En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

En regardant Arte

 

 

    Je regarde assez souvent Arte; ses documentaires historiques sont de grande qualité; et ils compensent largement les quelques réserves que je peux éprouver sur la "ligne politique ou géopolitique" de la chaîne*. Suite à mes chroniques précédentes, deux documentaires récemment diffusés ont retenu mon attention. Et je les ai regardés avec plaisir. Le premier était consacré à David Bowie, à ses premières années de jeune chanteur sans succès entre 1965 et 1970; le second évoquait Napoléon en 1813, confronté au ministre autrichien Metternich. Voir liens vidéo en bas de l'article.

 

*: Sans entrer dans les détails, disons que Arte soutient et finance depuis des années (avec l'argent des contribuables via la redevance télé) le cinéma de propagande géopolitique de Bernard-Henry Lévy, lequel est membre du conseil de surveillance de la chaîne et à ce titre possède un droit de regard sur les films ou documentaires qu'elle produit, coproduit et diffuse...  

 

    David Bowie entre 1965 et 1970 nous renvoie au "coeur de l'Angleterre", quand celle-ci connaissait alors l'apogée culturel de ses classes moyennes. Le jeune David Jones, né en 1947, a grandi dans la banlieue de Londres, qui était alors un ensemble relativement paisible de petites maisons collées les unes aux autres, un "entre-deux-mondes encore très campagnard dans ses valeurs mais attiré par les choses et les images de la grande ville" explique David Bowie lui-même. C'est l'époque du "swinging London", c'est à dire d'une effervescence musicale, artistique et populaire, qui se traduit par la multiplication des groupes de rock, des concerts, des studios, des disques, et des revues spécialisées dans cette industrie et ce commerce. Le "swinging London" désigne aussi une sorte de "contre-culture" jeune et dynamique opposée au conservatisme guindé et "old school" de la "Vieille Angleterre". David Jones (il deviendra Bowie en 1966) n'est pas du tout un "rebelle", il est décrit comme un garçon très sage, qui lit beaucoup et ne proteste jamais; très vite il se met à composer à partir de ce qu'il lit. Le documentaire ne nous dit pas où et comment il apprend la composition et le jeu instrumental. On est incité à penser que le jeune David a beaucoup de talent et de "sensibilité"; pas un mot non plus de son "parcours scolaire"; à cette époque-là, beaucoup de jeunes Anglais des classes moyennes quittent assez vite l'école "classique" ou "publique" et s'instruisent ensuite "sur le tas"; un système de bourses permet à quelques-uns de poursuivre à l'université. Et il y a du travail pour tout le monde. Même s'il est un jeune homme réservé voire secret, David Jones rencontre différentes personnes, hommes et femmes, qui partagent certains de ses goûts et sa passion pour la création, musicale mais aussi théâtrale. Il s'intéresse à tout et s'initie au mime. Ce jeune homme élégant et très "gentleman", sérieux et drôle à la fois, séduit facilement. Mais le succès n'est pas au rendez-vous. Entre 66 et 69 David Bowie enchaîne les "flops", ses compositions très douces et très élégiaques, presque des "bluettes" diront certains, ne sont pas dans le courant de plus en plus nerveux et "agité" de l'époque. 

    C'est au cours de l'été 69 avec le titre "Space Oddity" que le succès arrive enfin, propulsé par l'actualité  de la mission Apollo; le talent et le style un peu "bizarres" et un peu "lunaires" de David Bowie attirent l'attention d'un public encore minoritaire et qui se détourne assez vite de lui; il faudra trois années supplémentaires de persévérance et de mises au point techniques pour aboutir à l'album et au personnage de Ziggy Stardust (titre exact: The rise and fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars) qui sera un triomphe musical, scénique et commercial, un véritable "phénomène culturel et social" diront même certains. Mais ce sera aussi le début d'une carrière mondiale qui éloignera David Bowie de sa paisible Angleterre, le plongeant dans la fièvre et la fureur de concerts extravagants, vivant d'hôtel en hôtel, drogué, fanatisé, paranoïaque... 

