En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Hypothèses

 

    Avec le confinement les journées me semblent passer plus vite; c'est sans doute un effet de l'ordinateur qui capte et absorbe l'attention; même si la préparation de mes cours n'est pas bien difficile, elle m'oblige à vérifier mille et un détails, l'orthographe, une date, un lieu, un nom propre, etc. Et avec internet, cette vérification peut devenir tentaculaire, car on va d'une référence à l'autre, d'un site à l'autre, on découvre une information imprévue qui en entraîne une autre, etc. Et le temps passe. Mon obsession didactique, c'est la clarté; mes cours n'ont jamais été aussi bien structurés, les enchaînements aussi soignés, les exercices aussi méticuleusement agencés. Une élève me l'a écrit: vos cours sont hyper-clairs, merci monsieur. Bon, il y en a bien une autre qui a dit ne pas comprendre à quelles questions elle devait répondre, mais je crois qu'elle n'avait tout simplement pas ouvert le fichier joint...

   Cela étant, cet effort de structure peut aussi à la longue être déssèchant; il faut humidifier les choses; mais comment ? A l'oral, c'est facile, on postillonne un peu, on assaisonne le cours d'un zeste d'humour, on ventile beaucoup (on brasse de l'air quoi), parfois on pique une soufflante; à l'écrit c'est plus compliqué; comment rendre moelleux un plan détaillé ? comment glisser du liquide dans un bloc de savoir ? comment suggérer une certaine douceur fondante à l'intérieur d'un texte mécaniquement tapé ? C'est toute la difficulté du style.

   La débâcle de Zola n'est pas d'une grande souplesse de style; la documentation, énorme, et souvent technique, durcit et fige le récit; les scènes et les situations s'enchaînent mécaniquement; les individus sont broyés dans la structure d'une histoire fatale; c'est un reproche souvent fait à Zola: son déterminisme qui assèche ou étouffe les personnages et les intrigues.

   Cela étant, c'est une lecture intrigante en regard de la situation actuelle; on peut en effet avoir l'impression d'un étouffement généralisé; le virus, dit-on, affaiblit la respiration, et le confinement, lui, prive tout le monde de liberté de mouvement; des millions d'individus se retrouvent piégés dans une histoire pour le moins intrigante où les experts se contredisent. Y a-t-il un déterminisme supérieur dans cette affaire épidémiologique ? Certains, sur internet, et peut-être aussi sur papier (je n'ai pas lu Rivarol cette semaine) parlent de châtiment divin ou de plan "sataniste" ? D'autres, se disant plus rationalistes, caressent la théorie du complot: un virus mis au point par la CIA ? par le lobby pharmaceutique (Big Pharma) ? Dans La débâcle de Zola, il est un peu question par moments de "coup monté" ou de guerre programmée par les dirigeants pour affaiblir le peuple... Zola lui-même n'était pas indifférent aux thèses (darwinistes ?) de la régénération sociale par la guerre; pour le dire autrement: une bonne guerre pour nettoyer un peu une nation encrassée ou bouchée... Une guerre pour redonner du souffle et de la respiration à un pays ! A condition bien sûr de la perdre !  

   S'il n'y a pas de déterminisme "supérieur" (ou souterrain), comme je le crois, cela veut dire alors que les choses arrivent et se produisent de façon imprévue, accidentelle, et qu'au lieu d'être dirigés par une oligarchie omnisciente et complotiste, qui prémédite son pouvoir, nous sommes gouvernés par des irresponsables qui n'ont rien prévu, rien programmé, prenant leurs décisions au coup par coup, après avoir consulté les uns, puis les autres, et en essayant de feindre d'avoir une haute conscience de ce qu'ils font... Finalement la thèse complotiste d'une oligarchie toute puissante serait peut-être préférable !

 

   Quoi qu'il en soit, le confinement est propice à toutes sortes d'hypothèses; c'est qu'en étant enfermé ici-bas on ne peut s'empêcher de songer à l'au-delà... Autrefois il y avait la foi et la pensée en Dieu qui pouvaient offrir des ouvertures d'infini à portée de main ! Pascal n'avait pas besoin de sortir de sa chambre pour réfléchir à l'éternité; et la vie bien difficile des "braves gens" d'autrefois ne manquait pas de leur donner de grandioses pensées et des rêves de prospérité ! Disons que le fait de se sentir tout petit et tout faible, tout impuissant et tout avorton, comme dirait Céline, cela peut vous faire atteindre des sommets d'inspiration d'où l'on devine des fracassements d'univers.

   Quoi qu'il en soit, pour rester dans le domaine du tout petit par rapport aux espaces infinis, c'est en effet aujourd'hui mon anniversaire: un microscopique événement mais que je pense assez sûr, en tout cas vérifiable, et que j'arrive encore à considérer à l'oeil nu; à la différence du coronavirus.          

 

                           

 



28/03/2020
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