Des nouvelles de mon quartier
Depuis plus d'un an j'habite deux endroits, l'un au nord de Caen et l'autre au sud; le premier, chez Victorine, est une grande maison de lotissement avec un espace vert, des arbres et une haie bocagère (à entretenir); c'est un quartier résidentiel très calme, au bord de la campagne, et tout près d'une abbaye assez réputée qui abrite des archives littéraires et reçoit des intellectuels conférenciers; nous sommes récemment allés écouter un certain Jacques Cantier, professeur à Toulouse, venu parler de son dernier ouvrage: Lire sous l'Occupation (1). Victorine aime beaucoup le cadre abbatial, le silence des lieux, le jardin en partie potager et les fleurs, l'éclat de la vieille pierre restaurée, disons, la noblesse d'une architecture millénaire.
(1): CNRS Editions, 2019. La conférence, mal dirigée par un animateur pédant et ultra-bien pensant de pacotille, n'a pas permis au professeur Cantier, et à son bel accent méridional, de bien exposer la qualité de son travail; on a tout de même compris que sous l'Occupation les Français ont lu davantage qu'auparavant, malgré les restrictions matérielles; que lisaient-ils ? La conférence s'est très vite orientée vers la littérature de la Résistance, mais j'ai cru deviner par certaines allusions qu'on lisait surtout les romans "provinciaux" d'avant-guerre, style Mauriac, Duhamel, Chardonne; disons, une littérature de la discrétion familiale, domestique et du repli sédentaire; pas très résistante au premier abord, mais porteuse de "valeurs sûres" qui ont pu à l'occasion s'avérer résistantes... Les historiens de la Résistance réfléchissent depuis plusieurs années aux différents modes d'acquisition et d'imprégnation des "attitudes résistantes"; une réflexion fort bienvenue qui nous évite un peu les prises de position outrecuidantes de certains intellectuels intempestifs mais aussi le dogme paxtonien du "80 % de Français collabos et pétainistes" !
Au sud de Caen, c'est mon quartier, très différent de celui de Victorine; d'abord, beaucoup plus urbain, avec une ligne de tram toute refaite et bientôt disponible (ouverture fin juillet), un intermarché lui aussi refait (les allées entre les rayons ont été élargies), une polyclinique très fréquentée, une grande caserne de gendarmerie, une mosquée juste à côté, une agence Peugeot, un garage, un cinéma art et essai, une petite église de style mission, et de nombreuses maisons individuelles, de tailles différentes, d'un ou deux étages, collées les unes aux autres mais disposant chacune de leur jardin particulier et de leurs arbres, aux branches parfois mitoyennes (à qui les fruits ?). C'est un quartier de réputation calme, très prisé des jeunes couples et des "primo-accédants", qui guettent en quelque sorte les maisons des personnes âgées, qui sont encore en nombre important si j'en juge par la fréquentation matinale de l'intermarché. En revanche, chez le marchand de fruits et légumes du rond-point, la clientèle des jeunes couples "bobo" est majoritaire. Victorine n'apprécie pas spécialement ce marchand qui vend des produits étrangers: oranges et avocats d'Israël, courgettes d'Espagne, aubergines des Pays-Bas, etc. Moi, je l'aime bien, il a mon âge, il est fils de paysan lui aussi, il fait du vélo, on a un peu les mêmes opinions sur de nombreux sujets (mais sans doute pas sur Israël dont nous évitons de parler).
Quant à ma résidence, elle aussi en partie rénovée, récemment, je n'y viens plus souvent, mais j'y viens quand même de temps en temps; là aussi, les personnes âgées disparaissent peu à peu, remplacées par de jeunes locataires ou propriétaires; l'ambiance reste tranquille, même si on a pu lire il y a quelques semaines un papier affiché sur une porte d'entrée qui mettait en garde contre la présence de clous sur le parking, et dénonçait les incivilités verbales d'un occupant, soupçonné également d'avoir volontairement éraflé plusieurs voitures... Il n'en demeure pas moins que règne le plus grand calme dans mon appartement, où se trouvent rangés mes nombreux livres... Parmi lesquels bien des romans que je n'ai pas lus et relus depuis des années, et il est vrai, comme l'a fait remarquer la dernière fois un lecteur, que la lecture de romans peut être une activité nostalgique, "anxiogène" voire dépressive; à l'inverse, me semble t-il, de la lecture des essais et des articles, notamment sur internet, qui donne une énergie vindicative, protestataire, réactionnaire, etc. Le "grand roman", quant à lui, qui exige des dizaines d'heures de lecture tend au contraire à écraser le lecteur, à l'amortir, à le tasser, ou à le pétrir d'impressions si diverses et variées que son pauvre esprit s'en trouve un peu hagard.
Un peu déprimé en effet par le petit roman de Philip Roth, Quand elle était gentille, et ne voulant pas me laisser abattre, je me suis lancé dans un autre roman du même, mais considéré celui-là comme un "grand roman": Le complot contre l'Amérique (2).
Evidemment j'aurai l'occasion d'en parler...
(2): 2004, 2006 pour la traduction française, Gallimard, puis poche Folio, 2007, nouvelle édition, 2019, 550 pages environ.
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