Radio-Courtoisie, me direz-vous, elle aussi sélectionne ses invités, et ostracise la gauche, mais ne se prétend pas "radio d'ouverture" et ne bénéficie pas de l'argent public.
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