En Sardaigne -1
Nous sommes en Sardaigne depuis une semaine; l'arrivée à Olbia (voir carte ci-dessous) fut pénible en raison d'une attente de deux heures au guichet d'une societé de location de voiture; je râle un peu, mais pas trop, car c'est Victorine qui accomplit toutes les démarches; mon rôle consisterait plutôt à modérer ou atténuer la mauvaise humeur bien compréhensible provoquée par la situation; je n'y parviens pas toujours, car la "raison diplomatique" de type gentleman n'est pas forcément adaptée aux inconvénients et désagréments touristiques des classes moyennes. Au guichet, un client de type viril, italien, barbu, crâne rasé, proteste énergiquement, après qu'un couple d'allure nordique fut passé rapidement dans la file et avec l'autorisation d'une responsable de la société de location. Sa protestation cela dit ne donne rien, sinon qu'elle lui vaut l'approbation des autres clients et sans doute aussi l'admiration de sa femme (disons d'une femme qui l'accompagne), qui plusieurs fois lève en avant le menton et jette ses longs cheveux en arrière.
J'ai dit "nous", précisons: deux adolescents font partie du voyage, la jeune fille de Victorine et son cousin de 15 ans; évidemment, pour moi qui jusqu'ici passais les vacances d'été tout seul, allongé dans mon canapé rouge en regardant le Tour de France, c'est un changement assez spectaculaire. Des précautions sont par conséquent nécessaires pour établir un équilibre au sein du groupe, éviter les tensions et les sentiments néfastes. Victorine a prévu un programme "plage" pour les jeunes et Tour de France pour le vieux. Son portable lui permet de prendre des décisions rapides.*
*: Quant à moi qui n'ai pas de portable "intelligent", juste un petit appareil permettant d'envoyer et de recevoir des SMS, j'en suis donc réduit à cultiver des qualités un peu archaïques: lenteur, prudence, tranquillité, solitude...
D'Olbia nous allons vers Alghero. Vue de la voiture, la Sardaigne septentrionnale offre un paysage de collines, très peu habitées, qui invite à poursuivre la route vers la côte; disons que les destinations touristiques balnéaires sont tout de même les plus hospitalières. Alghero est une charmante petite ville, où règne une ambiance paisible, plutôt familiale, populaire, provinciale, décontractée mais sans provocation (cela dit, pour un lecteur de Rivarol, certaines tenues sont sans doute indécentes). Alghero s'est développée grâce au tourisme tout en misant sur un environnement et un patrimoine préservés ou restaurés: vieille ville, rues piétonnes, forteresse, églises, jardins... Les moyens de transports sont l'autre principal atout de cette petite ville: aéroport tout neuf, routes principales, réseau de bus, et même pistes cyclables.
Les rues principales sont rectilignes et perpendiculaires, parfois bordées d'arbres, ou de jardins comme la rue de Catalogne; elles aboutissent en pente douce aux portes puis aux bastions de la forteresse ou bien au port de plaisance et à la promenade du bord de la mer; l'ensemble peut évoquer les ramblas de Barcelone, et du reste Alghero est surnommée la "petite Barcelone". Au XIVe, au moment de la peste noire, elle fut conquise par les troupes d'Aragon qui imposèrent l'arrivée de familles catalanes; d'après l'office de tourisme la langue catalane est encore parlée par un tiers des habitants et elle bénéficie d'une reconnaissance européenne. D'une manière générale l'Union européenne a contribué et contribue sans doute encore au développement culturel (patrimoine et environnement) de la Sardaigne.
Assurément, la Sardaigne a beaucoup changé depuis les années 1960; elle était autrefois infestée de moustiques et la malaria sévissait; des campagnes d'assainissement et de vaccination furent menées, sous le fascisme puis après la guerre, avec l'aide de la Fondation Rockefeller. Autrefois, la vie y était bien rude, austère, frugale voire brutale (voir le film "Padre padrone"); l'isolement rural et une sorte d'autarcie communale tissée de traditions semi-catholiques et semi-païennes, rythmaient la vie quotidienne, qui pour beaucoup était brève (moins de 40 ans). A présent, les centenaires font l'objet de reportages photographiques et de documentaires télé (style Arte); la Sardaigne est réputée pour la qualité de son environnement et de ses produits "écologiques": fromages, vins, fruits, élevages, tannerie ... Le Guide du Routard s'enthousiasme pour les stéréotypes de cette authenticité très hospitalière, en marge des grandes concentrations touristiques ou des hôtels de luxe de la jet-set de la costa smeralda (au nord d'Olbia).
Pleins d'énergie, nous faisons une randonnée en plein soleil qui nous conduit au sommet d'un parc régional naturel: le Monte Timidone. L'effort s'avère plus difficile que prévu (l'employée de l'entrée du parc a sous-estimé les distances et le caractère très rocailleux du sentier), très vite nous n'avons plus rien à boire ni à grignotter, et Victorine souffre des pieds. La vue magnifique sur la baie d'Alghero atténue un peu notre inquiétude; c'est qu'en effet à l'exception d'un athlète anglo-saxon rapidement croisé il ne se trouve personne d'autre que nous sur cette montée... Les gens d'ici ne s'imposent pas de tels efforts !
Le lendemain et les jours suivants, je passe les après-midis devant la télé italienne qui retransmet le Tour de France, tandis que Victorine et les adolescents vont se baigner; les eaux sont sans doute bienfaisantes et même délicieuses; mais je ne sais pas nager et ma peau très blanche ne supporte pas le soleil vif. Le Tour de France, donc, continue de m'intéresser, bien que le spectacle proposé soit toujours un peu le même; cette année, toutefois,une différence se manifeste: deux coureurs français, Alaphilippe et Pinot, sont en mesure de gagner l'épreuve. La dernière semaine s'annonce palpitante; "Que finale !" s'enthousiasment les commentateurs italiens de la Rai.
Autre lacune: je ne parle pas italien, et c'est fort dommage, car les gens du coin ont l'air affable, surtout les anciens. Bien sûr on se débrouille quand même avec quelques mots et expressions pour les formalités quotidiennes, la restauration et autres besoins, par exemple quand la télévision ou le réseau internet ne fonctionnent plus. Mais l'isolement linguistique peut provoquer un genre de petit malaise existentiel, surtout pour des types comme moi, enclins à une certaine solitude intellectuelle et psychologique. Et pour ne rien arranger, j'ai emporté comme seule lecture Les confessions d'un enfant du siècle de Musset. J'en parlerai plus tard.
Nous quittons Alghero pour la petite ville de Bosa située à 45 km au sud; changement d'ambiance; "c'est un peu la campagne" comme dirait Victorine; la mer et les plages se trouvent à 2,5 km du centre-ville, constitué de maisons colorées et de ruelles piétonnes qui montent vers un château, autrefois forteresse espagnole et catholique face aux possibles envahisseurs sarrasins... Mais gardons au frais les charmes de Bosa pour la prochaine chronique, qui sans doute sera écrite de France.
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