Deux films
Je viens de voir deux films en deux semaines, c'est beaucoup pour un non-cinéphile comme moi; le cinéma "post-moderne" ne m'enchante guère, trop subtil et trop bourgeois, avec des réalisateurs intellectuels de gauche et des actrices filles à papas; de la fausse subversion et du vrai carriérisme subventionné et primé; du cinéma pour des bien pensants qui cultivent la "distanciation" et souvent aussi l'indifférence. Les films donnent à voir des choses qui ne dérangent pas les opinions et les points de vue, mais les confortent. A la rigueur cela fait réfléchir un peu et pousse à parler de ce qu'on ne connaît pas, ce qui sans doute peut s'avérer très agréable. Distanciation, ironie, sérénité, confort intellectuel maximum.
Deux films, disais-je; le premier, Jour de pluie à New York, de Woody Allen, raconte ou expose la petite escapade de deux étudiants bourgeois, blancs, dans la grande ville multinationale et mondiale dont la moitié des habitants, ai-je lu dans un manuel, ne parle pas anglais à la maison. Mais avec Woody Allen, les histoires se déroulent toujours entre anglophones de la classe aisée qui boivent du vin dans de grands verres et fréquentent les musées. Ce sont souvent aussi des histoires de sentiments et d'intérêts, de réflexions littéraires et de calculs, de prétentions et de malentendus, qui peuvent faire penser à du théâtre. C'est du cinéma très doux, très feutré, très chic, plus ou moins subtil, et souvent intello-cinéphile, me fait remarquer Victorine. De moins en moins vrai, lui dis-je. Le cinéma de Woody Allen vieillissant est devenu très convenu, très schématique, et presque répétitif; ses films ennuient les cinéphiles, qui veulent voir des nouveautés ambitieuses. L'ambition ! Tel est aujourd'hui, je crois, l'un des critères majeurs utilisés par les cinéphiles; le bon cinéma selon eux doit avoir l'ambition de montrer le réel dans toute sa complexité et dans toute sa difficulté.
Ce qui n'est pas le cas du deuxième film que nous sommes allés voir, Au nom de la terre, d'un jeune réalisateur français, Edouard Bergeon. Ce film raconte l'échec d'un agriculteur qui se suicide, inspiré de sa propre histoire familiale (son père). Pas du tout la même "atmosphère" sociale et culturelle que Jour de pluie à New York ! Mais film tout aussi décevant; scénario faiblard, personnages schématiques, absence de souffle, succession de scènes convenues et prévisibles. "On n'y croit pas" résume Victorine, consternée par le mauvais maquillage de vieillissement de l'acteur principal. Le cinéma demande en effet des moyens techniques et beaucoup de préparation afin de donner l'impression et le sentiment du réel; même si le réalisateur connait bien le sujet de son film, il le connait de l'intérieur, c'est sa propre histoire en quelque sorte, il ne parvient pas à en montrer l'intimité et l'intensité; le film m'a donc semblé approximatif, vaguement ennuyeux même, et je crois qu'en le revoyant et en l'étudiant de plus près on pourrait sans doute y déceler de nombreuses erreurs ou incohérences. Les dialogues et les attitudes des personnages manquent enfin de finesse et d'épaisseur.
Cela dit, ce film est populaire (près d'un million d'entrées) et vient rappeler que beaucoup de Français ont des origines paysannes; on pourra aussi faire remarquer, quelques jours après le décès de Chirac, que l'histoire de ce film et le suicide du paysan se déroulent sous la présidence de celui qui passait auprès des médias pour être le défenseur du monde agricole français. Mais qui n'a rien défendu du tout, comme le signale un hebdomadaire dissident qui lui consacre un réquisitoire de huit pages et de haute volée.
En matière d'images on peut faire bien pire que les deux films décevants que je suis allé voir; je pense par exemple aux dix petits "reportages" qu'il m'a fallu regarder dans le cadre de mon métier; dix "clips" devrait-on plutôt dire, portant sur des situations de conflits à travers le monde, la Syrie, la Libye, le Yémen, le Congo, sans oublier la Chine et le Venezuela pour dénoncer au passage les "mauvais" gouvernements ou régimes politiques de ces deux pays; car en vérité, il s'agit par des images de violence, de brutalité et de chaos, d'inciter le jeune public adolescent à une "prise de conscience" humanitaire qui sous-entend aussi une "compréhension" très partielle et encore plus partiale des conflits évoqués; ces petits films ont été sélectionnés à cet effet, ils sont notés et un prix vient récompenser le premier. L'ensemble de l'opération me semble quelque peu obscène mais apparemment mes collègues d'histoire-géo la soutiennent avec conviction, du moins avec opportunisme. Elle permet de faire sauter quelques heures de cours...
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