En lisant Les Confessions, première approche
Je suis parfois attiré par les gros livres; ce qu'on appelle des "pavés"; j'y vois une manière d'endurance, comme dans l'épreuve Paris-Roubaix; et avec le confinement, il faut savoir durer. En ouvrant donc Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, puisque c'est de ce livre dont il s'agit, je me suis dis que je pourrais tenir jusqu'à la fin des vacances. L'épaisseur du volume s'explique par un important "appareil critique" (1); évidemment, d'autres raisons m'ont porté à ce choix. D'abord, en guise d'amuse-bouche, j'ai lu une petite centaine de pages d'un essai de Jean Starobinski consacré à Rousseau (2); ce livre figurait en bonne place dans la bibliothèque de Victorine placée au dessus de la télé, l'ayant remarqué, plusieurs fois je m'étais dit que je l'ouvrirais un de ces quatre. Puis est apparu brusquement l'autre jour, sorti d'une pile de livres située dans une autre pièce (3), le gros livre des Confessions, facile à remarquer en raison de sa couverture jaune et rouge, sans illustration, qui lui donne un aspect de code civil ou de traité médical. C'est l'édition qui nous avait été conseillée pour l'agrégation de Lettres, m'explique Victorine; une manière déjà d'éliminer des candidats dilettantes ? ou mal voyants ? Il faut en effet de bons yeux ou de bonnes lunettes pour lire un tel volume, car le texte est très serré, les caractères tout petits et les notes infrapaginales ainsi que les indications de variantes innombrables, sous la forme de petites lettres et de petits chiffres qui gênent un peu la lecture, au démarrage; et puis on s'habitue, on s'endurcit, comme sur les pavés de Paris-Roubaix...
(1): Edition de Jacques Voisine, Classiques Garnier, Poche, 2011, 1090 pages.
(2): J. Starobinski, Jean-Jacques Rousseau, La transparence et l'obstacle, Gallimard, coll. Tel, 2006
(3): La bibliothèque de Victorine est décomposée (désorganisée ?) en plusieurs parties dans différentes pièces; les livres ne sont pas classés, ni vraiment rangés, ce qui offre la possibilité de fouiller, comme chez un bouquiniste.
J'ai déjà lu Les Confessions, mais je ne sais plus quand ni où; il y a sans doute une trentaine d'années; je me souviens un peu mieux en revanche de la lecture de La Nouvelle Héloïse sous le soleil de Tunis. Plus tard j'ai ouvert Les Rêveries puis les écrits politiques de Jean-Jacques Rousseau; c'est une oeuvre complexe sous des aspects qui peuvent sembler accessibles; Victorine me dit qu'on étudie toujours des extraits des Confessions au collège; tandis qu'au lycée en classe de philo on examine un peu le Contrat Social (là aussi en petits morceaux) et le Discours sur l'origine de l'inégalité. On trouve sur internet de très bons sites consacrés à cette question (j'en propose un en bas de l'article). La complexité de l'oeuvre vient sans doute de ses différents "niveaux de lecture" et de compréhension ou d'interprétation; littéraires et philosophes, sociologues et historiens, anthropologues et psychologues se disputent et interrogent cette oeuvre en fonction de leur spécialité; médecin et psychiatre, Jean Starobinski va par exemple insister sur la maladie et la solitude de Rousseau. Tandis que Jacques Voisine, lui, préférera analyser le style et les méthodes de composition des Confessions. Quant aux historiens "modernistes", ils pourront montrer l'écrivain dans son temps et aux prises avec lui; c'est à dire ce fameux XVIIIe siècle des Lumières qui fut aussi plein d'ombres et de noirceurs pour un philosophe et moraliste de la transparence (et de la sincérité) tel que Rousseau. Du reste, les manuels scolaires d'histoire (niveau Seconde) hésitent dorénavant à citer Rousseau parmi les philosophes des Lumières. A la rigueur il vaut mieux parler de lui quand on étudie la Révolution française; car il fut l'auteur préféré de Robespierre et son Contrat Social a pu inspirer la ferveur républicaine de certains révolutionnaires. Evidemment, Rousseau fut détesté par les réactionnaires (Joseph de Maistre écrit un Contre Rousseau qui s'en prend au Discours sur l'inégalité), puis par les libéraux, par les cyniques, par les dandys, par les bourgeois des villes, disons par la plupart des écrivains et essayistes politiques du XIXe. Ce qui horripile le plus, me semble t-il, tous ces anti-rousseauistes, c'est l'hypocrisie et la fausseté de Jean-Jacques sous ses excuses de maladresses et de timidité; c'est surtout son idéal de sincérité et d'amitié entre les êtres qui bien souvent s'avère impraticable en raison des rivalités (mimétiques comme dirait René Girard) et des différences de perception qu'éprouvent et que montrent les individus dans leur jeu et dans leur "je" social... Enfin, les difficultés relationnelles rencontrées par Rousseau, sa relative misanthropie, voire sa misogynie et son "homophobie"(4) semblent donner raison à ses détracteurs, qui bien souvent ne font pas l'effort de lire les textes originaux et se satisfont de quelques commentaires trouvés ici et là.
(4): Je suis tombé sur un lien de France-Culture à propos de l'homophobie de Rousseau, de Schopenhauer et de la "manif pour tous"; je ne l'ai pas ouvert. Mais pour les amateurs il est très facile à retrouver (comme toutes les émissions de France-Culture d'ailleurs)
Il est préférable tout de même de lire les textes originaux; c'est une question d'honnêteté morale et intellectuelle, mais c'est aussi beaucoup plus intéressant de pénétrer dans une oeuvre que de s'en tenir aux apparences. Mes prochains articles porteront donc vraiment sur Les Confessions...
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