En attendant le Déluge

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L'été des quatre rois

 

    Avec le travail je lis un peu moins, mais je lis quand même; depuis quelques jours L'été des quatre rois de Camille Pascal (1); j'ai déjà évoqué cet auteur à propos d'un de ses autres livres, Ainsi, Dieu choisit la France; disons, pour faire vite, que c'est un historien à peine plus âgé que moi, mais beaucoup plus riche et nettement plus élevé dans la hiérarchie de la fonction publique; je pense qu'il a aussi beaucoup plus de science et de qualités verbales et littéraires que moi. Son style est plus que classique, "classieux" diront certains, "pédant" selon d'autres; L'été des quatre rois raconte les "trois glorieuses" de 1830: les journées de juillet qui provoquèrent la chute de Charles X et la désignation d'un nouveau régime, la monarchie dite de juillet, justement, qui sera dirigée par Louis-Philippe d'Orléans, cousin du précédent.

   Camille Pascal s'est beaucoup documenté pour "narrer" au jour le jour les événements et les personnages de cette "mini révolution" parisienne; l'histoire "narrative", comme il s'en est expliqué ailleurs, a injustement été discréditée dans la profession des historiens et des intellectuels depuis les années 1960; elle a également disparu des petites écoles, des collèges et des lycées; Fernand Braudel en personne, le "maître" de la "nouvelle histoire", économique et structuraliste, avouait à la fin de sa carrière, vers 1980-85, que l'histoire narrative devait être réhabilitée, et qu'elle n'avait rien d'incompatible avec l'histoire explicative ("l'histoire-problèmes" comme on disait alors). Une bonne narration peut expliquer bien des choses. Et c'est sans doute ce qu'essaye de faire Camille Pascal.

    Il y réussit plutôt bien; à travers son récit je comprends un peu mieux pourquoi Charles X a perdu le pouvoir et comment Louis-Philippe a été nommé à la tête de la nouvelle monarchie. De cette "mini révolution" (j'ignore si cette expression a déjà été employée, je suppose que oui, et c'est pourquoi je la gratifie de guillemets) les programmes d'histoire du lycée ne parlent guère, même si cette année ils y accordent un peu plus d'importance, disons une heure d'enseignement. D'habitude, et ce sera encore le cas cette fois, on montre et on essaye d'expliquer aux élèves la révolution de juillet à travers le tableau de Delacroix, La liberté guidant le peuple. Peinture romantique, réaliste, expressive, qui a pu choquer le bourgeois en 1830. Mais les choses ont très vite été "normalisées"; et la Liberté en question, sous les traits d'une femme conquérante et dénudée, n'a finalement pas libéré grand monde; certains historiens disent même que le changement de régime n'a guère été qu'un changement d'équipe au sein du même camp. C'est la pratique du "spoil system" rapportée des jeunes Etats-Unis: l'Administration nomme de nouveaux fonctionnaires qui lui sont acquis par les idées comme par les intérêts. Intérêts fonciers et commerciaux soutenus et favorisés par des lois appropriées. Résumons donc la révolution de juillet: victoire de la "bourgeoisie libérale" sur l'aristocratie conservatrice, et victoire des francs-maçons sur les Jésuites (2). Quant à Delacroix et à sa Liberté, ils deviendront plus tard les figures d'un billet de 100 francs (voir ci-dessous). Et tout est bien qui finit bien. 

 

(1): Camille Pascal, L'été des quatre rois, Plon, 2018, puis Pocket 2019, 671 pages.

(2): "Le duc d'Orléans savait qu'il avait gagné une partie risquée et mal engagée. Il salua longuement la foule en agitant ses rubans tricolores. Certes, la place de Grève n'était pas la cathédrale de Reims ni même Notre-Dame de Paris, mais après tout, Paris valait bien une accolade maçonnique ! Louis-Philippe n'était pas l'héritier d'Henri IV pour rien." (p. 401)

 

    Un dernier point: pourquoi "l'été des quatre rois" ? Charles X abdique et Louis-Philippe lui succède, où sont les deux autres ? En réalité, c'est bien plus compliqué: d'abord Louis-Philippe ne succède pas à son cousin Bourbon, il est élu "roi des Français" par la Chambre des députés. Quant à Charles X, il abdique au château de Rambouillet tout en demandant à son fils le duc d'Angoulême de se désister en faveur de son neveu le duc de Bordeaux; les deux ducs ne règneront pas mais seront par quelques royalistes crédités des noms de Louis XIX et de Henri V; ils mourront en exil avec leur père et grand-père Charles X; leurs tombeaux se trouvent à Nova Gorika en Slovénie.

 

    Des quatre rois à la "petite reine", enchaînons: la Slovénie vient de triompher sur la Vuelta grâce à ses deux coureurs vedettes; Roglic remporte l'épreuve et le tout jeune Pogacar termine troisième. Avec le travail je regarde moins la télé mais j'ai pu apprécier hier après-midi la victoire en solitaire de ce Pogacar qui épate un peu tout le monde; il vient de passer professionnel, participe à son premier grand Tour et remporte trois étapes de montagne. A son âge, 21 ans dans quelques jours, ni Merckx ni Hinault n'en étaient encore à ce niveau. Il y a quelques semaines un jeune prodige belge de moins de 20 ans, Evenepoel, a remporté la Classica San Sebastian. Quant au Tour de France, il a connu cette année son plus jeune vainqueur depuis fort longtemps, le Colombien Bernal, 22 ans. Révolution cycliste ou cyclique ? Ma foi, on peut s'interroger; mais il se fait tard et je travaille demain.   

             

        

        

 



15/09/2019
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