En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Downton Abbey

 

    Downton Abbey est une série britannique des années 2010, qui a connu un grand succès, y compris en France; j'ai fait partie moi-même des téléspectateurs séduits et conquis; il faut dire que les images de la série sont très soignées, lustrées et astiquées, qu'elles brillent comme l'argenterie et le service de la noble famille Crawley qui réside au château de Downton Abbey; mais cet argument ne suffit pas, il peut même repousser un certain public, pour qui tout ce qui brille n'est pas d'or, et qui pourrait être rebuté voire exaspéré par cette noblessse dorée et ultra-chic servie par une armée de domestiques ! La série a séduit pour d'autres raisons: la qualité des intrigues, des dialogues, des "characters", le jeu des acteurs et actrices, voire les enjeux politiques et sociologiques d'une "histoire" qui se déroule en Angleterre, entre 1912 et 1925 environ, c'est à dire une période de grands changements économiques, matériels, culturels et moraux; la question de l'émancipation des femmes, y compris et surtout dans le milieu aisé, car il s'agit alors d'une "libération" de conscience et d'opinion, a beaucoup intéressé, je crois, le public actuel féminisé des bobos (beaucoup de profs). Enfin la série a été plébiscitée par de nombreuses revues et a suscité quantité d'articles, voire des analyses, des essais, des thèses de doctorat ! Un véritable phénomène médiatique et intellectuel.

 

    La série ayant donc eu du succès (c'est à dire qu'elle a gagné de l'argent !), ses producteurs et diffuseurs (plutôt des "Américains"), ont décidé de faire un film, sorti l'an dernier, sous le titre de Downton Abbey, tout simplement; j'ai vu ce film, avec Victorine, et je l'ai revu l'autre soir à l'université de Caen, en présence d'un jeune "conférencier" qui est en train d'écrire une thèse (d'histoire) sur le sujet; le jeune homme, très "petit minet", avec son gilet et sa chemise blanche savamment déboutonnée, a tenté de répondre, fébrilement, confusément, à des questions souvent très critiques sur le film; il y avait pas mal de gauchistes dans l'amphi, qui n'ont évidemment pas apprécié la "guimauve" et la "niaiserie" d'un film où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, où les "dominants" et les "dominés" parviennent à s'entendre, où toutes les questions, conjugales, sentimentales, patrimoniales, sont résolues ! Mais comment est-ce possible ?! Qui plus est, le jeune conférencier a cru bon de préciser que Julian Fellowes, le scénariste de Downton Abbey, s'est déclaré de "droite", "conservateur", et favorable au Brexit !

 

    Sortant de l'amphi, sous la pluie, quelques réflexions me sont venues; d'abord, que le cinéma ne soit pas le reflet de la réalité, que le milieu aristocrate anglais ait été bien différent de ce qu'en montre le film, notamment à l'égard des domestiques, c'est l'évidence même, sinon le cinéma de fiction s'appellerait documentaire, reportage, enquête, etc. Que le cinéma par conséquent, anglo-saxon, soviétique ou français, en 1940 ou en 2020, relève de la propagande et de la manipulation des foules, c'est une autre banalité que beaucoup de livres ont déjà soulignée, étayée, expliquée, je pense à celui, très bon, de Shlomo Sand, Le XXe siècle à l'écran. Mais la propagande de toute façon est partout: à l'école, dans les magasins, dans les journaux, dans les conversations; pas de quoi s'en offusquer ! Nous sommes tous, à des degrés divers, avec des moyens différents, et avec plus ou moins de talent, des "êtres de propagande" ! Chacun d'entre nous essaie de faire sa petite promotion, de défendre ses intérêts, de séduire et d'influencer les autres. Et puis, se faire manipuler peut être très agréable voire nécessaire (en ce moment, je vais tous les deux jours chez le kiné !) 

   Deuxième réflexion: les gauchistes, bien plus que les gens de droite (qui ne vont pas beaucoup au cinéma), sont habitués à voir des films de gauche (surtout français) et se retrouvent forcément un peu perplexes ou très gênés, voire très énervés quand ils voient un film de droite, avec des valeurs de droite, comme les montre Dowton Abbey avec ses questions d'héritage, d'ascendance, de mariage, de fidélité, de "sens du devoir", de "l'honneur", etc. Le jeune conférencier a expliqué que les films de style "conservateur" (il aurait très bien pu dire "réactionnaire" )*, évoquant l'Angleterre d'autrefois, à l'époque de sa "grandeur", par exemple les films inspirés de l'oeuvre de Jane Austen,  pouvaient correspondre à un besoin culturel implicite dans une partie (vieillissante) de la société occidentale, le besoin de voir et d'entendre de belles choses et de belles paroles, au moins à l'écran, sans doute et sûrement parce que la vie réelle n'en propose plus guère ! Le jeune conférencier n'a pas osé dire que les films conservateurs et nostalgiques en question montrent aussi une société anthropologiquement bien différente de celle d'aujourd'hui. 

 

*: Il a employé le terme de "heritage film" ou "film patrimonial". 

 

  Troisième réflexion: à propos du cinéma français, qui ne donne pas du tout dans le style conservateur**, je dirais que ce cinéma, soi disant réaliste, ou intimiste, ou nombriliste, mais en fait très dépressif, démontre surtout sa faible capacité d'évasion, de sublimation, de "transcendance", très inférieure à celle du cinéma américain, sans doute parce qu'il n'en a pas les moyens financiers et techniques, mais aussi pour d'autres raisons qui tiennent à la culture et aux choix des réalisateurs français; disons que les derniers films français que j'ai pu voir, avec Victorine, brossaient de bien tristes et même sinistres "tableaux" de la France, de ses paysans, de ses adolescents et de leurs parents, de ses catholiques aveuglés ou "éblouis", et je ne parle pas des "misérables" de la banlieue.... Films "réalistes", si l'on veut, encore que bien des "libertés" soient prises avec la réalité (et puis, qu'est-ce que la réalité ?), films d'une certaine laideur sordide, en tout cas, films sans aucune allégresse, sans aucun humour, d'une navrante pauvreté de dialogues, bref, des films déprimés et dépressifs. Quant aux acteurs et surtout actrices, que les journaux encensent, disons que je les ai trouvés très quelconques, voire très communs. Mais j'admets bien volontiers ne pas y connaître grand chose dans l'art d'être comédien...  

 

**: Le film Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, qui connut un grand succès, fut qualifié de conservateur et même de "pétainiste" par un journal de gauche, probablement Libé...   

 

    Sans doute ne suis-je pas en désaccord avec les critiques négatives que j'ai pu lire à propos de Downton Abbey: film bien moins intéressant que la série, trop clinquant, trop surfait; mais il n'empêche, la "magie" fonctionne, a du moins fonctionné sur moi, car j'ai passé un "bon moment" d'évasion, hors de ma condition et de mes préoccupations; je me suis cru avec les personnages de Downton Abbey, j'ai eu le sentiment de les comprendre, de les approuver, ils m'ont donné de l'émotion, j'ai presque failli avoir les yeux mouillés, etc. Que demander d'autre au cinéma ? En tout cas je me satisfais pleinement d'un film qui me "sorte" et qui m'élève; un film qui me montre la possibilité d'un monde agréable.                                 

 



22/02/2020
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4 autres membres