En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

C'était mieux avant

 

     Ouest-France donne la parole aux "réacs"; d'abord Marc Madiot, le directeur sportif mayennais de l'équipe Groupama FDJ, qui se plaint du professionnalisme robotisé ou aseptisé qui règne aujourd'hui dans le cyclisme et sur le Tour de France en particulier; je le cite: " Autrefois, les équipes étaient logées sur place. Il y avait une vraie fête de village. Aujourd'hui, trois heures après l'étape, il n'y a plus rien... Les journalistes se précipitent pour envoyer leurs papiers. On est en permanence dans une course de vitesse. J'ai connu une époque où on discutait avec les copains, on lisait le journal. On s'arrêtait au km 92 avec les suiveurs du Tour pour ripailler. Aujourd'hui, on veut une course nerveuse, de l'action. On est dans le show. Je rêve d'un retour en arrière, où l'on retrouverait les vrais forçats, sans assistance, sans oreillettes, sans GPS, pour redonner de la spontanéité à la course, revivre les années 20-30. Aujourd'hui, dans les équipes, certains n'ont même pas fait de vélo et ne parlent qu'avec l'ordinateur... Le rêve absolu, ce serait de pouvoir dire: comment vous le sentez aujourd'hui ? Qu'avez-vous envie de faire ? Je suis heureux d'avoir été coureur dans les années 80, je me ferais chier aujourd'hui." (1)

 

(1): Ouest-France, édition Mayenne, 30 juin

 

    Deuxième témoin réac interrogé par le quotidien régional, le journaliste-écrivain Philippe Brunel, qui lui aussi regrette le bon vieux temps et déplore le show médiatique actuel du Tour: "L'enthousiasme est devenu professionnel. Et je trouve que cela se sent. On force un peu le trait. Il n'y a plus de grands récits (...) Il faut réinstaller le Tour dans sa veine sentimentale... Il faudrait, tous les quatre ans, qu'il se dispute par équipes nationales, pour être au niveau du football, des JO, de la coupe du monde de rugby..." (2). Quant au dopage, rien n'est fait pour le combattre, estime Philippe Brunel, car le cyclisme professionnel (avec ses retombées médiatico-commerciales) n'a évidemment pas intérêt à faire éclater un nouveau scandale. L'UCI, les équipes les plus riches et les sponsors les plus influents se tiennent les coudes et font "bloc" en faveur de la "mondialisation" du cyclisme professionnel: l'équipe du champion slovène Pogacar est financée par les Emirats Arabes Unis ! Et les deux vainqueurs d'étapes de vendredi et de samedi appartiennent à la même équipe financée par l'Etat de Bahrein ! Quant au quadruple vainqueur du Tour, Chris Froome, aujourd'hui relégué aux dernières places du classement général, il est quand même l'un des mieux payés du peloton, et son sponsor officiel s'appelle: Israël Start-up nation ! On pourrait croire, derrière de tels noms, à un retour du "national"; mais pas du "national" tel que Philippe Brunel l'appelle de ses voeux; il s'agit au contraire d'un "national" étatico-mondialiste et capitaliste, qui défend une logique de profits sélectifs (pour quelques-uns) et se sert des sports médiatisés comme d'un moyen de pression géopolitique (3).

 

(2): Ouest-France, 4 juillet.

(3): Cette géopolitique des sports est bien étudiée depuis plusieurs années; en France le géopolitologue Pascal Boniface en est l'un des meilleurs vulgarisateurs. Le Tour de France "mondialisé" est même abordé dans certains manuels de géographie de Terminale. Beaucoup d'élèves sont au courant de l'influence géopolitique du Qatar et des Emirats Arabes dans le football (ils financent certains clubs et non des moindres).   

 

    Ouest-France, donc, n'hésite pas à s'adonner au "c'était mieux avant", même si le journal soutient globalement une "ligne éditoriale" bien-pensante et progressiste qui pourfend le pessimisme réac. Philippe Brunel lui-même, tout en déplorant le cyclisme professionnel actuel et le Tour de France "dénaturé" par certains intérêts, tient à préciser qu'il n'est "ni passéiste ni aigri"; il est nostalgique, certes, mais pas "vieux con"; c'est un état d'esprit assez répandu en vérité dans l'opinion publique. Je connais même quelqu'un qui a inventé le terme de "trans-chronie" pour évoquer sous une forme ironique cet état d'esprit; ainsi, tout en utilisant internet, les personnes trans-chrones écoutent de la musique des années 50. C'est tout à fait accessible comme état d'esprit. 

    Quant à Pogacar, l'actuel leader du Tour de France, il est lui aussi trans-chrone, puisque Ouest-France a choisi avec ironie et second degré de le comparer à Pantani en 1998 (l'année du scandale de dopage de l'affaire Festina) voire à Armstrong; le journaliste pousse même l'amusement jusqu'à écrire que Pogacar vient de réaliser une démonstation qui a déjà trouvé sa place dans la légende du Tour de France... Sans ironie du tout, cette fois, les commentateurs télé s'enthousiasment du style de Pogacar qui attaque à 30 km de l'arrivée, à la manière des grands champions d'autrefois; ce jeune coureur plein de panache "casse les codes" et nous propose un Tour exaltant. 

 

    Bref, vive le Tour et vive la trans-chronie !                           

 



05/07/2021
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