En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Un petit tour de Bourgogne (2)

 

 

    Les cyclistes peuvent emprunter les petites routes viticoles à flanc de côteaux, et s'imprégner de ces fameux "climats" bourguignons, aujourd'hui classés "patrimoine mondial de l'humanité"; ce sont bien sûr des "micro-climats" très spécifiques et très difficiles à définir, fort variables et presque susceptibles en quelque sorte; d'où sans doute le prix très élevé de leurs vins en notre époque de "grand chambardement" climatique. Avec de tels grands crus, on ne risque pas de prendre de petites cuites ! Notre hôte cycliste ne porte pas grande estime à ces "vignerons" qui d'après lui décident de tout et ont priorité sur tous les autres usagers de la route. Mais ne polémiquons pas; le touriste épris de découvertes doit au contraire montrer une certaine admiration naïve; même une place où l'on brûlait autrefois des sorcières (chose très rare selon l'historien Benoît Garnot) doit à présent lui inspirer une impression de bel équilibre ombragé.

   Nous visitons Dijon par grand soleil. Petite ville très cossue jusqu'à la Révolution (beaucoup d'hôtels particuliers), elle a été fort bouleversée au XIXe siècle; sa population est multipliée par 3 ou 4 (de 25 000 à 100 000 habitants), des industries et des ouvriers font leur apparition dans le paysage urbain, et toute la voierie est refaite, agrandie, il faut bien sûr détruire les remparts devenus gênants (et inutiles ?). Dijon est envahie par les Prussiens en octobre 1870, mais des troupes françaises (bourguignonnes) commandées par Garibaldi reprennent la ville en janvier: peine perdue, l'armistice puis un traité de paix en faveur du Reich allemand sont signés juste après. Dijon recevra quand même la Légion d'honneur en 1899 pour cet acte de résistance et de bravoure. 

   Tout dans cette ville se rattache au passé et à l'histoire: les noms des boulevards, des places, les statues, les hôtels, les églises, et le palais ducal; l'office de tourisme propose des fiches "parcours" (gratuites) pour s'y retrouver un peu. Sur le sol des rues piétonnes des petites chouettes incrustées guident les visiteurs. Difficile de manquer le palais ducal qui forme un ensemble monumental impressionnant; il fut agrandi et embelli sous la monarchie dite absolue (c'est Jules Hardouin-Mansart, premier architecte de Louis XIV, qui dirige la rénovation du Palais et l'aménagement d'une vaste place royale où s'élevait bien sûr la statue du Roi, qui fut détruite pendant la Révolution). A propos de Louis XIV, on pourra s'amuser du portrait "décoiffant" qu'en a laissé le peintre contemporain Jean Messagier; le tableau est exposé au musée des Beaux Arts de Dijon qui se trouve dans une aile du Palais (voir la reproduction en bas de l'article).

   Dans un tout autre registre, on peut s'amuser aussi de la sculpture de François Rude, natif de Dijon (1784-1855), qui connut son heure de gloire sous la monarchie de Juillet en 1836 pour la réalisation d'un "haut-relief" (11 mètres sur 6) intitulé Le Départ des Volontaires de 1792, et plus communément appelé La Marseillaise (on en trouve une copie au musée Rude de Dijon, l'original étant sur l'Arc de Triomphe à Paris). Sur le plan politique Dijon et la Bourgogne ont beaucoup varié au XIXe, entre le goût de l'ordre classique et bourgeois (disons la droite de l'époque) et quelques aspirations au changement (le parti du mouvement, disons la gauche républicaine de l'époque). François Rude est sans doute représentatif de cet "entre-deux": entre "classicisme" (ordre, équilibre, raison, rigueur...) et "progressisme" (élan, aspirations, idéalisme, utopisme...). 

 

