En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Fraîcheur normande

 

    Canicule, donc, sur toute la France; toute ? Non, un département résiste au réchauffement climatique; un département d'irréductibles vikings à la peau blanche, aux taches de rousseur et aux yeux bleus: le Calvados. Même si le nom sonne espagnol, il serait bel et bien d'origine "norroise" selon quelques spécialistes de la culture viking, toujours prompts à remettre en cause les influences latines qui ont pu ici et là caresser les petits reliefs chauves de ce département (1). Autre signe de singularité aujourd'hui revendiquée par certains Normands calvadosiens: la fraîcheur climatique, alors que tout le reste de la France est frappé par des températures supérieures à 30°. "Au moins, on respire ici !" se félicitent donc les autochtones, surtout les moins jeunes.

 

 (1): http://normanring.forum-actif.net/t2999-origine-du-nom-du-calvados   

 

   Oui, mais quelques observations s'imposent: d'abord l'impression de chaleur ou de fraîcheur dépend beaucoup du lieu où on se trouve et du travail qu'on y fait, ou qu'on n'y fait pas; un grand nombre de Français aujourd'hui, l'immense majorité, vit et travaille en milieu fermé, dans des bureaux, des appartements, des salles d'examens, des bibliothèques (puisque c'est aussi la période du bac et des concours); sans oublier non plus les usines et les ateliers (garages), les commerces, les "plateformes", les entrepôts ... Sans oublier enfin les maisons de retraite. Autrefois, et sans remonter très loin, il y a quarante ans par exemple, les gens vivaient et travaillaient davantage en extérieur, je pense aux paysans, dont le nombre a été divisé par dix depuis cette époque.

   J'ai souvenir de fortes chaleurs pendant mon enfance rurale, et de l'expression habituelle de ma mère, "quel four !", quand elle devait sortir de la maison, où il faisait bien frais grâce à des murs épais; moi-même j'ai très vite préféré la fraîcheur intérieure à la chaleur extérieure, d'où mon goût pour la lecture, cause et conséquence de ma préférence. Evidemment, impossible de ne pas devoir travailler dehors, surtout en période de foins et de moissons, mais j'ai souvenir d'une prudence générale: "mets ta casquette !" disait mon père; on savait également s'arrêter pour boire un coup, environ toutes les heures: de la bière Valstar pour les hommes, de l'eau pour les gosses ! Enfin on se mettait à l'ombre: mon père avait tenu à ce qu'il y eût de grands arbres dans tous les champs. Cette bonne ambiance s'est détériorée à partir des années 80; je ne sais pas si c'est lié à la gauche au pouvoir, mais enfin, le monde rural et paysan a été gagné par une certaine nervosité technique; les grosses machines ont dicté leur loi, le rythme tranquille du ramassage manuel des foins a cédé la place aux "rounds-ballers"* Mécanisme américain du toujours plus vite et toujours plus gros ! Cette intensification m'a beaucoup déplu, elle a aussi été responsable de disputes fréquentes au sein de la famille entre mon frère et mon père; quant à moi, je ne servais plus à rien, pas la peine en effet d'être deux pour conduire un tracteur; j'ai donc poursuivi mon repli intérieur vers des activités domestiques (récolte et équeutage des haricots, peinture des volets, nettoyage de différentes choses aux abords de la maison...) - L'embellissement (fleurissement) de nombreuses fermes, à partir des années 80, s'explique en partie par une nouvelle division spatiale et sexuelle de l'activité agricole: les hommes et leur espace mécanique d'un côté, les femmes et leur espace domestique de l'autre. J'ai souvenir de ma soeur, agricultrice, exigeant que les tracteurs, de plus en plus gros, ne passent plus devant la maison, mais derrière. Ce ne fut certes pas le cas partout; dans certaines régions, beaucoup de fermes sont restées des "bouis-bouis", comme disait mon père, où règnait donc un peu de désordre et de confusion entre l'habitat et les bâtiments agricoles.

 

 *: grosses balles rondes de foin ou de paille, pesant plusieurs centaines de kg, et obligeant à construire de vastes hangars pour les entasser; elles ont également blessé voire tué des dizaines de paysans (j'ai souvenir d'un grand ami de mon père, écrasé sous une balle ronde)

 

    Autre observation à prendre également en compte: l'impression de chaleur ou de fraîcheur est aussi liée aux forces physiques et physiologiques de chacun; les gens très gros et peu musclés souffrent plus des fortes températures que les gens minces et musclés ! Comme j'appartiens plutôt à la deuxième catégorie, je supporte assez bien la chaleur, y compris quand je fais du vélo; l'été dernier, avec Victorine, nous avons pédalé par 38° sous le regard inquiet de certains villageois qui nous ont proposé des rafraichissements. Toutefois il ne faut pas abuser de ce genre d'expérience, et toujours, le plus possible en tout cas, tenir compte de la "sagesse" des autochtones; quand il y a encore des autochtones ! Le tourisme et le nomadisme génèrent chaque été des conduites dangereuses et des comportements aberrants. Les facilités technologiques de notre monde post-moderne ont sans doute affaibli les capacités physiques et mentales de certaines personnes.

 

    Dernière observation, interrogative: y a-t-il réchauffement de la France ? A lire et entendre les médias, c'est oui, un oui presque maniaque et nerveux qui n'admet aucun doute, aucune nuance. Le oui scientifique et un peu scolaire est sans doute plus posé, mais lui aussi très sûr de ses arguments, du moins de ses exemples. Car, cette question du réchauffement et de ses causes anthropiques repose avant tout sur des exemples quantitatifs; et les experts (du GIEC notamment) en ont amassé des milliers depuis trente ans; la "recherche" ne trouve bien souvent que ce qu'elle a prévu de trouver ! Je ne suis pas expert et je ne veux pas discuter la valeur de leurs exemples; mais il me semble qu'à force de mesurer le réchauffement et de pousser des slogans alarmistes on en oublie un peu les observations qualitatives et même narratives que pourrait susciter cette question; le discours scientifique ou écolo-scientifique mériterait, selon moi, d'être nuancé voire contesté par des propos ou des propositions de type littéraire; face aux expertises réchauffistes, c'est le rôle de la littérature de défendre un peu de fraîcheur, normande ou non, de nous parler des impressions parfois ombrageuses de ses écrivains, de leurs envies de glaces au citron alors qu'ils se trouvent sous le soleil égyptien (je pense à Flaubert); l'enseignement de la géographie s'appuie de plus en plus sur de méchantes données quantitatives (invérifiables et souvent pipées), et je le déplore; elle pourrait, comme autrefois, se donner une dimension littéraire, narrative (récits de voyages), subjective, "impressionniste", qui lui ferait le plus grand bien, et rafraîchirait un peu les cerveaux en surchauffe de bien des profs et des élèves.                

 

                      

 

                                           

 



27/06/2019
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