En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Bientôt l'hiver

 

    En lisant l'excellente Histoire de la France d'André Maurois (1), j'observe que les vrais moments chauds de la vie politique française et de la vie du pays tout simplement, se déroulent au printemps et en été. Les journées fortes de la Révolution française par exemple: 14 juillet, 10 août, 9 Thermidor... Et sans oublier la défaite de juin 40 évoquée dans une chronique précédente. L'hiver ne se prête pas bien aux "émotions populaires"; le mouvement des Gilets jaunes commencé à l'automne de l'an dernier n'a pas réussi à entraîner les Français; et les grèves actuelles ne semblent pas non plus susciter de véritable élan; dans mon lycée, le nombre des grévistes a nettement diminué depuis la semaine dernière; moi-même je n'en fais plus partie; Victorine me dit que les grèves des enseignants ne dérangent pas vraiment (les autorités) et qu'elles sont faciles à contrôler et à éteindre par le simple fait des retenues de salaires; j'observe aussi que les discours des collègues grévistes sont un peu faiblards, à l'image du slogan syndical: "je suis la lutte des classes"; mélange de "moi-je" et de "nous contre eux"; mais "nous ? qui nous ?" : les professeurs sont bien loin de former un "tout homogène"; et à qui pensent-ils s'opposer ? Au gouvernement ? Au patronat ? Ou bien aux retraités du baby-boom ? comme je l'ai entendu de la bouche d'un collègue d'histoire, qui estime qu'ils sont plein de pognon et qu'ils devraient être davantage mis à contribution. C'est un peu sévère, et très injuste envers nos aînés, et je ne vois pas bien enfin où est "la lutte des classes" dans cette affaire...

 

(1): Editions Dominique Wapler, 1947.

 

  L'Histoire de la France de Maurois est superbement écrite, bien rythmée, nullement lassante ou plombée d'analyses fastidieuses, toute en vigueur d'explications et fermeté de jugements, et non dépourvue d'anecdotes édifiantes, comme celle-ci concernant le roi Louis XII: "Il n'avait que 52 ans. Marie, soeur du roi d'Angleterre, toute jeune princesse de 17 ans, lui fut proposée. Il la prit: elle le tua. Elle avait, sous un air glacé, le tempérament surabondant des Tudor. Le maigre Louis XII dut aller de fête en fête et faire avec sa femme "du gentil compagnon". Il mourut le 1er janvier 1515." (p. 141). Lui succède François Ier, roi athlétique, chevalier, et plus porté à l'action qu'à la réflexion; d'où la nécessité et l'importance de bons ministres, prudents et informés des choses de la société; Maurois dit le plus grand bien de Sully qui réorganisa le royaume après les guerres de religion: "labourage et pastourage sont les mamelles de la France". Il dit beaucoup de bien aussi, mais dans un autre registre, de Richelieu, son sens de l'Etat (centralisé) et de la diplomatie (offensive). "Il croyait à la sévérité, non à la rancune: "Si un homme est sujet à ses vengeances, le mettre en autorité est mettre l'épée à la main d'un furieux." Peu de ministres ont été plus attaqués et calomniés. Il apprit à supporter les attaques avec calme: " Il ne faut faire des injures aucun état; elles exercent celui contre qui on les répand et servent à la gloire de ceux à qui on veut nuire." (p. 210)

 

   Côté géographie, pas grand chose à signaler; avec un ami ancien collègue nous convenons du caractère bien souvent très ennuyeux des programmes de géographie; il n'est question que de mondialisation, de métropolisation, de réseaux et de flux de production, ou alors il faut parler des inégalités sociales, de richesses, des risques environnementaux et des politiques de développement. C'est souvent très abstrait, très schématique, et sans doute inexact; en tout cas on peine à intéresser les élèves. Au lieu des manuels il faudrait utiliser en classe la revue Géo, avec ses superbes photos et ses reportages très vivants au coeur des populations et des activités. Mais l'Education nationale ne veut plus éveiller aucun goût et semble trouver le sien à ennuyer tout le monde; la géopolitique, par exemple, qui vient de faire son entrée officielle dans les programmes, invite à une sorte de somnanbulisme didactique: on avance à tâtons dans les obscurités du pouvoir, de la puissance, des civilisations et des empires. De temps en temps je frappe dans mes mains pour réveiller la classe.   

 

    Bientôt l'hiver, période de lectures au coin du feu, qui ne porte guère au dynamisme et à l'innovation pédagogiques, encore moins à défendre énergiquement un régime de retraites dont les faces cachées sont plus vastes et profondes que celles qu'en donnent des chiffres de surface. A l'approche de l'hiver se tiennent aussi les assemblées générales des copropriétés; la mienne s'est déroulée dans une ambiance exécrable, puisque deux personnes ont failli se taper dessus; la première, retraitée, reprochait à l'autre, une jeune  femme tenant salon de beauté dans son appartement, ses bruits de talons; il devait y avoir bien des sous-entendus à la source de cette altercation; heureusement, le déroulement du bilan chiffré de l'assemblée a permis de calmer ou d'étouffer les énergies antagonistes. Et le pouvoir soporifique de la réunion a eu raison de la libre expression des vulgarités verbales. D'une certaine manière, on pouvait dire alors: l'ennui parfois a du bon.                          

 



17/12/2019
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