 

 

    Paranoïaque, on a pu le dire aussi de Napoléon; le documentaire d'Arte nous montre l'Empereur en juin 1813, en pleine campagne militaire au coeur de l'Europe, à Dresde; il vient de remporter deux batailles, à Lutzen et à Bautzen, contre les Prussiens et contre les Russes; mais ces derniers l'ont obligé quelques mois auparavant à faire retraite; Napoléon reste confiant, "c'est l'hiver qui m'a vaincu" répète t-il, cependant que sa grande armée semble à bout de souffle. Une trêve s'impose. Le ministre autrichien Klement von Metternich saute sur l'occasion pour apporter à Napoléon une offre de médiation. Marié à Marie-Louise d'Autriche depuis 1810, qui lui a donné un fils l'année suivante (1), l'Empereur devrait normalement pouvoir compter sur l'alliance de son beau-père; mais il n'en est rien, et c'est en quelque sorte la raison de la visite de Metternich; Napoléon se met en colère: "vous voulez récupérer des territoires ?! et vous souhaitez ma défaite au fond ? afin de rétablir votre ancienne hégémonie, votre ancien système féodal !" - Le documentaire met l'accent sur les difficultés du "nouveau système" napoléonien, malgré le Code civil et l'abolition des privilèges, qui ne parviennent pas à convaincre les peuples européens placés sous occupation française. Le blocus continental (pour affaiblir le commerce des pays allemands avec l'Angleterre) mécontente de nombreuses professions, et la contrebande se développe. L'image et l'idée d'un Napoléon "libérateur" ont cédé la place à de nombreux pamphlets qui dénoncent le tyran, l'usurpateur, et l'Ogre qui par ses batailles dévore les peuples ! Un dénommé Palm, libraire à Braunau (ville natale de Hitler), a été exécuté en 1806 pour avoir fait diffuser un libelle contre l'occupation française de sa région. Trois ans plus tard, c'est le jeune Staps qui est arrêté à Schönbrunn en possession d'un couteau et déclare froidement qu'il veut assassiner Napoléon. Celui-ci l'interroge en personne, pense qu'il est fou, déséquilibré, le fait examiner par un médecin, qui le juge au contraire parfaitement sain; l'Empereur, troublé, s'interroge alors sur sa succession, et n'ayant pas encore de descendant mâle, divorcera de Joséphine quelque temps plus tard (1). 

    Le documentaire d'Arte expose clairement (un peu trop même) l'opposition des deux personnages: un Empereur poussé dans ses retranchements et qui voit bien le plan de ses adversaires contre lui, qui l'oblige à une nouvelle bataille, qu'il espère décisive, et le diplomate impassible qui plaide posément en faveur d'une paix raisonnable; la raison étant de mettre fin à l'aventure napoléonienne ! C'est Metternich qui a gagné, estime l'historien français Thierry Lentz, puisque l'Empereur sera en effet poussé vers la sortie quelques mois plus tard (il abdique en avril 1814). Les historiens allemands, eux, préfèrent insister sur la naissance de l'idée nationale allemande, qui s'est forgée dans l'opposition à l'Empire français. Reste cependant la grande absente de ce documentaire, même si Napoléon l'évoque dans une de ses remarques contre Metternich ("combien vous a t-elle donné d'argent pour cette médiation ?"), c'est l'Angleterre bien sûr, qui finance et coordonne toutes les oppositions à Napoléon, de la Méditerranée à la Baltique, et de part et d'autre de l'Atlantique. Un bon documentaire, malgré cette omission, et qui pourrait même être montré en classe, puisque Metternich fait dorénavant partie des personnages importants du XIXe, ainsi qu'en a décidé le dernier programme d'histoire de Première entré en vigueur en 2019. 

 

(1): Joséphine de son côté estimait que le sperme de l'Empereur n'était pas assez consistant. Mais il l'était quand même assez puisqu'il aura par la suite des enfants, un fils légitime avec Marie-Louise, le futur "roi de Rome", et deux fils illégitimes (au moins) dont un certain Léon avec une suivante de sa soeur, qui le convaincra justement de sa "fertilité" à l'encontre de ce qu'en pensait son épouse d'alors. Dans ma chronique précédente intitulée A propos de Napoléon, j'ai tronqué les paroles de la petite chanson, qui étaient en réalité: "Napoléon est mort à Sainte-Hélène, c'est son fils Léon qui lui a crevé le bidon !" -         

 

                                  

 

Documentaire Arte sur Napoléon et Metternich

Documentaire Arte sur les débuts de David Bowie (1965-1972)



14/05/2021
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