En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Du climat et de l'évolution.

 

    Fin d'année un peu humide pour la Normandie; pas de neige, pas de froid sec, à peine de temps en temps une petite gelée matinale; les températures sont évidemment supérieures aux "normales saisonnières", c'est à dire les températures moyennes de ces trente dernières années. Dans la partie tempérée de la France, disons le Grand Ouest atlantique, les hivers sont de moins en moins "rigoureux"; cependant que la partie continentale (le Grand Est) connaît régulièrement des averses de neige et des températures négatives. L'historien du climat, Emmanuel Le Roy Ladurie (qui réside ici en Normandie), reconnaît aisément qu'on peut parler de réchauffement, du moins en France, et que l'action et les activités humaines (facteurs anthropiques) en sont en partie responsables. Il est prouvé par exemple que les températures urbaines sont toujours plus élevées que les températures rurales; ce qui n'exclut pas que des grandes villes, comme New York, puissent être frappées par des tempêtes de froid et de neige; par ailleurs, la sensation d'avoir froid est souvent accentuée en ville par le béton et le métal de certains bâtiments ainsi que par le vent qui s'engouffre dans les rues; les différences de températures enfin entre des intérieurs surchauffés et l'extérieur beaucoup plus froid explique aussi cette sensation; en revanche, à la campagne, on se réchauffe sans doute plus aisément, et la nature de l'environnement, plus ouverte et vaste qu'en ville, permet d'égaliser les sensations.

   J'ai terminé mon cours de... terminale sur la question de l'Arctique, une région polaire en voie de réchauffement; du coup, les Russes construisent des plateformes pour exploiter le gaz et le pétrole; tout en revendiquant une extension de leur Zone Economique Exclusive, ce qui déplaît aux Norvégiens; car les Norvégiens eux aussi exploitent le gaz et le pétrole; le réchauffement, donc, facilite un peu les activités humaines dans cet immense espace arctique aux délimitations fluctuantes, selon la fonte de la banquise; bien sûr, cela reste un environnement "hostile" qui n'invite pas aux douceurs domestiques; l'ancien champion de biathlon, le franco-norvégien Raphaël Poirée, pourtant un forçat du froid, n'a guère tenu que quelques mois sur une plateforme norvégienne. Je pense que les Russes, surtout les repris de justice, les ex-goulaguistes, des tatoués qui boivent de la vodka comme vous et moi buvons de l'eau, sont encore les plus résistants dans ce genre de milieu; cela dit leur espérance de vie ne dépasse pas 50 ans; quant aux Inuits du Nord canadien et du Groenland, ils tentent de défendre leurs modes de vie, mais ne savent plus très bien ce qu'ils veulent, entre les conditions ancestrales de chasseurs-pêcheurs de phoques et les conditions modernes de salariés de conserveries. Bref, l'humanité évolue, y compris au cercle polaire.

   C'est ce que pense aussi Buffon au XVIIIe siècle, même s'il estime que les climats extrêmes, soit très chauds soit très froids, sont favorables à la vie sauvage et à la loi du plus fort, ou du plus paresseux; ce sont les milieux tempérés ou modérés qui selon lui offrent les meilleures conditions d'évolution et d'adaptation; toute la prose et tout le propos de Buffon (que j'ai un peu lu ou relu à la suite de ma précédente chronique) respire l'optimisme "occidental", légèrement aristocratique, et accessoirement condescendant envers les autres civilisations. Comme chez Montesquieu, le climat joue un grand rôle selon Buffon, il influence les travaux et les moeurs; il façonne les corps, définit les sensations et les sentiments; bref, l'homme du Nord n'est pas semblable à celui du Sud, et entre l'Est et l'Ouest les peuples s'ignorent quand ils ne s'affrontent pas. A l'origine des grandes invasions et migrations d'autrefois, on trouve toujours des causes climatiques. Disons, pour traduire Buffon en langage moderne, que le "barbare" est un gros fainéant qui veut exploiter et soumettre les autres, lesquels autres tentent de lui faire face par certaines qualités d'organisation collective, qui souvent ne suffisent pas ; ainsi les guerres, dont Buffon ne parle pas, sont des accélérations de l'histoire humaine, qui désorganisent sans doute les "lois naturelles"  de l'évolution; mais ces lois étant multiples et souvent incertaines, susceptibles d'être modifiées, il en résulte des situations sans cesse fragiles et fluctuantes, qu'il est cependant possible d'identifier, et de classer. Tout le "génie" de Buffon consiste à dire que le monde évolue sans cesse mais qu'on peut tout de même l'étudier avec méthode et conviction. Loin d'être découragé par l'extraordinaire diversité variable du "vivant", l'homme moderne doit au contraire éprouver une sorte d'enthousiasme "sensuel" à se plonger dans les découvertes et les observations de cette multitude. En tout cas, Buffon donne l'image ou l'impression d'avoir été un savant "épanoui", pragmatique, épicurien, sérieux mais aussi plaisantin, dans ses recherches, ses travaux, ses lectures et ses écrits (1).

 

(1): Son oeuvre est immense, une vingtaine de volumes qu'on peut trouver chez des bouquinistes ou aux enchères, en version reliée (prévoir entre 1000 et 2000 euros pour l'ensemble). Sinon, on peut se contenter, comme moi, du petit volume intitulé Histoire naturelle, en collection Folio-classique, Gallimard, 2007, 340 pages.                            

          

       

 



23/12/2020
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