Et l'Italie sous la pluie
Je n'ai pas vu grand chose du Giro; les quelques images entraperçues m'ont surtout montré qu'il a fait très mauvais temps sur l'Italie montagneuse, puisque plusieurs cols ont été supprimés du parcours; j'ai pensé au coureur Charly Gaul qui affectionnait la pluie et remporta le Giro en 1956 (puis le Tour en 1958). Mais c'est le Colombien Bernal qui s'est imposé cette année, avec une minute et demie d'avance sur l'Italien Caruso. Beaucoup d'étapes ont été disputées sur des terrains fort accidentés et pentus. Mais l'Italie s'y prête bien quand on sait que les trois quarts de son territoire sont constitués de collines et de montagnes.
La victoire de Bernal, grimpeur confirmé (vainqueur du Tour 2019), n'a pas surpris; il n'a jamais vraiment flanché, même s'il a connu quelques moments de faiblesse face aux nombreuses attaques de ses adversaires. La petite surprise de ce Giro est venue de Caruso, qui s'est révélé solide sur tous les terrains pour conserver sa deuxième place; ce coureur italien de 33 ans, longtemps dans l'ombre, mais plusieurs fois dans les dix premiers des grands Tours (10e du Tour de France de l'an dernier), a profité de l'abandon de son leader d'équipe Mikel Landa pour jouer sa propre carte; et il l'a plutôt bien jouée. Sur le podium de ce Giro, enfin, le Britannique Simon Yates s'est montré trop irrégulier pour espérer mieux; certains commentateurs ont longtemps cru en ses chances de victoire finale, l'imaginant capable de porter une attaque spectaculaire lors des dernières étapes de haute montagne; mais non, leader un peu solitaire au sein de son équipe, Yates n'a pas pu ébranler Bernal, qui de son côté a bénéficié d'un excellent coéquipier, Daniel Martinez. Enlevez deux lettres, et vous trouverez ensuite Daniel Martin, un "baroudeur" irlandais qui court aujourd'hui sous les couleurs de l'équipe Israël-Start-up Nation. Il a terminé 10e de ce Giro, et il a surtout remporté une belle étape. Contrat rempli pour lui.
Côté déception, on peut citer le jeune espoir belge Remco Evenepoel, 21 ans, gratifié de tous les superlatifs avant sa terrible chute de l'été dernier lors du Tour de Lombardie, l'obligeant à cesser le cyclisme pendant six mois. Il effectuait donc son "grand retour" sur le Giro et ne pouvait manquer d'attirer l'attention; il fut aux avant-postes lors des premières étapes mais montra ses limites dès les premières difficultés du parcours; il chuta de nouveau le long d'une glissière et peina à repartir; deux ou trois jours plus tard et après avoir été relégué très loin au classement général il se retira de l'épreuve. Les commentateurs ont donc diversement apprécié sa prestation; "il ne pouvait en être autrement..." ont expliqué les spécialistes techniques, car il est impossible de retrouver le très haut niveau en moins de six mois, surtout après une lourde chute qui a laissé des traces physiques mais aussi psychologiques. Jeune coureur, il s'est montré un peu présomptueux et imprudent en revenant sur un Giro très technique, avec ses routes difficiles et rendues dangereuses par le mauvais temps. Certains journalistes estiment que la pression exercée sur ce coureur est trop forte; qu'on cherche manifestement à le préparer aux grands Tours alors qu'il serait sans doute bien meilleur sur les classiques. Certains coureurs, tel Mathieu Van der Poel, veulent aujourd'hui diversifier leur activité de cycliste professionnel de haut niveau, goûter à différents types de courses voire de techniques (VTT, cyclo-cross, route), et ne souhaitent donc pas se laisser enfermer ou étouffer par l'obsession des "grands Tours".
Autre déception à cet égard, Romain Bardet, coureur français un peu "monotone", toujours très appliqué dans son travail, mais qui sans doute paye aujourd'hui ses bons classements d'hier aux Tours de France (2e en 2016, 3e en 2017) et ne parvient pas vraiment à réorienter ses objectifs; il ne termine que 7e de ce Giro et on ne voit pas bien quels titres il pourrait désormais briguer. Enfin, certains coureurs italiens ont beaucoup déçu: Nibali, en perte de vitesse, Ciccone et Formolo, qui ne confirment guère leurs débuts prometteurs des années 2015-2018. Quant au coureur sarde Fabio Aru, vainqueur de la Vuelta et second du Giro en 2015, il est devenu un "mystère": il enchaîne les blessures et son moral est jugé chancelant; il n'était pas au départ de Turin cette année et on ne sait pas bien encore s'il sera présent au Tour de France.
L'avenir étant incertain, revenons donc au passé, où nous disposons de certains faits incontestables; en 1956 par exemple, le grimpeur luxembourgeois Charly Gaul réalise un exploit lors de l'étape Merano-Bondone, disputée dans des conditions épouvantables de pluie et de froid. Il parvient à distancer tout le monde lors de la dernière ascension du Monte Bondone, qui oblige des dizaines de coureurs grelottants à abandonner; Charly Gaul, lui-même au bord de la rupture, est secouru par un spectateur qui lui tend une banane; à l'arrivée le coureur a le visage tout bleu; "la neige et le vent avaient déposé sur le visage de Charly le bleu qu'ils avaient pris au ciel avant de se déchaîner" écrit (un peu lourdement) Christian Laborde*. Enfin, c'est aussi sous la pluie et grâce à elle que Charly Gaul remporte le Tour de France 1958. Mais dès que la chaleur devient forte, il peine et ne peut suivre les leaders. Il semble assez évident que les amphétamines étaient d'un usage courant dans le peloton de ces années-là, et par forte chaleur certains coureurs les supportaient mieux que d'autres.
*: C. Laborde, L'ange qui aimait la pluie, Albin Michel, 1994, p. 16.
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