L'épopée des Verts, 1976
Je reprends contact avec le foot: sur la chaîne L'Equipe TV, une nouvelle invitée, vénézuélienne, brune et pulpeuse, vient discuter avec les habituels intervenants; de quoi parlent-ils ? Du PSG bien sûr ! Le décor a été un peu changé, avec de nouveaux "jingles", mais les sujets sont toujours les mêmes; et les arguments aussi. Tous ces "journaleux" sont bien gentils, mais force est de constater, comme on dit, qu'ils ne nous apprennent pas grand chose, et qu'eux-mêmes, sans doute, ne savent pas grand chose; ou s'ils le savent, ils n'en parlent pas. Est-ce de la dissimulation ou de la déontologie professionnelle ?
Toujours est-il que cette hypocrisie parfois malicieuse et très complice parvient à capter du public; l'ambiance sur le plateau est plutôt détendue, et les rares moments de tension et de malaise qui sont déjà survenus, voire quelques "clashs" entre invités, ont fait du tort à l'émission; le public préfère la décontraction et l'humour aux brusques accès de gravité et de sérieux d'un Grégory Schneider, de Libération, qui de loin est le plus susceptible et irascible des invités; qu'il travaille pour un journal de gauche intolérant, sûr de lui et dominateur, explique sans doute ce comportement professionnel.
Mes invités préférés sont Guillaume Dufy et Sébastien Tarrago, journalistes de L'Equipe; ils n'étaient pas présents l'autre soir pour la reprise de l'émission, qui a duré jusqu'à 21 h, soit une demi-heure de plus qu'auparavant. Décidément, la France se couche de moins en moins tôt: ce n'est pas bon pour les économies d'énergie ! Quand on dort on ne consomme pas grand chose. On nous apprenait cela autrefois.
Autrefois, justement: l'émission terminée, la chaîne propose un documentaire sur l'épopée des Verts de Saint-Etienne en 1976; ce documentaire réalisé en 2015 et diffusé en 2016 (d'abord sur Canal Plus) est assez difficile à trouver sur internet, sauf quelques extraits sur le site de l'INA. En tout cas je le conseille vivement, y compris à ceux qui n'aiment pas le foot. Que voit-on ? qu'entend-on ?
Il est donc question de l'équipe de Saint-Etienne qui parvient en finale de la coupe d'Europe des Clubs Champions en réalisant des matchs courageux voire héroïques, notamment contre le Dynamo de Kiev en quarts de finale. Le documentaire repose en grande partie sur les témoignages des joueurs concernés, qui ont tous entre 60 et 70 ans à présent; ils ont parfois les larmes aux yeux et l'un d'entre eux, Christian Synaeghel, ne peut se retenir en évoquant sa blessure qui le prive de la finale mais qui permet à son ami Jacques Santini de le remplacer.
Car ce fut avant tout une équipe de copains (avec bien sûr des disputes et des désaccords) dominée par un état d'esprit collectif exceptionnel, et tel qu'on n'en voit plus du tout de pareil à présent. L'autre aspect qui ressort du film, c'est la ferveur du public stéphanois et français autour de cette équipe. A cette époque les joueurs étaient encore accessibles, les gens pouvaient leur parler, dans la rue, dans un bistrot; ils parlaient français, déjà, et ne pensaient pas qu'au fric et aux plaisirs, comme c'est le cas pour bien des joueurs actuels (ce que les journalistes de L'Equipe TV laissent parfois clairement deviner, quand ils parlent de "l'hygiène de vie" de tel et untel, de Dembélé par exemple dont il était question l'autre soir...). Ferveur du public, donc, avec ses imprudences incroyables; le documentaire rappelle (je l'avais oublié) qu'un supporter stéphanois fut tué par l'hélice de l'avion privé de l'équipe sur le petit aéroport de la ville. Ferveur parfois étonnante, pour nos prudes oreilles bien pensantes d'aujourd'hui, quand une supportrice déclare à propos du joueur Oswaldo Piazza:" c'est une belle bête celui-là, un des derniers bastions de la virilité, quand on voit les hommes de maintenant avec leurs petites épaules qui tombent..." - Ferveur enfin du proviseur du lycée de la ville, qui vient avertir en pleine classe le jeune joueur Castaneda qu'il doit immédiatement se rendre au club pour remplacer le deuxième gardien qui s'est blessé; "après le cours ?" demande le jeune homme, "non-non, tout de suite !" répond le proviseur.
Le foot de cette époque était donc bien différent d'aujourd'hui; pour autant ne l'idéalisons pas; il y avait beaucoup de vilains gestes sur les terrains, et les joueurs ne portaient pas toujours de protège-tibias; il y avait aussi des erreurs d'arbitrage grossières et sans doute de la corruption et des matchs arrangés; il y avait déjà des caisses noires entre les mains des dirigeants (comme à Saint-Etienne justement !) - Dans les tribunes on devait comme aujourd'hui crier des injures homophobes et racistes* - Quant au jeu pratiqué, enfin, il était moins puissant et moins athlétique que maintenant; mais il était plus animé, plus organisé, et parfois mieux "pensé" et même théorisé au point de tétaniser les joueurs **.
*: Même si dans l'équipe de Saint-Etienne de 76 il n'y a pas un seul joueur noir africain, et par ailleurs la règlementation internationale de l'époque interdit plus de trois joueurs étrangers par équipe.
**: C'était le cas du Dynamo de Kiev, un mystère de jeu selon le gardien de Saint-Etienne, Ivan Curkovic, avant qu'il ne comprenne, à la fin du fabuleux match retour de quarts de finale, que cette équipe au style très planifié, très soviétique, était incapable de réagir devant une situation de match tout à fait imprévue. En tout cas, à cette époque s'affrontaient des styles de jeux volontaires et imposés par les entraîneurs; les joueurs, avec dans le dos de leur maillot un numéro qui correspondait à une place sur le terrain, devaient obéir aux consignes ! Aujourd'hui, beaucoup n'obéissent plus qu'à leurs agents.
Je dois dire pour conclure que ce documentaire m'a donné des frissons et beaucoup d'émotion; j'ai trouvé qu'il était sobre dans sa réalisation et fort bien écrit; les propos des joueurs, surtout, notamment de Dominique Bathenay, de Christian Sarramagna, de Christian Synaeghel, de Dominique Rocheteau et de Patrick Revelli, sans oublier Jean-Michel Larqué, Ivan Curkovic et Oswaldo Piazza, disons tous ! Leurs propos, donc, par leurs précisions et leur simplicité, m'ont mis bien souvent au bord des larmes. Je n'avais qu'une chose à dire en éteignant la télé: "Merci les gars !"
Debout, de gauche à droite: Curkovic, Janvion, Bathenay, Piazza, Farison, Lopez, Synaeghel
Asssis, de gauche à droite: Rocheteau, Larqué, Revelli.H, Revelli.P.
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