En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Journal du Tour-1

 

      Ce n'était pas prévu, mais j'ai décidé de tenir un Journal du Tour; une manière de m'accrocher à l'événement, une manière sans doute aussi d'aborder en souplesse la rentrée scolaire; car l'ambiance va être difficile, tendue, nerveuse; il faudra rester calme, distant, aérien; sortir du peloton le plus possible. 

     Mon lecteur Imparcial s'interroge sur le report du Tour en septembre: pourquoi aussi tard ? Je suppose qu'il fallait, après le confinement, donner un peu de temps à tout le monde pour se "retourner": aux coureurs, aux équipes, aux organisateurs; qu'il fallait réorganiser tout le calendrier international des courses reportées. Obtenir les autorisations des autorités ! Et en période de "tension", sanitaire, sociale, politique, la chose ne fut sans doute pas facile; en tout cas, le Tour a montré sa "force" et sa capacité d'influence, en pesant de tout son poids économique. 

    Le choix de Nice comme ville départ est un bon exemple de cette puissance économique; le Tour offre une vitrine médiatique de plusieurs heures voire de plusieurs jours pour la ville et sa région; la technologie et le dispositif de la retransmission permettent de valoriser les paysages (vues aériennes, séquences "patrimoine" commentées par Franck Ferrand, séquences "bio-diversité et protection de l'environnement", étapes retransmises en intégralité, etc.). Autrefois, quand le Tour n'avait pas tous ces moyens, Nice et la côte d'Azur se passaient fort bien de lui; il était même considéré comme gênant et comme source de désordres (de circulation par exemple). Si on regarde l'historique des passages du Tour à Nice, on voit qu'ils sont beaucoup moins nombreux après la seconde guerre qu'avant; mais il faut dire qu'avant, la "Grande Boucle" en était vraiment une et ne pouvait ignorer par conséquent le littoral méditerranéen conduisant jusqu'aux Alpes. Pendant les Trente Glorieuses, la Grande Boucle se fragmente et pénètre à l'intérieur du territoire; elle devient même un facteur ou un acteur de son aménagement en faisant la promotion des stations de sports d'hiver de l'intérieur. Elle tourne donc le dos à la côte méditerranéenne saturée de touristes en voitures; et l'on comprend pourquoi en voyant certaines vidéos des années 1970-1980 qui montrent la "pagaille" (comme aurait dit le Général !) créée par le passage du Tour. La période suivante se veut plus "encadrée", plus sécurisée: les routes sont refaites, la priorité de circulation est donnée à la course et à son "armada" publicitaire et médiatique; gendarmes et responsables (syndicaux) veillent à ce que les manifestations de paysans et d'ouvriers qui pouvaient barrer le peloton pendant quelques heures (c'est arrivé plusieurs fois dans les années 70) soient désormais impossibles. Le Tour achète la paix sociale ! Et c'est ainsi qu'il est revenu sur la côte méditerranéenne, faisant même un saut en Corse pour la première fois en 2013.  

    Mais la principale explication du retour de la Grande Boucle dans les endroits très touristiques et très urbanisés (métropoles) est sans doute politique; car de nombreux élus (de droite comme de gauche) sont aujourd'hui obsédés par la "communication" et le "relationnel"; il ne s'agit pas seulement grâce au Tour d'améliorer ou de corriger la réputation (visuelle) de leurs villes, régions et départements; il s'agit plutôt pour ces élus de gagner des "relations" et d'intégrer des "réseaux", tout en confortant leurs propres clientèles; autrefois les sénateurs romains donnaient des jeux et des fêtes pour satisfaire le "peuple" tout en favorisant les affaires de quelques-uns, aujourd'hui les élus veulent organiser des spectacles, des festivals, et pourquoi pas obtenir le passage du Tour. On peut même penser que le gouvernement et le chef d'Etat ne sont eux-mêmes pas insensibles à ce que les médias du Tour permettent de montrer au reste du monde les grandes villes (métropoles et technopoles, Nice en est un bon exemple) et les points forts du patrimoine touristique français.

    Une chose est claire en tout cas: le Tour est une opération médiatique avant tout; il a été créé en 1903 par le journal L'Auto (et son patron Henri Desgrange) qui voulait de cette façon augmenter son tirage; il a presque toujours été dirigé par des patrons de presse (on connaît la phrase du général de Gaulle: "la France est dirigée par son chef de l'Etat pendant onze mois, mais en juillet elle est dirigée par monsieur Goddet", le patron du Tour pendant les années d'après-guerre, et fondateur du quotidien L'Equipe.); aujourd'hui c'est un ancien journaliste télé, Christian Prudhomme, qui dirige la société organisatrice du Tour. 

    Son public n'est pas celui du foot, en effet, comme le fait remarquer El Imparcial; il est un peu plus âgé, un peu plus "vieille France", un peu plus familial et rural; beaucoup plus un public de lotissements et de bourgs que de cités ; enfin, pour évoquer le phénomène de l'homme-masse, on fera remarquer que les deux spectacles ne produisent pas les mêmes effets, les mêmes réactions, les mêmes "émotions"... Bien sûr j'ai très envie de penser en ma faveur en disant que le Tour est un spectacle plus raisonnable et moins "aliénant" que celui du foot (quoique je sois également un amateur de foot !); mais les contempteurs du cyclisme m'opposeront alors bien des arguments: le dopage, les chutes des coureurs et le caractère souvent ennuyeux des étapes (où il ne se passe rien si on adopte le point de vue haletant du supporter de foot). 

    L'étape d'aujourd'hui, la première, courue autour de Nice, fut marquée par la pluie et les chutes de quelques coureurs. Comme prévu la victoire est revenue à un sprinteur, en l'occurrence le Norvégien Alexander Kristoff. Je n'ai pas tout écouté des commentaires de France TV; j'avais à lire et à écrire. Toutefois, la chaîne publique n'a pas fait les choses à moitié, en plaçant les journalistes à bord d'un dirigeable flottant sur la côte niçoise ! J'en suis resté bouche ouverte: moi qui au début de ce Journal évoquais la possibilité d'être "aérien"... Manifestement je n'ai pas les moyens de France TV, même si je participe un peu à son financement... Mais ne soyons pas bassement terre-à-terre !     

   

            

                     

 



29/08/2020
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