En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Journal de convalescence

 

     J'en suis donc à la moitié de mes six semaines d'arrêt; et le temps passe vite; le mauvais temps, devrais-je dire, avec sa tempête, ses averses, qui m'obligent évidemment à rester enfermé, avec Ovni; je lis beaucoup, des livres papier, j'en parlerai plus tard, et un peu d'internet; sans oublier Ouest-France; malgré mon bras immobilisé, je participe à l'intendance, aux courses, à l'entretien du feu dans le poêle, et j'arrive même à faire un peu de vaisselle; je pense que c'est bon pour la rééducation ! Côté télé, les matchs de rugby du Tournoi des Six Nations m'offrent le spectacle de types musclés et en pleine possession de leurs moyens, même si les coups et blessures sont très fréquents et déciment les équipes.

 

    Côté boulot, Victorine me tient au courant de la situation, qui se dégrade; mauvaise ambiance entre collègues, crispation, nervosité, fatigue; la réforme du bac est catastrophique, mal conçue, mal organisée (sabotée ! diront les organisateurs) et ne répondant en rien, au contraire, aux difficultés scolaires de ces vingt dernières années; une réforme pour faire des économies de budget et de personnel ! protestent les organisations syndicales (qui ont pourtant soutenu la "philosophie" générale du réformisme soi disant démocratique et néo-égalitaire de ces vingt dernières années...) - Il n'est pas sûr du tout que de telles économies soient réalisées, car cette réforme du bac coûte cher à "mettre en oeuvre", à travers notamment les primes conséquentes versées au personnel de direction et de gestion académiques; je pense aussi à tous les documents officiels disciplinaires qui ont été écrits (et rémunérés) pour cette réforme; je pense enfin à ces scanners qui ont été achetés (ou loués ?) par les établissements afin de numériser les copies !

   Assurément, les profs s'estiment lésés, affaiblis dans leur rôle, voire "méprisés" (c'est le terme qui revient le plus souvent dans les tracts syndicaux); on annonce des suppressions de postes à la prochaine rentrée et des conditions de travail toujours plus ingrates et pénibles; la gestion du personnel, pour l'instant "gérable", risque de devenir tendue voire de se briser; les profs soucieux de faire un travail de qualité (qui a du sens, comme ils aiment à le dire) se heurtent à des obligations de quantité: classes surchargées, programmes très lourds et ponctués d'évaluations régulières, emplois du temps chaotiques en raison de toutes les options et spécialités prévues par la réforme, mais qui ne seront sans doute pas applicables dans bon nombre de lycées; la "philosophie" du néo-égalitarisme démocratique: toujours plus de possibilités pour les élèves en fonction de leurs goûts et aptitudes, toujours plus de "diversité" et de "dissémination" culturelles, eh bien cette philosophie occasionne en réalité beaucoup d'incompréhension et de confusion; pire, elle favorise un certain renoncement, un certain laisser-aller, un certain "à quoi-bon" et un certain "je-m'en-fous".

 

   Mes collègues m'envient un peu de me tenir à l'écart de cette déplorable situation; qu'ils se rassurent, je  la connais et je vais la retrouver bientôt; à la rigueur, je peux compter sur les effets sans doute bénéfiques de plusieurs semaines de repos, et de plusieurs lectures qui auront peut-être amélioré mes connaissances et ma compréhension de certains sujets; je me suis notamment penché sur la Restauration à travers le très bon livre d'Emmanuel de Waresquiel (1), qui en est l'un des spécialistes français; j'en parlerai plus longuement dans une chronique ultérieure; disons, pour le moment, que ce livre acheté lors d'un petit séjour à Dinard convient parfaitement à ma situation, qui est aussi celle d'une... restauration ! 

 

(1): Penser la Restauration 1814-1830, collection Texto, éditions Tallandier, 2020, 480 pages. 

 

    Dinard, juste à côté de Saint-Malo, peut également inspirer des sentiments de restauration; restauration de maisons anciennes en bord de mer, ou d'appartements plus récents à l'intérieur de la ville, cette deuxième possibilité étant accessible à un professeur (agrégé de préférence); moins coûteuse encore, la restauration peut faire penser à l'écrivain mémorialiste Chateaubriand, enterré sur l'îlot du Grand Bé à quelques centaines de mètres des remparts de Saint-Malo; plus pragmatique, la restauration peut vous amener à manger une galette-saucisse (2,6 euros) avant de vous engager dans une promenade littorale; et en vous promenant, vous pouvez ressentir les effets d'une certaine restauration morale et physique par le grand air qui souffle au bord de la mer; enfin, cette charmante petite ville semi-aristocratique de Dinard, non dénuée pour autant d'aspects populaires, peut faire regretter à certains l'idée d'une France d'autrefois qu'il faudrait essayer de "restaurer"; vaste programme sans doute !

 

   Enfin, la collection Bouquins des éditions Robert Laffont vient de sortir les Parerga et Paralipomena de Schopenhauer, mon philosophe préféré (avec Nietzsche), le seul que j'arrive à lire avec amusement, malgré le pessimisme radical de son propos, ou grâce à lui ! En tout cas je compte sur cette lecture réjouissante pour achever ma convalescence et me rétablir voire me "restaurer" tout à fait, sachant qu'une restauration n'est jamais un "retour en arrière", mais toujours une combinaison de sentiments anciens et d'idées nouvelles, ou inversement.

                                 

 



10/02/2020
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