En grève, bis
Je suis de nouveau gréviste; Victorine non; j'ai un peu hésité, ce qui est bien normal car je ne suis pas syndiqué, pas motivé par de fortes convictions politiques ou idéologiques; je cherche à comprendre, j'écoute ce qui se dit, je lis des choses sur les systèmes de retraites à travers le monde; dans la plupart des pays développés la durée du travail et des cotisations s'est allongée, surtout depuis les années 1980-90. Pendant les trente glorieuses, la forte croissance et le quasi plein-emploi permettaient de financer facilement les pensions, d'autant mieux que les retraités étaient alors beaucoup moins nombreux et vivaient bien moins longtemps qu'aujourd'hui. J'ai lu que certaines Italiennes ont pu partir en retraite à l'âge de 35 ans après 12 années de cotisations et quelques enfants à la maison. Mais cette "générosité" a cessé dans les années 1980. A cette époque, la France dirigée par la gauche décide d'abaisser à 60 ans l'âge légal de départ à la retraite contre 65 auparavant; mais la plupart des autres pays développés occidentaux entament alors le mouvement inverse, et le libéralisme anglo-saxon préconise la privatisation et la "capitalisation" des pensions; c'est le "chacun pour soi", qui permet surtout aux plus riches d'investir dans l'immobilier et autres placements financiers. Une bonne partie de la classe moyenne se laisse elle aussi plus ou moins tenter par ce libéralisme, mais elle fait souvent les frais de quelques brutales faillites de "fonds de pension" et se voit obligée de travailler plus longtemps pour rembourser ses dettes. Dans les pays nordiques européens, moins libéraux et plus étatiques, comme l'Allemagne et le Danemark, on combine la retraite par répartition (où les actifs cotisent pour les retraités) et la retraite par capitalisation (chacun cotise pour lui-même). Mais dans ces pays, l'âge légal du départ a été repoussé à 65 voire 67 ans. Enfin, dans une bonne partie du monde, en Afrique noire, en Asie centrale, et dans la Chine rurale, il n'y a tout simplement pas de système de retraite; les personnes âgées sont aidées par leurs enfants et vivent souvent sous le même toit; dans beaucoup de pays, la solidarité est une vraie solidarité de proximité et même de promiscuité, et non une solidarité toute théorique et très distanciée comme c'est le cas en France.
Les chiffres ne disent pas tout, ils ne disent même pas grand chose; 60 ans, 62 ans, 65, 67 ans... Tout dépend de la santé, physique et mentale, tout dépend aussi de l'environnement; beaucoup de retraités se retrouvent un peu seuls, isolés, las et déprimés; pour d'autres au contraire, la retraite est très active, pleine de relations, familiales notamment, pleine de petits travaux, jardinage, bricolage, et agrémentée d'un voyage de temps en temps. Combien d'argent faut-il pour une telle retraite ? S'il n'y a pas de gros ennuis, de santé ou de relations (perte d'un proche), de logement ou d'environnement (inondation, incendie...), et si vous êtes propriétaire, on peut vivre tranquillement avec 1500 euros par mois, sauf si l'euro est dévalué et que la baguette de pain coûte alors 5 euros ! Au-delà de 1500-2000 euros, vous devenez un retraité confortable et qui peut se montrer généreux avec sa descendance. Une bonne moitié de retraités français se trouve plutôt dans cette situation ! Comme dirait Todd, elle vote Macron ! Et c'est d'ailleurs l'image qui se dégage aujourd'hui des "seniors": toutes les semaines au restaurant, tous les six mois en vadrouille avec leurs camping-cars, et de temps en temps chez le banquier pour réfléchir à un nouveau placement !
La situation risque fort de se dégrader pour les futurs retraités des classes moyennes et populaires; très certainement ils devront se contenter de moins de 1500 euros, et adopter un mode de vie frugal et sédentaire; sans doute s'en porteront-ils très bien ! Une retraite active, par ailleurs, faite de travaux manuels et intellectuels, bricolage, écriture de ses mémoires, vie associative conviviale, ne permet pas de beaucoup dépenser; se mettre en retrait de la société de consommation ne peut qu'être salutaire. Autrefois en vieillissant on se préoccupait de son salut; eh bien c'est une forte et noble préoccupation, qui peut prendre plusieurs voies et tournures; la retraite en tout cas devrait être synonyme de sagesse, de modération et de tranquillité.
Je n'aime guère par moments le monde ou disons la société où j'évolue; trop d'agitation, trop de bruit, trop de bavardage, trop de slogans, trop de publicité, et trop d'informations; il faut du temps pour bien lire et bien comprendre un texte, il est même nécessaire de relire et d'écrire à côté; c'est ce qu'on appelle être "studieux", un mot un peu oublié je crois.
Je suis gréviste pour goûter au charme d'une journée tranquille près du feu (1); mes élèves ont été pénibles hier, et ce que j'enseigne ne m'intéresse guère; la réforme du Bac ne me plaît pas; l'évolution générale du "système" scolaire me consterne; il faut former des manuels ! des artisans, des petits producteurs ! Il faut aérer le système ! Au lieu de quoi on entasse dans nos classes des agités incapables à qui on n'apprend rien ! Je suis un partisan des petites structures, des petits effectifs, et d'une certaine souplesse de travail et de méthodes; c'est tout le contraire qui se présente pour mes dernières années d'enseignement.
En grève, donc.
(1): Tranquille ne veut pas dire inactif: comme Victorine, je me suis levé à 7 h, elle est partie au boulot, j'ai fait la vaisselle, puis je suis allé rentrer et scier du bois; j'ai nourri le chat, j'ai regardé un peu internet, commencé ma chronique, balayé la cuisine, nettoyé le poêle, et coupé des pommes de terre et du poireau pour le repas du midi; j'ai pris un café et deux gâteaux secs à 10 h. La fille de Victorine est descendue de sa chambre. Son lycée est bloqué; puis débloqué; elle a dû partir en cours. Victorine m'a envoyé un message pour me dire qu'elle avait 22 élèves; c'est beaucoup. Je pense que le nombre des profs grévistes sera bien plus faible que l'autre jour, moins de 20 % sans doute. Ensuite j'ai mis au four trois cuisses de poulet. Le chat est rentré. J'ai repris ma chronique, entrecoupée de petites lectures sur les retraites à travers le monde. Victorine est revenue vers 11h30.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 4 autres membres