Columbo
La série policière Columbo est considérée aujourd'hui comme une "série-culte", toujours rediffusée, notamment le samedi sur TMC; série-culte veut dire qu'on la regarde avec beaucoup d'indulgence et même une certaine tendresse; je suppose aussi que les téléspectateurs "inconditionnels" sont des personnes de plus de 40 voire 50 ans, comme moi, qui ont connu les Columbo du samedi soir sur TF1 dans les années 70. La série a été lancée en 68, elle a été arrêtée en 78 puis reprise en 89 et jusqu'en 2003. Elle compte 69 épisodes étalés sur 18 saisons. Chaque épisode est indépendant.
J'aime beaucoup Columbo sans en être un passionné ou un érudit; sur les 69 épisodes je pense en avoir vu une trentaine, notamment les plus anciens, très peu en revanche dans les derniers, où le vieillissement du personnage me gêne un peu. Il faut bien le reconnaître, Columbo c'est d'abord et avant tout un personnage: son imperméable, son cigare, sa 403, son chien, son regard malicieux, son allure un peu négligée mais sa très grande finesse d'expression et sa politesse déférente et tactique avec les suspects. Un personnage qui a pu inspirer d'autres séries policières, je pense ici à la déplorable Capitaine Marleau, dont le négligé vestimentaire et physique n'est pas du tout compensé par la finesse des dialogues, la rigueur de la mise en scène, et disons, la "classe" de la réalisation. Car Columbo, c'est aussi et surtout une série "qui sait se tenir", pour reprendre une expression de mon père, qui lui aussi regardait avec moi le samedi soir.
Qui sait se tenir ? En effet, les crimes nous font entrer dans un milieu social de haut niveau, avec ses villas luxueuses, ses piscines, ses marbres, son "kitsch" dirait-on aujourd'hui, un milieu social souvent guindé, très formaliste et très hypocrite, très WASP en somme, dont les mobiles des meurtres sont financiers ou sexuels. Qui sait se tenir, aussi, sur un plan verbal et technique, avec des criminels qui sont souvent des professionnels de la communication (journalisme) et du langage (psychanalyse), des spécialistes raffinés, méticuleux, qui accomplissent leurs crimes avec précision et propreté ! Qui sait se tenir, cela voulait dire aussi, pour mon père, qu'il y avait quand même une morale dans tout cela: que le crime, bien caché, finit par être découvert, et que le "petit" lieutenant Columbo renverse, par étapes, et lui aussi avec propreté et minutie, la toute puissance d'apparence et d'apparat du criminel. Quant aux criminelles, Columbo se comporte avec une certaine empathie pour elles, leurs crimes sont un peu différents de ceux des messieurs, moins nombreux déjà, et comme plus émouvants et presque "légitimes". En tout cas, traitement de faveur(discrimination positive ?).*
*: Et puisqu'on évoque la discrimination positive, remarquons aussi qu'il n'y a pas de meurtrier "afro-américain" ou asiatique ou hispanique, du moins dans la trentaine d'épisodes que j'ai pu regarder, celle des années 70...
Un élément très original des Columbo, et très peu signalé dans les observations habituelles, mérite ici quelques mots : les crimes non seulement sont toujours accomplis avec une forte préméditation (sauf peut-être pour quelques épisodes où ils sont un peu précipités voire accidentels), mais ils sont en somme des "produits" de la réflexion et de la "raison"; si l'on veut, ce sont des crimes "progressistes", dont les auteurs attendent une promotion, professionnelle, ou un soulagement moral les débarrassant d'une situation de rivalité ou de chantage. En tout cas ce ne se sont jamais de ces crimes sadiques et atroces qu'on peut voir dans d'autres séries, sans autre explication que celles du "mal" et de la laideur de leurs auteurs. Avec Columbo, tout se tient, tout s'explique, car le crime a ses raisons, et les criminels ne sont jamais d'épouvantables personnages. Tout le succès de la série, me semble t-il, réside dans l'échange et la discussion possibles entre le lieutenant de police et le suspect; en dépit des écarts socio-culturels et de l'opposition de "classes"; on a pu dire que la série Columbo devait aussi un peu de son succès à l'idée d'une "revanche sociale", puisque le modeste policier mal habillé, sorte d'Américain "moyen" presque "prolo", que les criminels de la haute société regardent de haut quand il fait irruption dans leur milieu, était finalement capable de se hisser à leur "hauteur" et de les en faire descendre.
