En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

1800-1830 (2)

 

   La Restauration désigne avant tout un système politique, dominé par la place et le rôle du Roi; ce sont les frères de Louis XVI, Louis XVIII d'abord (jusqu'en septembre 1824) puis Charles X (jusqu'en août 1830) qui règnent, et même qui gouvernent, à travers des ministres qu'ils nomment et qu'ils peuvent renvoyer; par rapport à l'ancien régime qualifié d'absolutiste (l'absolutisme étant le renforcement de l'Etat central, ce qui veut dire que la Révolution et l'Empire ont été beaucoup plus absolutistes que la monarchie !), l'innovation de la Restauration est une Charte, "octroyée" (c'est le terme) par le Roi à la Nation; on a voulu éviter le mot "Constitution", qui renvoie à un passé douloureux pour Louis XVIII, c'est à dire la soumission de son frère Louis XVI aux exigences du Tiers-Etat auto-proclamé Assemblée Nationale en juin 1789; le mot Nation lui aussi est à prendre avec des pincettes, il sent trop la Révolution et l'Empire; Louis XVIII préfère parler du "peuple" français, ou plutôt des "deux peuples" qui se sont divisés depuis 1789, en expliquant que son rôle de Roi est justement de réconcilier ces deux peuples pour qu'ils n'en forment plus qu'un seul. La Charte est un texte assez court composé de 76 articles, qui pour les uns renforcent et "relégitiment" le pouvoir royal, qui pour les autres esquissent un début de "représentation nationale" à travers l'élection d'une Chambre des députés; mais surtout, la Charte garantit certaines libertés publiques et privées (réunion, presse, propriété, religion, justice), conserve le Code Civil (napoléonien), et rassure les créanciers, puisqu'il est écrit que la dette de l'Etat sera payée ! Emmanuel de Waresquiel résume: "La Charte inaugure un régime qui est sans doute à l'époque le plus équitable, le plus libéral et le plus tolérant d'Europe."

 

    Ce n'est pas ainsi qu'en général on parle de la Restauration, quand on veut notamment la juger en fonction des "valeurs démocratiques", postérieures voire actuelles ! Evidemment, sous cet angle, le système politique de la Restauration est anti-démocratique et pseudo-national, puisqu'à travers le suffrage censitaire ce ne sont que les Français les plus riches qui peuvent voter (soit 42 000 hommes sur une population totale de 29 millions d'habitants en 1815); quant aux élus ils appartiennent au milieu des "notables": nobles et bourgeois qui ont les "capacités", matérielles et morales, de représenter la "nation"; à cette époque tous les esprits politiques (libéraux ou conservateurs) sont d'accord avec cette idée que le "peuple" ne peut pas se représenter lui-même, que ce serait une folie furieuse de lui en accorder la possibilité ! La France en tout cas n'est pas prête et n'est sans doute pas faite pour une démocratie à l'américaine; c'est un peu ce qu'explique le jeune Alexis de Tocqueville à travers son livre à succès, qui sera publié après 1835.

 

   Mais restons dans notre période; l'historien de Waresquiel explique fort bien que la Restauration entretient et cultive une "mémoire" ou plutôt des mémoires, sous la forme d'écrits (environ 500 textes publiés entre 1815 et 1848, sans compter tous ceux restés dans les tiroirs !) ou sous la forme de "portraits de familles" (tableaux édifiants qui représentent à la fois l'allégeance au pouvoir et la fidélité dans le mariage); à l'instar du Roi, nobles et bourgeois "mémorialistes" se cherchent et se trouvent une "légitimité" historique; ils donnent aussi raison à Tocqueville pour qui la démocratie est l'oubli des ascendants et des descendants, au profit du "maintenant" ("just in time" !) et du "sens des affaires" ("time is money" !). La période de la Restauration marque également un intérêt nouveau et très vif porté à l'histoire: histoire romancée, romanesque, romantique, qui revalorise le Moyen Age, à travers une geste héroïque et mythique (influence de Walter Scott), histoire-récit, histoire-tableau, où il s'agit de bien raconter et de bien "peindre", voire d'éclairer le lecteur et de lui faire sentir aussi que l'histoire n'est pas dénuée de sens et de "morale" malgré l'impression qu'elle peut donner de n'être qu'un "récit plein de bruit et de fureur raconté par un idiot"; les historiens de la Restauration (Augustin Thierry, Thiers, Guizot, Barante, et même Chateaubriand...) cherchent à percer les ténèbres des époques "anarchiques", confuses, peu documentées, pour en dégager une lueur: pour les uns, c'est l'Etat (le pouvoir royal donc) qui éclaire la "voie à suivre", tandis que pour d'autres l'Etat se trompe, montre des fausses pistes et tend des pièges à son propre peuple ! Vaste débat...

 

   Charles X s'est trompé en 1830 dans son appréciation de la Charte (il a cru qu'il pouvait s'en servir à sa guise); avec lui l'Etat s'est discrédité par une intervention militaire catastrophique contre les barricades; mais pour autant ce n'est pas la Nation qui s'est révoltée ou insurgée; juste quelques milliers d'ouvriers et d'artisans (notamment dans les métiers de l'imprimerie) menacés par la suppression de la liberté de la presse; une révolte soutenue, et sans doute guidée par une certaine bourgeoisie d'affaires, désireuse elle aussi mais à un autre niveau, d'améliorer ses gains et sa capacité d'influence politique. Cette fin de Restauration, pleine de maladresses et d'opportunisme, a été racontée par l'historien Camille Pascal dont j'ai relaté le livre, "L'été des quatre rois".

 

    Concluons: la période 1800-1830 est dominée par la guerre, les guerres; l'historien Philippe Girard, dans un style narratif efficace, nous montre la confusion, les erreurs et les horreurs des hommes en armes, qui ne savent plus ce qu'ils font, et pourquoi ils tuent; il donne raison à Schopenhauer, qui ne croyait pas aux soi-disant "libérations", sociales ou nationales, de l'ère révolutionnaire. Dans un registre un peu plus "intellectualiste", mais encore très lisible, l'historien Emmanuel de Waresquiel tente de cerner et de saisir l'esprit de la Restauration française; un esprit tout de même très limité aux "classes" dites supérieures de la société; pour un tableau plus ample et plus populaire de cette période, on se reportera à la Comédie Humaine de Balzac. Il faut toujours relire Balzac.                                           

 



18/02/2020
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