    Malgré Dijon, la Bourgogne reste une région rurale, "campagnarde" comme disent mes élèves... Les petites bourgades sont nombreuses, vivotant sur elles-mêmes, un peu méfiantes sans doute à l'égard du "progressisme" actuel venu de Paris et des grandes métropoles; la Bourgogne abriterait, paraît-il, des "foyers" de dissidence réactionnaire (mais c'est très difficile à démontrer), cachés au fond de ses vallons. Il est vrai que la région se prête bien, par sa topographie et sa végétation, à des sortes de "maquis" et de groupuscules "survivalistes" (ce fut le cas pendant la seconde guerre mondiale !). La manifestation "anti-pass' sanitaire" de Dijon nous a semblé pourtant bien maigre et en tout cas très "disparate" (mais difficile d'évaluer le nombre des vrais manifestants...). Il est possible en revanche de supposer une opposition plus sourde et plus compacte dans les zones rurales; même si on ne sait jamais très bien ce que pensent les ruraux, car ce sont des taiseux voire des ténébreux (et j'en suis un moi-même !). Tout cela pour dire aussi qu'en dehors de Dijon, nous avons visité Sémur en Auxois, petite bourgade d'un caractère replié (remparts, rues pavées) quoique située en hauteur; à quelques km en pleine campagne se trouve le château de Bussy-Rabutin, grand seigneur militaire du règne de Louis XIV mais disgrâcié par lui en raison d'un texte jugé trop "libertin" (Histoire amoureuse des Gaules); libertinage très aristocratique et très érudit qui nous échappe en grande partie aujourd'hui; le titre lui-même est très énigmatique (pourquoi les Gaules ? Référence aux provinces romaines ?). Avançons de 5 km et reculons de 17 siècles: nous voici maintenant à Alise Sainte-Reine (site d'Alésia), devant l'immense statue de Vercingétorix érigée sous Napoléon III. Les références historiques se bousculent et les anachronismes s'en donnent à coeur joie: on dit que le portrait du chef gaulois s'inspire fortement de celui de l'empereur; notre nouvel hôte du soir m'apprend que la statue a été restaurée et replacée en 1982, mais qu'il fallut des boeufs pour la tirer doucement jusqu'au sommet. 

 

    Je l'ai dit, c'est la campagne, et nous logeons dans une petite maison près d'un ruisseau, le Rabutin; le temps change vite, après le soleil et ses 33 degrés, voici la pluie et ses 15 degrés, "on pourrait presque faire du feu" me dit Victorine; je comprends mieux pour le coup la disgrâce de Bussy, qui se réchauffait comme il pouvait avec sa plume, loin des spectacles solaires et apolliniens de Versailles. Il nous faut songer à rentrer. On passe par Montbard, le pays de Buffon, autre esprit "libertin" de la région, mais d'un libertinage cette fois autorisé, celui du siècle suivant, qui ne se consacre plus aux intrigues "amoureuses" de la Cour mais cherche à identifier et à classer l'immense diversité des espèces naturelles de la Terre, ainsi que leurs facultés d'évolution. On devine l'esprit de Buffon fort accaparé par cette gigantesque étude scientifique; mais sans négliger la technique pour autant; il trouva le moyen de faire construire des forges qui produisirent des ferronneries, des rampes d'escaliers, des grilles de portails et autres pièces... Montbard est devenue une ville industrielle en bénéficiant au milieu du XIXe de la voie ferrée et du canal de Bourgogne. On sent bien l'attraction parisienne se préciser à partir d'Auxerre; toutes les grandes routes vont vers la capitale, qu'on peut atteindre en moins de deux heures, en roulant bien. Cette "dictature du modèle en "étoile" autour de Paris" serait en perte de vitesse, nous disent les historiens Garnot et Rauwel, car une nouvelle ligne TGV relie Lyon à Strasbourg en passant par Dijon et Besançon. Fort bien, mais pour rentrer en Normandie cela ne présente aucun intérêt... 

 

    Bilan de ce petit tour en Bourgogne ? A défaut de vin, trop cher, j'ai rapporté six petites boîtes de bonbons digestifs de Flavigny, dont nous avons visité l'usine, au coeur de son village historique, très préservé, presque muséal. J'ignorais ce nom et ce "produit" avant d'y venir, pourtant il s'exporte dans soixante pays et respecte tous les critères du politiquement correct (le sucre est "bio" même s'il est importé du Brésil !); les petites boîtes en question représentent un berger et une bergère assis tout près l'un de l'autre; image pastorale très désuète ou "vintage", si l'on peut dire, mais qui a dû être revue et corrigée ces dernières années: ainsi la bergère n'est plus représentée en position inférieure et comme "soumise" au berger. Elle doit au contraire symboliser à présent l'égalité et la liberté. Comme dirait l'autre, elle annonce la prise de la pastille...                     

 

Jean Messagier, Louis XIV, 1966, Musée des Beaux Arts de Dijon.

Jean Messagier, Louis XIV, 1966, Musée des Beaux Arts de Dijon.



26/08/2021
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4 autres membres