C'est une lecture possible de Columbo, évidemment, mais nous sommes aux Etats-Unis, sur la côte californienne qui plus est, et en pleine période encore de "croissance" et de progrès, par conséquent je ne crois pas que l'idée de "revanche sociale" soit un élément moteur de la série; elle ne l'est pas du tout dans l'esprit du lieutenant Columbo, content de son travail, de sa vie privée, et nullement envieux des autres; au contraire, il se répand en propos admiratifs, parfois sincères, ou en "flatteries" calculées, il peut même y ajouter la caution de sa "femme", qu'on ne voit jamais: "oh, quand je vais raconter cela à ma femme, elle n'en croira pas ses oreilles..." est une phrase-culte de la série. Toujours est-il que Columbo se rattache davantage à l'idéologie de la "réussite" américaine, réussite individuelle par le travail, le talent, l'intelligence, voire la beauté, ou un mélange de tout cela, qu'à l'idéologie d'une contestation "gauchiste"; et c'est bien pourquoi la série plaisait à mon père.
Il y a enfin un autre élément qui contribue au "charme" de Columbo, et il faut bien en effet employer ce mot de "charme": car dans les crimes de raison et progressistes qui lui sont soumis, le lieutenant peut compter sur une faculté en quelque sorte réactionnaire ou presque régressive: son flair ou son intuition, ce que lui-même appelle sa "petite voix", et comme si, au contact de l'aisance, de l'assurance, du sang-froid, des calculs et des raffinements du suspect bientôt inculpé de meurtre, Columbo développait une sorte de contre-pouvoir mental: souci du détail, observation minutieuse, scrupuleuse, questionnements inlassables, et cette "petite voix" qui se développe au fur et à mesure des échanges avec des interlocuteurs souvent volubiles. On peut même, dans certains épisodes, avoir l'impression que le coupable en dit beaucoup plus qu'il n'en faut, comme si les hésitations (calculées sans doute) de Columbo l'encourageaient à lui venir en aide. Il n'est pas exclu de penser que le criminel aspire au fond à être délivré du lourd secret de son crime, comme dans le roman de Dostoïevski. Et le lieutenant dispose d'une autre qualité, qui plaisait je crois beaucoup à mon père: son obstination. Cette qualité est souvent aux antipodes des facilités et de l'aisance "libérale" du meurtrier, mais il arrive aussi dans certains épisodes que l'obstination soit au service du crime, ce qui produit un affrontement serré entre Columbo et son interlocuteur. L'intérêt de la série réside aussi dans la rivalité et la tension psychologiques entre un lieutenant obstiné et un meurtier convaincu de sa supériorité ou bien enfermé dans sa détermination. On ne trouve pas du tout cette tension dans les séries françaises où l'emporte au contraire une logique de "débandade" (évitement, fuite, crispation, aveux pathétiques).
Dernière observation: c'est une série qui prête à sourire, et ce n'est pas là le moindre de ses charmes; on peut être amusé par le personnage de Columbo, évidemment, son ironie, sa malice, mais on peut aussi sourire des petites erreurs ou négligences techniques commises par les meurtriers, alors qu'ils ont pris toutes sortes de précautions pour accomplir leurs crimes. Trop de précautions en somme qui attirent le soupçon du lieutenant Columbo, une trop belle mise en scène qui appelle à regarder un peu l'envers du décor; de beaux habits qui ne demandent qu'à être un peu déboutonnés... D'une certaine manière, le petit lieutenant vient nous dire, à nous autres téléspectateurs, qu'il faut se méfier des apparences, et donc de la télévision et de ses images. Tel est sans doute, pourquoi pas, le véritable sujet des enquêtes de Columbo: les dessous du "spectacle".
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