Fin et bilan du Tour
La presse française s'enthousiasme un peu naïvement pour le Tour de France qui vient de se terminer; j'ai déjà signalé le style cocardier et selon moi ridicule du quotidien régional euro-atlantiste Ouest-France, sans aucune réflexion, sans véritable analyse, et vantant les soi-disant exploits des coureurs français, Alaphilippe et Pinot, qui ont, parait-il, rendu la course passionnante comme elle ne l'avait plus été depuis longtemps, depuis le début des victoires de Froome et de la domination de l'équipe anglo-saxonne Sky.
En vérité rien n'a vraiment changé; l'équipe Sky s'appelle désormais Ineos (société de produits chimiques basée en Suisse...), elle porte de nouveaux maillots mais ses méthodes et ses moyens restent les mêmes, et sa domination n'a pas du tout été contestée sur ce Tour 2019: pour preuve, ses deux leaders, Bernal et Thomas terminent 1er et 2e ! - Mais Bernal, à la différence de Froome, présente un air d'enfant de choeur, innocent et juvénile (22 ans et plus jeune vainqueur du Tour depuis l'après-guerre); enfin c'est un Colombien, nationalité exotique et chaleureuse du cyclisme mondial que les journalistes européens aux visages pâles se font un devoir de saluer. Mais pour qui a un peu lu l'histoire du cyclisme, par exemple les confidences de Fignon ou de Hinault, la Colombie est bien loin de respecter tous les critères de la lutte anti-dopage (l'entraînement en altitude n'explique pas tout). Pas d'angélisme, donc, sur Bernal; le cyclisme professionnel oblige plutôt au jésuitisme...
Si j'en crois donc les médias français, à commencer par France TV, partenaire important de l'épreuve, on aurait assisté à une course spectaculaire et passionnante, à un magnifique Tour, très dynamique et moins stéréotypé que ces dernières années. Là encore, du calme; les échappées de plaines ont toutes été reprises à quelques kilomètres de l'arrivée, et les sprinteurs ont gagné ces étapes comme auparavant. Quant aux étapes de montagnes, elles n'ont pas donné lieu à de folles stratégies; le coureur anglais Simon Yates, qui ne représentait aucun danger pour les favoris du classement général, a pu s'échapper et gagner à deux reprises dans les Pyrénées. Même chose pour Quintana et pour Nibali. On voit donc se répéter depuis quelques années le même scénario: les coureurs qui jouent le classement général (au moins les 5 premières places) accordent des "bons d'échappée" aux coureurs qui jouent les victoires d'étapes.
Enfin et surtout, la fin du Tour a été grandement tronquée; on s'attendait à ce que les étapes des Alpes fussent passionnantes et on espérait même qu'un coureur français, Pinot ou Alaphilippe, pût s'imposer. Or, Pinot a abandonné sur une blessure à la cuisse, puis Alaphilippe a été logiquement décroché dans la montée de l'Iseran, avant que la course ne soit arrêtée par un orage de grêle dans la descente du même col. Le lendemain, toujours en raison des orages, l'étape a été raccourcie des deux tiers, et réduite à une distance de 60 kilomètres. En notre époque où dominent les discours du dérèglement climatique et des principes de précaution, personne n'a vraiment osé contester la décision "de sagesse et de prudence" des organisateurs du Tour. Et bien moi, je me permets juste de signaler qu'il y avait autrefois des orages de grêle sur la course et des risques de chutes tout aussi élevés, que cela obligeait un peu les équipes à revoir leurs stratégies et à réfléchir aux nouvelles conditions de course, que cela obligeait tout simplement les coureurs à rouler moins vite (disons à 40 au lieu de 80 dans les descentes !). On a l'impression que ce n'est plus possible à présent: que la "machine infernale" du Tour ne peut pas ralentir son rythme et faire preuve d'un peu d'intelligence humaine autonome; sous leurs casques et leurs lunettes de skieurs, les coureurs ressemblent à des androïdes ou des zombis (au choix du lecteur).
Et pourtant, ce sont pour la plupart de bien frêles individus, moins de 60 kilos, moins de 1 mètre 80; je terminerai donc ce bilan du Tour en avouant mon admiration pour ce qu'ils sont capables de faire sur un vélo; non seulement leur vitesse, leur rythme, leur endurance, leur puissance, mais aussi et surtout leur habileté, leur dextérité, leur précision, leur rigueur, leur discipline. Moi même individu très frêle et pédalant un peu le dimanche sur mon vélo de course, je n'ai aucune de ces qualités, et c'est par admiration pour ceux qui les ont que je m'adonne à ce loisir.
Le goût de l'admiration ne consiste pas à s'enthousiasmer mécaniquement en répétant les mêmes expressions usées et ressassées; souvent, ce goût porte au silence et à une sorte de modestie enjouée ou ironique; à revers ou à rebours de notre époque, ou du moins de ce que les médias en montrent, et qui me semble tout au contraire portée à la fanfaronnade, à la gloriole, au chauvinisme ridicule, aux vanités morales, aux agressivités verbales et écrites en tout genre, ou bien à un écoulement gélatineux de bien pensance journalistique ou universitaire qui fait penser à une grosse crème anglaise censée recouvrir tout ce qui précède.
Ce phénomène d'une époque haïssable n'est pas nouveau; dans La confession d'un enfant du siècle, Alfred de Musset expose et explique en quoi son époque à lui, celle des années 1820-1835, fut aussi très décevante et même consternante par certains aspects. J'en parlerai la prochaine fois...
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