En attendant Macron 2
La politique-spectacle peut donc se décliner à la manière des grosses productions hollywoodiennes; à la suite de Rambo 1, Rambo 2, Rambo 3, 4, 5, puis Rocky 1, Rocky 2, et 3, 4, 5 , on se dirige ici en France vers Macron 2. L'acteur "emblématique" Sylvester Stallone était devenu dans les années 90-2000 la marionnette la plus réussie des Guignols de l'Info, émission satirique de Canal + qui façonna un peu la culture politique de toute une génération de Français. Certains sketchs de cette émission, précisément ceux avec "Monsieur Sylvestre", présenté comme la caricature d'un dirigeant "mondialiste" (World Company), avaient clairement une dimension "complotiste", même si le terme n'avait pas alors la connotation qu'il a aujourd'hui (voir vidéo en bas de l'article). Les auteurs de cette émission utilisaient bien sûr leur propre culture politique héritée de Mai 68, à savoir une conception "gauchiste" et relativement "anarchisante" du Pouvoir, qui montrait explicitement la domination du "grand capital" sur les hommes politiques de droite comme de gauche, et bien sûr du centre. Cette émission contribuait donc à discréditer ces hommes, par exemple "Chirac super menteur", tout en les rendant presque sympathiques par leurs faiblesses, par leurs vices, par leurs turpitudes... En revanche, Monsieur Sylvestre, lui, était l'incarnation du "vrai pouvoir" et du capitalisme mondialisé le plus cynique, dictant ses ordres aux précédents.
Macron 1 a été élu grâce au "grand capital" (banques d'affaires qui contrôlent les médias), et l'opération a été rondement menée (un article du Canard enchaîné a entraîné la dégringolade de Fillon, le candidat de la droite autoritaire et "austéritaire"). Comme pour une super-production hollywoodienne, l'acteur Macron a été soigneusement choisi et entraîné (son mentor Jacques Attali l'a quasiment avoué); des stratèges de la communication politique ont travaillé pour lui des mois durant, établissant sa "story-telling" (notamment son histoire avec sa femme, Brigitte Trogneux) et mettant au point ses discours et son "registre lexical", susceptibles de plaire à une majorité de Français; on a pu voir et entendre lors du débat contre Marine Le Pen l'écrasante supériorité technique et tactique du candidat Macron 1.
Aisément élu, pour sa première expérience électorale (coup d'essai coup de maître, comme disent les commentateurs sportifs), le jeune et fringant président ne pouvait manquer bien sûr de dégager une certaine impression d'insolence, ressentie comme telle en tout cas par tous ces millions de citoyens qui n'ont ni sa jeunesse ni sa réussite et encore moins son pouvoir... Cette insolence initiale (initiatique ?) de "l'élu" s'est peu à peu transformée en cynisme; à différentes reprises, lors de ses déplacements en "province", Macron 1 a montré la dureté de ses conceptions économiques et sociales; oui, a t-il avoué, la compétition mondiale oblige les Français à se "bouger un peu" et à ne pas tout attendre de l'Etat; on pouvait deviner derrière cette "recommandation" les avertissements passablement cyniques d'un Monsieur Sylvestre: la mondialisation écrase les peuples sédentaires et tire vers le haut une super-oligarchie nomade, interlope, multi-cartes (de crédit); les employés occidentaux sont condamnés à terme par des millions de "p'tits travailleurs chinois" et de "crève-la-faim africains" (je cite en substance Monsieur Sylvestre) qui produisent plus vite et pour moins cher. Quant à l'Etat, son niveau d'endettement et son implication dans les instances de la mondialisation (OMC, FMI, Union européenne, etc) l'obligent à obéir aux grandes banques d'affaires et aux lobbies qui contrôlent les médias et les investissements (partenariats publics-privés).
Avec la crise du covid-19 (mars 2020), présentée comme une guerre par Macron 1 ("nous sommes en guerre"), les méthodes de contrôle médiatique de l'opinion publique se sont renforcées; l'impression d'un président insolent puis cynique laisse alors la place à un sentiment général d'inquiétude, de stress, de peur voire de "psychose"; mais cette situation exceptionnelle offre à Macron 1 et à ses conseillers en communication (sans parler de ses mentors) la possibilité de construire un nouveau "personnage", plus rassembleur et moins élitiste, celui d'un chef d'Etat solennel, grave, autoritaire, voire menaçant (ainsi lors du terrible discours du 12 juillet 2021). Le pouvoir présidentiel peut donc se servir habilement des mesures sanitaires, jugées bonnes et indispensables par une immense majorité de Français masqués, intimidés, inhibés, pour renforcer ses prérogatives discrétionnaires (en s'appuyant sur un conseil scientifique plutôt opaque, et même sur un cabinet américain spécialisé dans la communication d'état d'urgence sanitaire); de son côté la "représentation parlementaire" se perd et se confond en conjectures stériles. La stérilisation est à l'ordre du jour de toute façon. D'aucuns parlent alors de tyrannie ou de dictature, voire de régime totalitaire, pour qualifier l'année 2021 et la fin du mandat de Macron 1; mais ces audaces sémantiques n'ont que peu d'effet dans un contexte social et culturel globalement dépressif.
En attendant Macron 2, la France s'interroge, non sans angoisse, sur son avenir et sur son sort; ce sera le déluge, avertit un candidat de la gauche-écolo, ce sera la soumission à l'islam, annonce un "polémiste" judéo-chrétien... Mais non, trève de balivernes catastrophistes, est intervenu l'autre soir Macron 1, qui a déclaré que nous pouvions au contraire être fiers de nous et de notre attitude collective face à la crise du covid, car nous avions réussi l'impensable, et qu'à présent beaucoup de pays veulent imiter notre politique sanitaire, qu'enfin notre taux de croissance et de création d'emplois est l'un des meilleurs aujourd'hui des pays occidentaux. Vive la République que diable !
Quel discours l'emportera ? A quel story-telling le peuple français accordera t-il sa préférence au printemps prochain ? Quel sera le candidat le plus "psychologue" ? Un collègue retraité m'avoue son indignation devant la médiocrité des débats, où s'échangent des propos extrémistes incongrus et superflus; cette mascarade démocratique ne peut que profiter à l'élu en place, me dit-il, car il aura les arguments de l'expérience et de l'expertise, de la "gestion du réel", alors que ses adversaires se chamailleront sur des hypothèses dystopiques ou utopiques. L'électorat réaliste, sans joie et sans enthousiasme, votera Macron.
Ma réponse à mon collègue a été courte: "Possible. Pas sûr."
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