Et autres cas d'école...
Je poursuis sur la lancée de ma précédente chronique; en évoquant le fascisme (je crois en vérité avoir botté en touche, devant la masse des sous-entendus et des questions annexes que pose le terme...) je me suis retrouvé dans la guerre d'Espagne de 1936; d'habitude j'en parle très peu (vos profs d'espagnol doivent le faire, dis-je aux élèves... Partageons les tâches !); cette fois j'en ai parlé une heure, et ce ne fut pas facile à exposer, à expliquer. Qui sont les bons ? les méchants ? Des atrocités ont été commises de la part des uns et des autres, des Républicains comme des Franquistes; sans compter que les uns étaient eux-mêmes divisés en sous-groupes qui se détestaient (communistes, anarchistes, socialistes modérés), et que les autres ne formaient pas davantage un bloc homogène (nationalistes, monarchistes, catholiques intégristes, militaires opportunistes, bourgeois affairistes, etc.). Une guerre très complexe, comme toutes les guerres civiles, dis-je aux élèves. Remarque un peu banale, j'en conviens, mais je ne peux prétendre à l'expertise en quelques minutes (car sur une heure de cours, un peu comme au tennis, seule une demi-heure est vraiment occupée par le contenu du cours, le reste du temps on échange vaguement, je dois répondre à des questions qui presque toujours nous éloignent du sujet. Revenons à l'essentiel ! est sans doute la phrase que je répète le plus souvent en classe.). Toutefois il me faut répondre à une question complexe qui est au coeur du sujet: pourquoi la France du Front Populaire de 36 n'est-elle pas intervenue dans la guerre d'Espagne ? Politiquement elle aurait dû, sans doute, aider le Frente Popular espagnol; elle ne l'a pas vraiment fait, mais elle l'a fait quand même un peu (des armes ont été livrées et sont passées par Perpignan et la côte catalane); et puis de nombreux Français (20 000 ?) se sont engagés dans les Brigades Internationales de l'anti-fascisme (dirigées par les cadres communistes du Komintern). Le gouvernement de Léon Blum (socialiste grand-bourgeois) a beaucoup tergiversé: aider les Républicains espagnols, oui, mais aider les Communistes les plus enragés, non. Et en général les armes tombent entre les mains des enragés. Par ailleurs, les diplomates (eux aussi des grands-bourgeois, tel Alexis Léger dit Saint-John-Perse) ont beaucoup fait pour... ne rien faire, discuter sans fin, et ne prendre aucune décision engageante: laisser du temp au temps... Problème: Léon Blum ne reste même pas un an au pouvoir (l'a t-il d'ailleurs jamais été ? De Gaulle s'est étonné quand il fut reçu par lui à Matignon que le téléphone sonnât sans cesse et qu'il était donc impossible d'avoir une conversation durable et soutenue avec le chef du gouvernement...). La suite c'est Daladier, c'est à dire le "radicalisme", qui comme son nom ne l'indique pas est un mouvement politique "consensuel" et "modéré", mais d'une modération qui ne convient pas vraiment aux circonstances (de plus en plus inquiétantes). Sur ce point, j'en ai peur, beaucoup d'élèves ne voient pas bien ce que je veux dire. Et c'est donc reparti pour une nouvelle "digression". Quel métier !
Heureusement nous avons des pauses signalées par une sonnerie "musicale": celle-ci est de type très "moderne", depuis quelques jours il s'agit des Rolling Stones (Sympathy for the devil, je crois, tout un programme !); quelques collègues, plutôt masculins et plutôt âgés, sont très enthousiastes; les élèves ne connaissent pas du tout, et je pense qu'ils s'en fichent. Moi, je suis un peu opposé à ce genre de sonnerie; je n'aime pas le "son casserolesque" des Rolling Stones, et le volume de toute façon est beaucoup trop élevé; une petite musique sans paroles, douce et mélodieuse, serait au contraire apaisante et bienfaisante après des heures de pensum pédagogique. Les Rolling Stones me donnent très envie en tout cas d'écouter leur contraire, par exemple Fernandel et son Tango corse (voir ci-dessous), ou Bourvil et ses Abeilles.
Retour en cours: où il est question de la Corse et de Bonaparte; les élèves semblent apprécier le sujet; je pense avoir trouvé une manière de raconter qui connaît un certain succès (après des années de tâtonnements); et avec Bonaparte il y a beaucoup à raconter. Les illustrations sont innombrables, les anecdotes s'enchaînent. Sur le plan technico-pédagogique (quelle est la problématique du cours ? quel est l'objectif didactique ? ) ce n'est sans doute pas très bon, mais les élèves ne s'ennuient pas (et me le disent en sortant de la classe). Il est possible par ailleurs que l'enseignement distanciel de ces derniers mois leur ait donné l'envie de retourner en classe et d'écouter des profs vivants à la parole chaleureuse. "Soldats je suis content de vous !" A la différence d'un Danton ou d'un Robespierre, Bonaparte n'est pas un "grand" orateur; la politique, dis-je aux élèves, ne se résume pas à des discours, elle est avant tout une question d'organisation et de travail; et là, Napoléon s'y connait, c'est un bourreau de travail et un obsédé de l'organisation. Sous son autorité, l'administration française se développe et se perfectionne; toute la société est placée "sous contrôle" et le Code Civil de 1804 y contribue. Il faut réduire les désordres, renforcer les règles, garantir les biens. Sécurité, propriété, héritage. Sous couvert d'égalité (devant la loi) et de légalité, c'est un régime autoritaire et sans doute aussi de type "patriarcal" (voir le Code Civil) avec des accents misogynes de garnison. Je rappelle le mot terrible de Napoléon après les milliers de morts de la bataille d'Eylau: "une nuit de Paris réparera tout ça..."
A propos de cynisme, je montre aussi aux élèves un documentaire sur la propagande (américaine) où l'on entend s'exprimer Edward Bernays, considéré comme l'un des concepteurs modernes de la manipulation des masses, à des fins politiques, économiques, culturelles; reprenant en partie les thèses (?) de Gustave Le Bon sur la "psychologie des foules" (dont Hitler lui aussi s'est inspiré), Bernays explique avec froideur et distance comment il n'est pas très difficile d'obtenir le "consentement" d'une population, d'une opinion publique; la suffisance, presque de la morgue, sort vraiment de la bouche de ce monsieur Bernays. Un type assez répugnant en fin de compte.
Détendons-nous avec Fernandel. Et considérons le tango corse comme une résistance à la manipulation (aliénation) des foules.
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